Le 8 septembre était inauguré le Wikifin Lab, à deux pas de la colonne du Congrès. Dans un bâtiment de 1.000 m2jouxtant ceux de la FSMA (Autorité des services et marchés financiers), ce centre d’éducation financière aux méthodes pédagogiques très actuelles permet aux jeunes écoliers de 12 à 18 ans de réaliser un parcours ludique et instructif destiné à les informer et les prévenir des enjeux d’une bonne gestion budgétaire.
On l’a vu, les différents intervenants, qu’ils soient chercheurs, magistrats ou travailleurs de terrain relèvent tous un déficit d’éducation financière dans le chef des jeunes. Des réflexions corroborées par des analyses et des recommandations, notamment de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) qui atteste de cette nécessité d’éducation, au vu de la complexité accrue des produits financiers, mais aussi de l’allongement de l’espérance de vie et de la question des pensions[1]. Pour la première enquête en 2012, l’enquête PISA (Programme for international student assessment) portait également sur les compétences financières des jeunes: les résultats obtenus auprès de 29.000 jeunes, issus de 18 pays, montraient qu’un élève sur sept n’est pas capable de prendre des décisions même simples à propos de dépenses courantes et que seul un sur dix peut résoudre des tâches financières complexes.
C’est pour répondre à ce besoin d’acquisition de compétences en la matière que la FSMA s’est vu attribuer une mission de contribuer à l’éducation financière de la population. Avec le site d’information Wikifin.be, la Semaine de l’argent et la mise sur pied d’outils pédagogiques à destination de l’enseignement, elle s’y attelle depuis 2011.
Un centre d’éducation financière interactif
L’année 2020 était celle de l’ouverture d’un nouvel espace, le Wikifin Lab, installé rue du Congrès dans un bâtiment entièrement rénové et doté d’un auditorium. Un budget d’un million 300.000 euros (hors rénovation du bâtiment) a été investi pour la conception du lieu et son aménagement. Prévue en mars 2020 lors de la Semaine de l’argent, cette ouverture a été retardée pour cause de coronavirus. Ce centre a finalement été inauguré en septembre, en compagnie de la reine Mathilde présente lors de l’inauguration. Pendant deux mois, les classes de première à la septième secondaire, amenées par le Wikifinbus, se sont succédé dans les locaux, pour des visites de deux heures quarante-cinq minutes animées par des guides spécialement formés à cet accompagnement. Jusqu’à l’arrêt des activités au moment des vacances de Pâques et qui n’ont pas repris depuis. Les inscriptions sont ouvertes pour janvier 2021, mais sans garantie encore de la réouverture à cette période.
En compagnie de Karine Huet et Marc Nolf, tous deux chargés de projets dans le cadre de ce programme d’éducation financière de la FSMA, nous avons pu découvrir cet espace et les activités qui y sont organisées pour permettre aux jeunes étudiants de se rendre compte des tenants et aboutissants d’une gestion budgétaire maîtrisée. Pods, Boxes et Rooms sont les espaces dédiés à ces apprentissages, selon le type d’activités. Les Pods, sièges-œufs, pour les activités individuelles, les Boxes où l’on joue à plusieurs et les Rooms où l’on revient en grands groupes pour débriefer la visite, les activités et les grands principes à retenir. En début et en fin de visite, le mur des savoirs, qui aborde toute une série de notions, économiques, financières, liées au surendettement et aux monnaies (locales et solidaires ou au contraire mondialisées comme les cryptomonnaies).
Trois thèmes, des discussions sans fin
Comme nous l’a expliqué Karine Huet, «le Wikifin Lab poursuit trois finalités, qui ont été développées avec l’aide de spécialistes, de chercheurs dans le domaine des influences, de la psychologie comportementale, mais aussi de la “gamification” afin de moduler le rythme afin de soutenir l’attention». Le gaming est en effet très présent, tout au long de la visite, déjà avec la création de son avatar en début de parcours. «Une manière de capter le jeune et de l’embarquer.» Au moyen d’une tablette qui lui indique son parcours, le jeune déambule par moments seul, à la recherche de son Pod et des activités qui s’y rattachent.
Premier thème: l’évaluation d’un budget, poste par poste, au travers de questions proposées sur tablette. «Quelle part du budget consacrer au logement, à la nourriture, aux loisirs, aux déplacements?», avec en fin de questionnaire un budget qui tient la route ou complètement bancal.
Second thème: rendez-vous à la Box 102 pour le jeu du Foodtruck. Marc Nolf explicite les enjeux: «En groupe, il s’agit de s’atteler à la confection de brochettes de fruits. Facile au début, le jeu se corse avec la raréfaction des fruits présentés. La frustration s’insinue, l’empressement gagne, le dilemme s’installe quand on vous propose, pour avoir les fruits manquants, de payer. La pression du groupe est présente. Autant d’éléments actifs dans le monde des jeux vidéo qui ont pour but de vous capter et que l’on retrouve également dans la société de consommation. Le message: prenez le temps de la réflexion, soyez conscients des techniques d’influence.»
Troisième thème: celui plus délicat des conséquences de ses choix, avec un exemple plutôt orienté en matière de choix de société. Les jeunes, réunis en groupe dans une Room, se voient proposer la question suivante: «Pour pouvoir offrir à tous les jeunes du matériel informatique gratuitement, un choix budgétaire se pose: l’argent ainsi consacré à cette mesure viendra grever le budget de la sécurité sociale. Faudrait-il sacrifier le remboursement des soins dentaires, celui des pensions ou augmenter les cotisations sociales patronales sur les jobs étudiants?» Chaque décision ayant des conséquences, le but est d’en faire prendre conscience.
Une éducation au système?
Si les questions de respecter un budget, d’en connaître les différents postes et de pouvoir les maîtriser sont légitimes et bénéfiques, tout comme le fait d’être attentif aux mécanismes qui nous amènent à consommer, la question des conséquences en termes de choix de société est assez orientée. Durant notre visite, nul accent sur une mise en cause d’un système qui pousse toujours à consommer plus, sur les prêteurs qui proposeraient de manière un peu trop facile leurs produits crédit. Pas davantage de questions sur la possibilité de vivre dignement avec un revenu d’intégration sociale.
Et quand il s’agit de s’interroger à propos du budget de l’État sur lequel prélever des fonds pour payer du matériel informatique aux jeunes, on cite celui de la sécurité sociale. Assez maladroit en cette période… Pour expliciter les différents aspects de cette dernière, on aurait pu aussi suggérer de financer ces achats en taxant les GAFA ou en prélevant une taxe sur les transactions financières, en laissant le budget de la sécurité sociale intact car fondamental et constitutif d’une solidarité entre les individus d’un même pays. Qui plus est, en pleine période Covid où le démantèlement des soins de santé est décrié par tous…
Nathalie Cobbaut
[1] https://www.oecd.org/finance/financial-education/FinEdSchool_web.pdf;https://www.oecd.org/pisa/pisaproducts/pisainfocus/argentquesaventlesadosblogparandreasschleicher.htm;