Au cours du colloque de l’Observatoire du crédit qui s’est tenu en janvier dernier, le point a été fait sur les récentes évolutions en matière d’accès au logement tant pour les propriétaires que pour les locataires. Marie-Denise Zachary, de la Banque nationale de Belgique (BNB), s’est penchée sur la question de la dette hypothécaire des ménages belges. François Ghesquière, de l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (IWEPS),a quant à lui brossé le paysage relatif au marché locatif.
Depuis les années 2000, la dette des ménages belges a augmenté de façon presque ininterrompue, contrairement à ce qui est constaté dans la majorité de la zone euro. Par dette, on entend les crédits contractés. L’essentiel de la dette en crédit des ménages belges est constitué de crédits hypothécaires. Ceux-ci sont destinés tant à l’achat d’un logement propre qu’à l’achat d’autres biens immobiliers. Ils représentent environ 90% de la valeur totale de la dette des ménages belges[1]. Globalement, 70% des ménages belges sont propriétaires de leur habitation.
Trois facteurs macroéconomiques expliquent cette augmentation du niveau d’endettement des ménages: le niveau des taux d’intérêt, les stratégies concurrentielles d’offre des banques et différentes mesures fiscales qui incitent à l’emprunt telles que les bonus logement, les crédits verts, etc. D’autres facteurs tels que les évolutions démographiques, la croissance des revenus disponibles ou encore l’évolution des prix de l’immobilier contribuent également à cette augmentation de l’endettement. En effet, les prix de l’immobilier augmentent depuis les années 1970. En 2019, un logement (maison ordinaire ou appartement) coûtait en moyenne 245.000 euros. Ce prix varie notamment en fonction de la localisation géographique et du type de bien. Toutefois, cette augmentation reste modérée comparativement à d’autres pays européens.
Un accès à la propriété aisé pour les ménages belges?
Le marché du crédit hypothécaire se porte donc bien. Le taux de défaillance de ces emprunteurs hypothécaires en atteste. Celui-ci a tendance à légèrement diminuer et est passé sous la barre des 1% en 2019. Toutefois, des différences régionales se marquent: le taux de défaut est deux fois plus élevé à Bruxelles et en Wallonie par rapport à la Flandre.
La BNB indique que les crédits hypothécaires sont principalement contractés par des ménages de moins de 35 ans. Sans surprise, le taux de participation au marché du crédit hypothécaire est plus élevé pour:
- les couples avec enfant(s);
- les ménages disposant de revenus les plus élevés et/ou ayant un niveau d’éducation plus élevé;
- les ménages disposant d’un certain niveau de patrimoine.
Bien que ce tableau semble positif, en tant qu’autorité macro-prudentielle, la Banque nationale a de nouveau récemment publié une série d’attentes explicites en matière de gestion de l’octroi des crédits hypothécaires[2]. Partant du constat de nouvelles vulnérabilités dans les portefeuilles de crédits hypothécaires belges, la BNB a invité le secteur financier (banques et entreprises d’assurance) à être encore plus prudent lors de l’octroi de prêts hypothécaires à risques. Afin de préserver la stabilité financière et de protéger le système financier contre les risques ou les chocs éventuels, la BNB souhaite que chacune d’entre elles augmente ses fonds propres. Pour ce faire, elle a fixé des seuils afin de donner des lignes directrices aux organismes de crédit. Plus de prudence ne signifie pas l’interdiction d’octroyer un crédit à 100%, mais l’organisme bancaire devra pouvoir soumettre à la BNB une explication motivée de ce type d’emprunt. La BNB a également défini des poches de risque. En effet, les dettes pèsent lourd dans le budget de certains types de ménages (notamment les isolés avec enfant[s]).
Les analyses présentées pourraient laisser penser qu’un nombre important de ménages belges ont accès au crédit hypothécaire. Toutefois, certaines études sont plus nuancées. On constate que les ménages à plus faibles revenus sont d’une part moins enclins à contracter un emprunt pour l’achat d’un logement (ou, à tout le moins, ils anticipent un refus des prêteurs et donc n’introduisent pas de demande de crédit) et, d’autre part, ont une probabilité plus faible de se voir octroyer un crédit afin d’accéder à la propriété.
Le Centre d’études en habitat durable de Wallonie (CEHD) montre que, compte tenu des revenus moyens et des prix moyens de l’immobilier, un certain nombre de ménages sont de fait exclus du marché du crédit hypothécaire. Une récente étude a estimé que, «en Wallonie, la moitié des ménages ayant une déclaration fiscale commune en 2015 n’étaient pas capables financièrement de prétendre à un crédit hypothécaire pour l’acquisition d’un logement[3]». Cette incapacité financière se traduirait par des durées théoriques d’emprunt dépassant les 30 ans, allant jusqu’à 50 ans pour certains ménages.
Placer le dessin dans ses environs si possible
La question à se poser est néanmoins la suivante: faut-il permettre à tous d’accéder à la propriété et laisser porter aux plus fragiles la responsabilité de payer durant des années des mensualités qu’ils seront à terme incapables d’assumer? Deux facteurs sont à mettre en balance: la dignité humaine, qui engloberait le droit d’être propriétaire, tout en prenant en considération les difficultés engendrées par le remboursement mensuel d’un crédit, et la stabilité du système économique qui ne doit pas être mise en péril par des octrois de crédit à risques.
Quel accès aux biens en location pour les ménages belges?
Il est clair que la propriété n’est pas accessible à tous. Toutefois, louer un logement n’est pas forcément plus aisé pour un certain nombre de ménages. L’IWEPS le rappelle, les locataires ont un risque de pauvreté bien plus élevé que les propriétaires. Si l’on se concentre sur les locataires de logements sociaux, ce risque est encore plus important. On le sait, le statut propriétaire/locataire est notamment déterminé en partie par le montant des revenus. En termes d’évolution, l’écart entre les taux de risque de pauvreté entre locataires et propriétaires s’est creusé au cours des 15 dernières années.
Trois principaux constats peuvent être tirés en matière de location[4]:
1° Les loyers sont élevés comparativement à la part du budget consacrée par les ménages pour se loger et au montant des allocations sociales. Une récente étude portant sur la Wallonie uniquement illustre ce constat: «La part du loyer (hors charges) dans le revenu des ménages locataires privés wallons grimpe à 30,2%. Les locataires les plus pauvres (ayant le revenu inférieur à 1.000 €) consacrent plus de la moitié de leur revenu (54,4%) pour se loger[5].»
2° La croissance moyenne des loyers semble limitée. Toutefois, deux éléments sont à souligner. D’une part, les prix des petits logements ont augmenté plus fortement que les prix des logements spacieux. Or, on le sait, les logements moins grands sont plus accessibles aux ménages les plus précaires. D’autre part, les loyers les plus faibles ont augmenté plus fortement que les autres.
3° Les loyers sont proportionnellement nettement plus élevés dans certaines zones géographiques. La distribution géographique des loyers est fortement polarisée. On observe quelques pôles à hauts loyers et les loyers diminuent au fur et à mesure qu’on s’en éloigne. Ces pôles sont Bruxelles, Arlon et Anvers. En termes géographiques, on constate aussi une tension centre-périphérie, ce qui signifie que «les grandes villes, le sillon industriel wallon, le croissant pauvre bruxellois et les communes rurales de l’Entre-Sambre-et-Meuse et de la vallée de la Semois ont des loyers relativement faibles. Au contraire, les communes périurbaines plus riches ont des loyers plus élevés[6]».
Caroline Jeanmart,
sociologue à l’Observatoire du crédit et de l’endettement
[2]Circulaire du 23 octobre 2019, BNB, https://www.nbb.be/doc/cp/fr/2019/20191023_nbb_2019_27.pdf
Annexe 1, circulaire du 23 octobre 2019, BNB, https://www.nbb.be/doc/cp/fr/2019/20191023_nbb_2019_27_annexe1.pdf
[3]Kryvobokov M., 2018, Observatoire des prix immobiliers résidentiels en Wallonie, Centre d’études en habitat durable de Wallonie, Charleroi, p. 62-63.
[4]Ghesquière F., 2018, «Le marché locatif sous la loupe. Mesurer les loyers dans les communes belges et wallonnes», Regards statistiquesn° 2, p. 58.
[5]Pradella S. et Kryvobokov M., 2019, «Observatoire des loyers – édition 2019 (enquête 2018)», Centre d’études en habitat durable de Wallonie, rapport, Charleroi, p. 125.
[6]Ghesquière F., 2018, «Le marché locatif sous la loupe. Mesurer les loyers dans les communes belges et wallonnes», Regards statistiquesn° 2, p. 51.