En octobre 2022, Jean vient de trouver la maison de ses rêves. Après avoir pris ses renseignements et signé un compromis avec une clause suspensive d’octroi d’un crédit hypothécaire, il se rend à sa banque Prêtetou, déterminé à obtenir ce crédit. Après analyse de sa situation, la décision de Prêtetou tombe comme un couperet dans une lettre qui lui est adressée. On lui refuse le crédit en mentionnant qu’ » une des raisons du refus de votre demande de crédit est que vous faites l’objet d’une mention dans le volet négatif de la Centrale […] Votre agent n’était pas informé de la mention négative à la Centrale vous concernant. Nous vous le signalons par le biais de cette lettre… » Autrement dit, la maison va lui échapper. Plus encore, Jean va continuer à payer un loyer de 800 € en lieu et place d’une mensualité hypothécaire, et ce, durant toute la durée du fichage! Pendant ce temps, le taux d’intérêt des crédits hypothécaires ne cesse d’augmenter… Quelle est cette «mention dans le volet négatif» à la «Centrale»?
La Centrale des crédits aux particuliers (ci-après: «CCP») est un registre tenu par la Banque nationale de Belgique (ci-après: «BNB»)[1]. Elle comporte un volet positif et un volet négatif:
- Le volet positif est composé des contrats de crédit à la consommation (livre VII du Code de droit économique). Depuis le 1erjanvier 2024, ce volet renseigne également sur les facilités de découvert sur un compte qui dépassent 1.250 € et qui sont remboursables dans un délai d’un mois.
- Le volet négatif est composé des défauts de paiement découlant de ces contrats de crédit. Il est à noter qu’à partir du 1erjanvier 2024, les découverts non autorisés sur un compte de paiement auquel aucun contrat de crédit n’est lié seront également repris dans le volet négatif.
C’est la BNB qui est tenue d’effectuer les enregistrements dans les deux volets sur la base d’une demande du prêteur. Les données sont notamment les caractéristiques du contrat de crédit permettant de déterminer la situation débitrice du contrat et son évolution, ainsi que le motif du défaut de paiement communiqué par le consommateur (art. VII.148 CDE).
Ainsi, chaque personne qui a contracté un crédit à la consommation ou hypothécaire sera fichée à la CCP dans le volet positif jusqu’à trois mois et huit jours ouvrables après la fin du crédit (sauf exception: voir l’art. 4, §1er, 2° de l’AR 2017). En cas de retard de paiement et sous certaines conditions, elle sera également fichée dans le volet négatif.
Jean a donc été fiché dans le volet négatif et il convient d’examiner ce «fichage négatif».
Jean se souvient qu’en 2020, il avait reçu un courrier de la BNB (art. VII.151 CDE) dans le cadre de son prêt pour l’achat de sa voiture. Il décide de consulter la CCP (gratuitement en ligne avec sa carte d’identité) et obtient les informations suivantes:
Il consulte ses extraits de compte et se demande la raison pour laquelle il a été fiché.
Son fichage concerne un prêt à tempérament qu’il a contracté en mai 2017 auprès de Toucrédit pour l’achat de son véhicule. Le fichage négatif a lieu, dans le cadre d’un prêt à tempérament avec remboursement mensuel, lorsque:
- trois montants de mensualité n’ont pas été payés à leur échéance ou l’ont été incomplètement,
- le montant d’une mensualité échue n’a pas été payé durant trois mois ou l’a été incomplètement,
- ou les montants de mensualité restant à échoir sont devenus immédiatement exigibles (art. 5 AR 2017).
Sur ses extraits de compte, Jean remarque que sa mensualité de 274,94 € payable le 15 août 2020 n’a pas été versée à Toucrédit pendant plus de trois mois.
Ainsi, Toucrédit a dû communiquer, à la BNB, le défaut de paiement, et ce dans les huit jours (art. 7 et 9 AR 2017) qui ont suivi le troisième mois. Toucrédit devait renseigner sur le capital échu et impayé majoré du montant du coût total du crédit échu et impayé. En aucun cas, les montants communiqués ne peuvent comprendre les intérêts de retard, les pénalités ou indemnités, les frais de rappel ou de mise en demeure (art. 6 AR 2017).
Étrangement, on remarque que le retard daterait du 7 septembre 2020 pour un montant de 558,73 €. Or, le fichage aurait dû n’avoir lieu que le 15 octobre 2020 pour un montant de 274,94 €.
Notons que «le volet négatif enregistre uniquement les accidents de paiement, ce qui protège les personnes enregistrées d’une aggravation de leur situation débitrice»[2]. Le fichage négatif étant une mesure de «publicité» mise à la disposition des prêteurs pour leurs enquêtes de solvabilité, une erreur de près de 300 € (ce montant est certainement constitué d’une autre mensualité injustement ajoutée, ainsi que des intérêts et frais), représentant plus du double de l’impayé, tronque l’enquête de solvabilité qui a été réalisée par Prêtetou et qui l’a poussé au refus de l’octroi du crédit.
Pour le surplus, on peut se poser la question de savoir si le versement des mensualités postérieures a eu pour effet de retarder le fichage, mais que tel n’a pas été le cas sur la base d’un mode d’imputation déterminé par Toucrédit: le paiement du mois de septembre n’a pas été imputé sur l’impayé d’août, le paiement du mois de novembre n’a pas été imputé sur le mois de septembre, etc. Or, les règles d’imputation des paiements impliquent que, sans communication particulière, l’imputation des paiements se fait d’abord sur les dettes les plus anciennes[3]. Ainsi, en 2013, saisi d’une telle question, l’Ombusdfin a indiqué que «le but du législateur n’a pas été de sanctionner les emprunteurs qui règlent systématiquement leurs échéances avec un mois de retard sans jamais atteindre le délai légal de trois mois. Ce type de comportement est sanctionné par l’imputation des frais de rappel et d’intérêts de retard»[4].
Jean aimerait aussi connaître la raison pour laquelle il est toujours fiché alors que, sur la base des informations orales de Toucrédit, il a régularisé son retard le 24 décembre 2020 et non le 23 juin 2022 comme repris à la CCP.
En cas de régularisation, Toucrédit doit informer la CCP dans les huit jours ouvrables (art. 7 AR 2017). À partir de ce moment, le fichage négatif contiendra la date de la régularisation et il sera conservé jusqu’à douze mois dans le volet négatif (art. 8 AR 2017).
En pratique, Toucrédit aurait dû, au début du mois de janvier 2021, communiquer à la BNB la régularisation. Au mois de janvier 2022, le fichage négatif aurait alors dû disparaître. Ce faisant, Prêtetou n’aurait pas dû voir un élément dans le volet négatif de la CCP concernant Jean et son enquête de solvabilité n’en aurait donc pas tenu compte.
Est-il normal que la banque Prêtetou puisse se fonder sur ce défaut de paiement pour refuser le prêt sollicité?
Prêtetou a l’obligation de consulter la CCP préalablement à la conclusion du crédit (art. VII.133 CDE), afin d’obtenir des informations sur la situation financière et la solvabilité de Jean (art. VII.149 CDE). S’il ressort, de la consultation de Prêtetou au sujet de Jean, qu’un impayé de plus de 1.000 € dans le cadre d’un crédit à la consommation ou d’un crédit hypothécaire avec une destination mobilière n’ont pas été remboursés, Prêtetou a l’obligation de refuser le prêt. Pour les impayés non régularisés de moins de 1.000 €, elle ne pourra conclure le contrat de prêt hypothécaire que moyennant une motivation complémentaire dans le dossier de crédit (art. VII.133 CDE).
Concernant Jean, l’impayé est inférieur à 1.000 € et il a été régularisé. Cette interdiction de conclure et cette motivation particulière ne s’imposaient donc pas à Prêtetou. La banque reste néanmoins libre de refuser de prêter à Jean puisqu’il n’existe pas un «droit au crédit»[5], le crédit répondant ainsi au principe de la liberté contractuelle (art. 5.14 du Code civil).
Néanmoins, s’il souhaite contracter, Prêtetou doit procéder à une évaluation rigoureuse de la solvabilité et vérifier si Jean sera à même de respecter ses obligations de remboursement. Sur la base du fichage négatif qui reprend un impayé de 500 € récemment régularisé, Prêtetou a jugé que, même ayant eu égard à ses revenus mensuels de près de 2.300 €, il pouvait douter que Jean soit en capacité financière d’honorer ses mensualités hypothécaires: il n’a pas pu payer une mensualité de crédit bien moindre que la mensualité hypothécaire projetée et il a mis quasiment deux ans pour procéder à la régularisation (selon ce qui est indiqué à la CCP).
De plus, rappelons que la consultation de la CCP et l’impossibilité d’octroyer un crédit hypothécaire lorsqu’un montant impayé est repris dans le volet négatif sont fondées sur les dispositions similaires qui ont été adoptées dans le cadre du crédit à la consommation et qui ont été davantage commentées[6]. Il en va de même pour l’obligation d’une «évaluation rigoureuse de solvabilité». Ce faisant, on peut avoir égard au fait que le législateur constatait déjà en 2019 que «la majorité des prêteurs refusaient généralement d’octroyer un nouveau crédit à la consommation à un consommateur enregistré négativement à la Centrale, quel que soit le montant de l’enregistrement négatif»[7]. Le SPF Économie indique d’ailleurs que «la motivation devra démontrer que l’enregistrement négatif n’est pas lié à un problème de solvabilité du consommateur ou que le problème de solvabilité a pris fin et que le consommateur est à nouveau en mesure de faire face à ses obligations»[8]. À cela, il faut y ajouter que «le prêteur peut toujours refuser d’octroyer un contrat de crédit, quand bien même l’on pourrait raisonnablement estimer que le consommateur sera à même de respecter ses obligations, pour autant qu’il ne commette pas de discrimination envers le consommateur»[9].
Il est donc illusoire de vouloir mettre en cause la responsabilité de Prêtetou concernant son refus de contracter.
Nous avons mis en lumière que Prêtetou s’était fondé sur un impayé de 2020 régularisé en décembre 2020 et qui n’aurait donc plus dû se retrouver en 2022 dans le volet négatif de la CCP. De plus, Prêtetou a eu égard à une mention qui relate un impayé d’un montant de plus de 500 € alors qu’il aurait dû être inférieur à 300 €. À ces deux éléments, nous ajoutons que Prêtetou s’est basé sur un impayé de 2020 qui n’a été régularisé que près de deux ans plus tard, qui plus est, très peu de temps avant la demande de crédit hypothécaire. Ces éléments résultant des données fournies à la CCP par Toucrédit et de l’absence de demande de modification par ce dernier ont eu, indubitablement, un impact décisif sur le refus de Prêtetou. En octobre 2022, Jean prend contact avec Toucrédit afin de lui demander de supprimer immédiatement le fichage négatif en raison de ces motifs, et ce, pour solliciter, à nouveau, un prêt hypothécaire. Toucrédit refuse en indiquant à Jean, de manière erronée, que «le fichage qui a eu lieu le 8/10/2022, fait suite à des défauts de paiement. En effet, trois mensualités du crédit (août, septembre et octobre) n’ont pas été payées». Jean décide alors de demander à la BNB de corriger ses données à la CCP.
Toute personne peut demander la rectification de données incorrectes (art. VII.152 CDE). Cependant, dans ce cas, la BNB n’est pas habilitée à apporter, de sa propre initiative[10], les corrections, mais elle est tenue de transmettre la demande à Toucrédit qui a communiqué les données et qui est responsable de leurs contenus exacts.
Une illégalité dans le chef de Toucrédit ne peut donc donner lieu à une rectification ipsofacto. Si Toucrédit estime que cette rectification doit avoir lieu, il demandera à la CCP la correction des données enregistrées. En cas de rectification, Prêtetou en sera averti par la BNB.
Toucrédit maintient sa position et refuse la rectification. Jean n’a plus que trois solutions: adresser une plainte à l’Ombudsfin, adresser une plainte au SPF Économie ou citer Toucrédit en justice.
Jean choisit la première option. Au bout de plusieurs échanges et de près de quatre mois d’attente, l’Ombudsfin rend son avis[11]. Il mentionne que le relevé transmis par Jean reprend trois défauts de paiement de mensualités:
- septembre 2020, mais régularisé en décembre 2020;
- août 2021;
- février 2022, régularisé en avril 2022;
- régularisation complète de l’ensemble des arriérés (mensualités, intérêts de retard et accessoires) en juin 2022.
L’Ombudsfin constate que Jean a été fiché négativement le 7 septembre 2020 et non en octobre 2020. Ce défaut de paiement a par ailleurs été régularisé en 2020. Or, le défaut de septembre 2020 est resté mentionné après décembre 2021, malgré cette régularisation. Toucrédit a précisé à l’Ombudsfin que ce défaut est resté mentionné et est justifié, car, après la régularisation de décembre 2020, il y a eu un autre défaut en août 2021, non régularisé avant juin 2022, et un défaut en février 2022, régularisé en avril 2022.
Selon l’Ombudsfin, le maintien du fichage négatif initial n’est pas correct, car, d’une part, il reprend le montant d’intérêts de retard et des accessoires et, d’autre part, le fichage mentionné aurait dû être régularisé en décembre 2020 et non en juin 2022.
L’Ombudsfin précise que le fichage négatif est une mesure exceptionnelle prise en application de dispositions d’ordre public qui doivent être appliquées strictement. Ce faisant, le montant mentionné de 558,72 € reprend illégalement des intérêts de retard, pénalités et frais de rappel et, de plus, la date de régularisation de ce défaut est incorrecte.
Pour l’Ombudsfin, le fichage doit être immédiatement supprimé, car il ne reflète pas la réalité puisque même s’il subsistait en décembre 2021 un défaut susceptible de faire l’objet d’un fichage, celui-ci ne correspondait pas à la mention, ni sur la date du défaut ni sur le montant impayé. L’Ombudsfin a donc invité Toucrédit à supprimer le fichage erroné, mais, de manière assez surprenante, Toucrédit persiste dans son refus.
On observera que huit mois se sont écoulés depuis le début de la contestation et que le problème n’a pas été résolu.
On remarquera également que l’Ombusdfin met en évidence le caractère exceptionnel du fichage négatif et son caractère «publicitaire»: il doit refléter la réalité de l’impayé afin que les autres prêteurs puissent prendre une décision quant à l’octroi d’un autre crédit en pleine connaissance de cause.
La deuxième solution consistait en une plainte au SPF Économie via le «point de contact»[12] en mettant en évidence la faute de Toucrédit concernant le fichage négatif.
La troisième solution, qui aurait pu être concomitante à la deuxième, consistait à introduire immédiatement une procédure judiciaire devant le juge de paix aux fins de solliciter la suppression du fichage (procédure pour violation des droits de rectification et de suppression des données à caractère personnel du fait d’un traitement effectué en violation de la législation applicable) et la réclamation de dommages et intérêts. Jean aurait alors demandé que Toucrédit soit condamné à supprimer le fichage négatif, ainsi qu’à une astreinte pour chaque jour de retard dans la suppression. Un jugement peut d’ailleurs valoir, en lui-même, comme permettant d’obtenir la radiation du fichage[13].
Une procédure judiciaire peut encore être introduite devant la justice de paix, mais désormais pour réclamer uniquement des dommages et intérêts. En effet, Jean n’a plus de raison de contracter le crédit hypothécaire, car la maison a certainement été vendue ou le taux d’intérêt débiteur, qui a augmenté de plus de 3%, rend le montant total du crédit à rembourser au-dessus de ses moyens financiers. Ainsi, Jean pourrait demander une indemnisation pour la perte d’une chance quant à l’achat de cette maison ou quant à la conclusion d’un contrat de crédit à un taux plus faible qu’actuellement. Il pourrait néanmoins encore acheter la maison si elle n’a pas été vendue et solliciter du juge qu’il mette à charge de Toucrédit le montant du coût supplémentaire du crédit, ainsi que les loyers payés durant le fichage négatif.
Il a déjà été octroyé une indemnisation pour cause d’un préjudice résultant d’un fichage négatif erroné à la CCP qui a entraîné un refus systématique de tout crédit ultérieur[14].
Toutefois, dans le cas de Jean, l’impayé d’août de 2021, qui aurait potentiellement dû faire l’objet d’un fichage négatif, existe. Une procédure judiciaire est donc plus risquée et ne pourrait d’ailleurs donner lieu qu’à l’indemnisation pour la perte d’une chance.
Arnaud Galloy, juriste au Gils
[1] Art. VII.133, VII.148 et VII.153 du Code de droit économique (ci-après: «CDE») et art. 10 de l’arrêté royal du 23 mars 2017 réglementant la Centrale des crédits aux particuliers (ci-après: «AR 2017»).
[2] Projet de loi du 27 février 2001, Ch. représ., sess. 2000-2001, n°1123/001, p. 5; dans le même sens: avis n°85/010 de la Commission consultative de la protection de la vie privée du 29 janvier 1985.
[3] Art. 2.208 et 5.209 du Code civil; pour une imputation sur les frais et intérêts, voy. avis n°2020.308 de l’Ombudsfin du 16 juin 2020, disponible sur son site Internet.
[4] Avis n°2013.0179 de l’Ombudsfin du 21 mai 2013, disponible sur son site Internet.
[5] Projet de loi du 27 février 2001, Ch. représ., sess. 2000-2001, n°1123/001, p. 9.
[6] Projet de loi du 26 février 2016, Ch. représ., sess. 2015-2016, n°1685/001, p. 4 et 34.
[7] Projet du 20 février 2019, Ch. représ., sess. 2018-2019, n°3570/001, p. 11; dans le même sens: avis de la Commission de la protection de la vie privée n°10/97 du 9 avril 1997.
[8] Guidelines du SPF Économie relatives à l’évaluation de la solvabilité du consommateur dans le cadre de l’octroi d’un crédit à la consommation, mises à jour le 04/7/2022, p. 15.
[9] Ibidem, p. 14.
[10] Contra: document AH/2012/0231 du 1/7/2018 établi par l’Autorité de protection des données, p. 6.
[11] Avis du 20 juin 2023, réf. 2023.1778, inédit.
[12] https://meldpunt.belgie.be/meldpunt/fr/bienvenue
[13] J.-P. Lens, 21/02/1995, Annuaire Crédit, 1996, p. 146.
[14] Ibidem.