Dans cette rubrique, vous trouverez une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dettes. En voici la recension.
Cour constitutionnelle, 19 septembre 2024 (n°92/2024)
Indemnités pour préjudice corporel – Déclaration de créance tardive – Présomption de renonciation –Projet de plan amiable – Contredit fondé – Appel – Question préjudicielle – Violation de l’article 16 de la Constitution et de l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme – Non.
En septembre 2021, le requérant en règlement collectif de dettes a été condamné au paiement d’une indemnité pour préjudice corporel causé par une infraction. Bien que cette disposition soit mentionnée dans la requête, le créancier n’a pas remis sa déclaration de créance dans les délais. Le médiateur de dettes a donc dressé un projet de plan amiable sans tenir compte de cette créance.
Pour rappel, un créancier doit déposer sa déclaration de créance dans le mois de la notification de la décision d’admissibilité[1]. Passé ce délai, le médiateur de dettes l’informe par recommandé qu’il dispose d’un dernier délai de quinze jours à dater de la réception du recommandé pour introduire sa déclaration. Au-delà de ce dernier délai, le créancier est réputé renoncer à sa créance. Il perd le droit d’agir contre le débiteur et les personnes qui se sont constituées sûretés personnelles. Il récupère ce droit en cas de rejet ou de révocation du plan[2] [3].
Le conseil du créancier a formé un contredit contre ce projet de plan. Il avance que son client, atteint d’une déficience intellectuelle, n’a pas compris l’importance des notifications reçues. Le médiateur de dettes a décidé de soumettre ce contredit au tribunal. Celui-ci a déclaré le contredit fondé et a ordonné au médiateur de dettes d’établir un nouveau projet de plan en y intégrant la créance. Le requérant a interjeté appel de ce jugement.
La cour du travail décide de soumettre à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante: «L’article 1675/9, § 3, du Code judiciaire viole-t-il le droit au respect des biens garanti par l’article 16 de la Constitution[4] et par l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme[5] en ce qu’il prévoit que le créancier qui ne déclare pas sa créance dans le délai prévu est réputé renoncer à sa créance et en ce qu’il ne permet pas au juge d’apprécier cette renonciation présumée et de la prononcer ou pas?»
Une ingérence dans le droit au respect des biens est justifiée si:
- elle est prévue par une base juridique accessible, précise et prévisible[6];
- elle poursuit un intérêt public ou général légitime[7];
- elle est raisonnablement proportionnée au but poursuivi.
En l’espèce, la présomption irréfragable d’abandon de créance est prévue de façon claire et précise par l’article 1675/9, § 3 du Code judiciaire. De plus, l’introduction du délai supplémentaire de quinze jours pour déposer la déclaration de créance et le rattachement à la présomption irréfragable d’abandon de créance en cas de non-respect de ce dernier délai poursuivent un but légitime d’intérêt général, à savoir assurer l’efficacité du plan de règlement amiable[8]. Enfin, la présomption irréfragable d’abandon de créance est applicable uniquement en cas de non-respect du dernier délai de quinze jours et en cas de respect des mentions obligatoires prévues dans la lettre de rappel. Le créancier peut renverser la présomption de renonciation en cas de force majeure ou d’un cas fortuit.
En conclusion, l’article 1675/9, § 3, du Code judiciaire ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect des biens.
La Cour constitutionnelle décide donc que l’article 1675/9, § 3, du Code judiciaire ne viole pas l’article 16 de la Constitution et l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme.
Pour lire la décision dans son intégralité, téléchargez le PDF
Cour de cassation (3e ch.), 24 juin 2024 (S.23.0075.F)
Créance hypothécaire – Hypothèque – Accessoire de la créance – Déclaration de créance tardive –Présomption de renonciation à la créance ainsi qu’aux accessoires.
Le pourvoi en cassation est introduit par une banque qui est créancière hypothécaire dans le cadre d’une procédure en règlement collectif de dettes. La créance consentie au requérant concernait une ouverture de crédit garantie par des inscriptions hypothécaires portant sur deux immeubles appartenant à ce dernier. Le pourvoi est dirigé contre un arrêt de la cour du travail ayant décidé que ce créancier, compte tenu de sa déclaration de créance tardive, doit être considéré comme ayant non seulement renoncé à sa créance, mais également à sa garantie hypothécaire qui est l’accessoire de celle-ci.
Dans un premier temps, la Cour rappelle les modalités et les obligations qui découlent de l’article 1675/9 du Code judiciaire concernant les déclarations de créance transmises par les créanciers. Elle énonce également le principe de la présomption de renonciation pour le créancier qui viendrait à ne pas communiquer sa créance dans les formes et délais légaux prévus, sans que la preuve contraire de cette renonciation ne puisse être apportée.
La Cour de cassation, à l’instar de la juridiction d’appel, relève qu’il peut être déduit des arguments juridiques soulevés par le créancier, qu’il ne conteste pas que la présomption de renonciation consacrée par l’article 1675/9, § 3 du Code judiciaire en cas de déclaration tardive s’applique également aux sûretés réelles garantissant une créance, bien que cette disposition ne le prévoie pas expressément. Le créancier se contente de soulever qu’une telle interprétation conduit toutefois à une différence de traitement avec le régime juridique applicable en droit de la faillite à ces mêmes sûretés réelles[9], ce qui, selon lui, nécessiterait de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle.
La Cour rappelle, ensuite, qu’en vertu de l’article 90 de la loi hypothécaire, les inscriptions conservent l’hypothèque pendant 30 ans à compter du jour de leur date. Elle poursuit en précisant toutefois que, conformément à l’article 108 de la loi précitée, les hypothèques s’éteignent par l’extinction de l’obligation principale et la renonciation. Par conséquent, la Cour souligne que lorsque le créancier est réputé renoncer à sa créance, il est de même réputé également renoncer à l’hypothèque, qui en est l’accessoire, quand bien même celle-ci a fait l’objet d’une inscription.
Par ces motifs, la Cour décide donc de rejeter le pourvoi introduit par le créancier hypothécaire, sans donner suite à la question préjudicielle suggérée par ce dernier.
Pour lire la décision dans son intégralité, téléchargez le PDF
Cour du travail de Bruxelles (12e ch. extraordinaire), 20 juin 2024 (RG 2023/AB/635)
Réparation d’un préjudice moral – Préjudice lié à la personne – Préjudice extrapatrimonial et non économique – Masse active – Non – Créance alimentaire pas déclarée – Révocation – Non.
Le requérant en règlement collectif de dettes est admis à la procédure le 29 décembre 2020.
Un plan de règlement amiable d’une durée de sept ans est homologué le 1er septembre 2022. Son endettement est de 24.525,78 euros en principal dont 24.423,27 à l’égard du SPF Finances (amendes pénales et SECAL).
L’ex-épouse du requérant, mère de ses deux enfants, sollicite la révocation de la procédure. Elle invoque que le requérant n’a pas déclaré la créance alimentaire de 60.000 euros dont il lui est redevable et qu’il a par ailleurs perçu personnellement et conservé un montant de 4.229,27 euros pour la réparation du préjudice moral liée au décès de leur fils. Le 24 août 2023, le tribunal déclare sa demande recevable, mais non fondée. Il estime que la mauvaise foi du requérant n’est pas établie. La réparation d’un préjudice moral suite au décès d’un enfant est un préjudice lié à la personne, un préjudice extrapatrimonial et non économique. Elle est exclue de la masse active et peut donc être perçue et conservée par le requérant. L’ex-épouse fait appel de ce jugement en réitérant les mêmes arguments.
Pour être admis à la procédure en règlement collectif de dettes, le requérant doit, au moment de la requête, satisfaire à un certain nombre de conditions[10]. La bonne foi procédurale est l’une de ces conditions d’admissibilité. Le requérant devra notamment collaborer avec son médiateur de dettes tout au long de la procédure. Il sera totalement transparent quant à sa situation financière et familiale et informera son médiateur de dettes de tout changement.
En cas de manquement à cette bonne foi procédurale, la révocation[11] de la décision d’admissibilité ou du plan de règlement peut être prononcée par le juge. La révocation n’est pas automatique. Les causes de révocation sont soumises à l’appréciation du juge qui doit en constater le caractère fautif.
Après examen, la Cour confirme le jugement du 24 août 2023.
L’omission de la créance alimentaire n’apparaît pas intentionnelle dans le chef du requérant lequel avait communiqué cette information à son précédent conseil lors de la rédaction de la requête en règlement collectif de dettes. En outre, elle ne semble pas avoir eu de conséquence préjudiciable pour l’ex-épouse qui, bien qu’elle n’ait pas pris l’initiative de déclarer elle-même sa créance alors qu’elle avait connaissance de la procédure, dispose toujours de la possibilité de le faire.
Le requérant a effectivement perçu personnellement et conservé une somme de 4.229,27 euros en 2022. Cette somme constitue une réparation d’un préjudice moral subi à la suite du décès de leur fils. Elle ne fait donc pas partie de la masse active des créances et le requérant pouvait donc la conserver.
Pour lire la décision dans son intégralité, téléchargez le PDF
Tribunal du travail de Liège, division Verviers (3e ch.), 2 septembre 2024 (RG 2018/00132/B)
Décès de la requérante – Fin de la procédure automatique – Sort du disponible se trouvant sur le compte de la médiation – Procédure de faillite et procédure de règlement collectif de dettes en parallèle –Conditions d’admissibilité – Ne pas ou plus avoir la qualité d’entreprise – Priorité à la faillite –Versement sur le compte du curateur.
La requérante a été admise à la procédure en règlement collectif de dettes le 4 juin 2018.
Un plan de règlement amiable a été homologué le 14 janvier 2021. Ce plan avait une durée de sept ans à dater de l’admissibilité et devait se terminer en juin 2025. Il prévoyait le remboursement de la totalité en principal (20.955,65 euros) et la remise des frais et des intérêts. Le crédit hypothécaire continuait à être remboursé à titre de charges mensuelles. Il a été exécuté jusqu’au 17 juillet 2021, date du décès de la requérante. Au 21 octobre 2021, le solde du compte de la médiation était de 19.172,85 euros.
Par un courrier du 8 septembre 2021, le médiateur de dettes est informé par un curateur de la faillite de la société de feu la requérante. Le médiateur de dettes en ignorait totalement l’existence. Cette société a été constituée le 3 juin 2014, soit avant la décision d’admissibilité, et a été déclarée en faillite le 1er février 2021. Selon l’acte d’hérédité dressé par le notaire, la défunte possédait 80 parts sociales de cette société et en était la gérante. Elle était associée avec sa fille. Elles étaient responsables solidairement des dettes contractées par ladite société en faillite. L’ensemble du passif s’élève à 60.128,85 euros. Une somme de 30.000 euros a déjà été prise en charge par la fille de la défunte. Le solde définitif de la créance serait de 30.128,85 euros.
Pour rappel, en cas de décès, la procédure en règlement collectif de dettes prend fin automatiquement. En effet, c’est une procédure volontaire et intuitu personae. Elle ne peut donc se poursuivre en cas de décès[12]. En revanche, rien n’est légalement prévu quant au sort des avoirs disponibles sur le compte de la médiation. Il appartient donc au tribunal, lors du jugement de clôture, de trancher la question de l’affectation du solde du compte de la médiation.
La doctrine et la jurisprudence majoritaire considèrent que deux procédures d’insolvabilité ne peuvent être traitées parallèlement. En effet, l’une des conditions d’admissibilité[13] à la procédure de règlement collectif de dettes est que le requérant ne doit pas ou plus avoir la qualité d’entreprise[14]. La procédure en règlement collectif de dettes et la procédure en faillite ne peuvent donc coexister.
La procédure en faillite est prioritaire sur la procédure en règlement collectif de dettes. En effet, l’accès au règlement collectif de dettes est refusé aux entreprises. Les fonds disponibles sur le compte de la médiation doivent donc être versés sur le compte du curateur après déduction de l’état des frais et honoraires du médiateur de dettes.
Pour lire la décision dans son intégralité, téléchargez le PDF
Christelle Wauthier, collaboratrice juridique à l’Observatoire du crédit et de l’endettement
[1] Art. 1675/9, § 2, CJ.
[2] Voir Cass., 19 mars 2018 (S.17.0038.F).
[3] Art. 1675/9, § 3, CJ.
[4] «Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi et moyennant une juste et préalable indemnité.»
[5] Il offre une protection contre l’expropriation ou la privation de propriété, contre toute ingérence dans le droit au respect des biens et contre toute réglementation de l’usage des biens.
[6] Voir CEDH, 21 juillet 2016 et CEDH, 14 mai 2013.
[7] Voir CEDH (grande chambre), 13 décembre 2016.
[8] Voir Chambre des représentants, projet de loi n°51-1309.
[9] Art. XX. 173, § 1er CDE.
[10] Art. 1675/2 CJ.
[11] Art. 1675/15, § 1er, al. 1, CJ.
[12] Voir J.-C. Burniaux, «Le fil d’Ariane du règlement collectif de dettes», chapitre 8 «Les fins de procédure», p. 636 et suivantes.
[13] Art. 1675/2 CJ.
[14] Art. I.1er, 1°, CDE: on entend par entreprise «chacune des organisations suivantes: (a) toute personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant; (b) toute personne morale; (c) toute autre organisation sans personnalité juridique».