Dans cette rubrique, vous trouverez une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dettes. En voici la recension.
Trib. trav. Liège, div. Dinant (9e ch.), 19 octobre 2023 (RG 23/10/B)
Projet de plan amiable – Contredit des requérants – Pécule de médiation en dessous des seuils insaisissables – Poste alimentation surévalué – Plan judiciaire – Pécule de médiation supérieur au RIS – Seuils insaisissables pas applicables
Les requérants, couple de retraités, ont été admis à la procédure en règlement collectif de dettes le 1er février 2023. Madame perçoit une pension de 212,97 €. Monsieur bénéficie d’une pension de 1.945,98 € et d’une aide aux personnes âgées (APA) d’un montant de 388,25 €. Le 6 avril 2023, le médiateur a établi un projet de plan amiable, d’une durée de sept ans, prévoyant le remboursement intégral de l’ensemble des créanciers.
L’endettement du couple s’élève à 20.560,86 € et le médiateur a fixé le pécule de médiation à 2.200 €. Les médiés contestent le montant de ce dernier. En effet, il est légalement prévu qu’en cas de plan amiable, le montant du pécule doit être au moins égal aux montants insaisissables[1] des revenus des requérants, sauf si ceux-ci marquent leur accord[2]. Par contre, dans un plan judiciaire, le juge peut imposer un pécule de médiation inférieur aux montants insaisissables[3].
Cependant, tant dans un plan amiable que dans un plan judiciaire, le pécule doit toujours, sans dérogation possible, être supérieur aux revenus d’intégration sociale[4].
Dans le cas d’espèce, le juge estime qu’il faut imposer un plan judiciaire. Pour ce faire, il reprend le tableau listant les charges du couple et qui avait été conçu par le médiateur. Le poste «alimentation» lui semble surévalué. En réduisant ce poste de 950 € à 600 €, le juge fixe le pécule à 1.850 €, ce qui permet de dégager un disponible de 250 € pour le remboursement des créanciers.
Avec un pécule de 1.850 €, le juge descend sous les seuils des montants insaisissables, mais est supérieur au revenu d’intégration sociale auquel le couple pourrait prétendre, à savoir 1.651,22 €. Le prescrit de la loi est donc respecté en ce qui concerne le montant minimum absolu à accorder comme pécule de médiation.
Le tribunal ordonne un plan judiciaire d’une durée de 60 mois. Le juge estime qu’il serait inéquitable que les requérants ne remboursent pas l’ensemble de leurs créanciers «alors qu’ils disposent objectivement des moyens financiers pour ce faire». Le juge clôture en précisant que le remboursement total aura très certainement lieu avant l’échéance établie dans le plan.
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Trib. trav. Liège, div. Verviers (3e ch.), 9 octobre 2023 (RG 23/127/B)
Conditions d’admissibilité – Ne pas avoir été révoqué d’une procédure antérieure – Demande de révocation – Non – Rejet
Les requérants ont été admis à la procédure en règlement collectif de dettes en date du 4 août 2023. Le 17 août 2023, le SPF Finances adresse un courrier au médiateur de dettes l’invitant «à solliciter l’annulation de l’admissibilité pour Monsieur, étant donné qu’un jugement de révocation a été prononcé le 27 avril 2020». Le tribunal, sur la base de sa saisine permanente, est amené à se prononcer sur cette demande. Par conséquent, le médiateur propose de révoquer Monsieur de la procédure.
Toute personne ayant été révoquée d’une procédure antérieure «ne peut introduire une requête visant à obtenir un règlement collectif de dettes, pendant une période de cinq ans à dater du jugement de révocation»[5]. Ce délai prend cours à dater du jugement de révocation.
Le juge rappelle les principes en matière de révocation. Elle peut être sollicitée par le médiateur de dettes ou par un ou plusieurs créanciers lorsque le demandeur[6]:
- a remis des documents inexacts en vue d’obtenir ou de conserver le bénéfice de la procédure de règlement collectif de dettes;
- n’a pas respecté ses obligations, sans que surviennent des faits nouveaux justifiant l’adaptation ou la révision du plan;
- a augmenté fautivement son passif ou diminué son actif;
- a organisé son insolvabilité;
- a fait sciemment de fausses déclarations.
Le tribunal précise également que le médié «est soumis à une obligation de bonne foi procédurale et que les manquements à cette obligation entraînent une révocation»[7]. En outre, le manque de bonne foi procédurale implique un «comportement ouvertement cynique, qui néglige délibérément toute préoccupation de paiement»[8].
Le juge mentionne aussi la possibilité de «rejeter» purement et simplement la procédure en règlement collectif de dettes[9]. Cette faculté lui est laissée du moment qu’il est saisi d’une demande, et pas nécessairement d’une demande en vue de mettre fin à la procédure. De plus, un arrêt de la cour du travail de Mons considère qu’il est possible de rejeter la procédure pour une cause de non-admissibilité, si celle-ci n’était pas connue au moment de l’admissibilité[10].
Dans le cas d’espèce, Monsieur est révoqué par un jugement du 27 avril 2020. Il lui a été reproché de graves manquements, notamment la création d’une nouvelle dette au SECAL pour un montant de 4.522,61 €. Sa nouvelle demande en règlement collectif de dettes n’aurait pas dû être considérée comme admissible. Cependant, le tribunal n’ayant pas eu connaissance de cette information, Monsieur a bien été admis à la procédure. Par ailleurs, aucun créancier n’a formé opposition contre l’ordonnance d’admissibilité, qui a donc acquis force de chose jugée.
Le juge précise que la procédure actuelle pourrait faire l’objet d’une révocation. Monsieur a omis volontairement de signaler dans sa requête qu’il avait déjà bénéficié d’une procédure en règlement collectif de dettes et qu’il avait été révoqué au cours des cinq années précédentes. Les requérants ont introduit leur demande en remplaçant sciemment la rubrique 15 relative à la déclaration sur l’honneur d’absence de révocation antérieure par une note relative aux raisons de leur endettement.
Face à pareille situation, le tribunal estime que tant l’élément matériel, à savoir la non-déclaration de la révocation, que l’élément intentionnel, à savoir la manipulation des rubriques, sont présents et pourraient donc mener à une révocation.
Cependant, le juge rappelle que la révocation n’est pas automatique et que le tribunal doit statuer en prenant en compte l’ensemble des circonstances. C’est ainsi que, dans le but «de ne pas créer un nouveau délai artificiel de carence de cinq ans à dater du présent jugement, le tribunal se limitera à rejeter la procédure».
Cette décision du tribunal du travail de Liège prend le contrepied d’un jugement prononcé par le tribunal du travail de Mons en 2012. En effet, le juge montois avait révoqué un médié ayant remis des documents inexacts en vue d’obtenir le bénéfice de la procédure[11].
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Trib. trav. Liège, div. Verviers (3e ch.), 9 octobre 2023 (RG 17/57/B)
Projet de plan amiable – Vente de l’immeuble des requérants – Non – Durée de cinq ans – Remise de dettes – Contredit valable – Relance de la phase amiable
Les requérants ont été admis à la procédure en règlement collectif de dettes le 7 mars 2017. Le médiateur a proposé un plan amiable prévoyant la conservation de l’immeuble des médiés et l’apurement partiel des créanciers. Ce plan impliquait la poursuite du paiement du prêt hypothécaire lié à l’immeuble, avec une somme restant due de 102.535,71 €, ainsi qu’un remboursement des autres créanciers à hauteur de 6,78%, c’est-à-dire pour un montant de 24.791,06 €.
Peu de temps plus tard, ils se séparent et entament une procédure de divorce. Madame se désiste de la procédure le 12 juin 2017. Monsieur n’habitant plus dans l’immeuble, il n’avait plus de raison de rembourser le prêt hypothécaire, d’autant plus qu’il devait se reloger ailleurs. Madame poursuit le remboursement des mensualités, tout en contractant, en parallèle, un nouveau prêt pour des travaux dans l’immeuble.
La procédure de divorce suivant son cours, la vente de l’immeuble était prévue, mais le couple décide finalement de se remettre en ménage à une date inconnue. Madame sollicite un nouveau règlement collectif de dettes. Elle est admise à la procédure le 5 octobre 2018. Un autre médiateur de dettes est désigné, le couple de médiés ayant dès lors chacun un médiateur différent.
Suite à ce changement de situation, un nouveau plan amiable, d’une durée de cinq ans, a été rédigé pour les deux médiations. Il prévoit, à nouveau, le remboursement du prêt hypothécaire, mais surtout le remboursement partiel des autres créanciers à hauteur de 14,51% des montants dus, et ce, par le paiement unique de la somme de 10.000 €. Ce plan a été notifié aux créanciers le 22 novembre 2022.
Un contredit a été formé par la banque B. Elle souhaiterait une augmentation de la durée du plan, voire la vente de l’immeuble, ce que les médiateurs estiment être impossible. Ces derniers sont d’ailleurs d’avis que le contredit doit être considéré comme abusif ou inadéquat et demandent au juge d’homologuer le plan tel qu’il a été conçu.
Le tribunal rappelle les principes concernant la durée du plan amiable. Celui-ci ne peut pas dépasser sept ans «à moins que le débiteur n’en sollicite la prolongation de manière expresse et motivée, en vue de sauvegarder certains éléments de son patrimoine et afin d’assurer le respect de la dignité humaine»[12].
En cas de contredit, l’homologation du plan amiable n’est pas envisageable[13]. Cependant, le juge peut rétablir les intérêts des parties, soit en imposant un plan judiciaire, soit en homologuant le plan amiable en considérant le contredit comme abusif ou en l’écartant, car il aurait été illégalement formé.
Dans le cas d’espèce, le tribunal considère qu’il n’est pas opportun de vendre l’immeuble des médiés. Il en va, tout d’abord, de la dignité humaine de cette famille vivant dans un bâtiment modeste avec leurs trois enfants. Ensuite, le produit de la vente éventuelle ne permettrait pas de dégager un solde suffisant par rapport aux désavantages causés, notamment la difficulté de se reloger à un coût inférieur à la mensualité du prêt hypothécaire.
Le juge poursuit en précisant que «la conservation du patrimoine exige dans le chef du débiteur des efforts accrus quant à la durée du plan»[14]. Le tribunal constate que les médiateurs ont prévu un plan d’une durée de cinq ans alors qu’ils pouvaient établir un plan de sept ans qui aurait sans doute rencontré les exigences du créancier contredisant. La complexité de l’affaire ne justifie en rien, d’après le juge, une durée plus courte pour ce plan amiable.
En ce qui concerne le calcul du disponible, le tribunal signale qu’il y a moyen de doubler le montant à dédier au remboursement des créanciers. De plus, il estime que la proposition de paiement unique de 10.000 € est incohérente, dans le sens où le compte de médiation est déjà actuellement crédité de plus de 19.000 €.
En conclusion, le juge acte le contredit de la banque B et n’homologue pas le plan proposé. Le délai prévu pour l’établissement d’un plan judiciaire n’étant pas prescrit à peine de nullité, le tribunal n’est pas tenu d’élaborer un plan judiciaire et renvoie à la phase amiable, estimée plus favorable aux intérêts tant des créanciers que des débiteurs[15]. Le tribunal invite les médiateurs à prendre en compte les différentes remarques dans l’établissement de leur nouveau plan.
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Stéphane Faivre, juriste à l’Observatoire du crédi
[1] Articles 1409 à 1412 du Code judiciaire.
[2] Article 1675/9, §4 du Code judiciaire.
[3] Articles 1675/12, §4 et 1675/13, §5 du Code judiciaire.
[4] Articles 1675/9, §4; 1675/12, §4 et 1675/13, §5 du Code judiciaire.
[5] Article 1675/2, al 3, du Code judiciaire.
[6] Article 1675/15, §1er du Code judiciaire.
[7] C. Bedoret, «Le RCD et la révocation», Bulletin social et juridique, mai 2008-1, p. 387.
[8] J.-L. Aubert, obs. sous Cass. fr. civ., 1re, 4 avril 1991, Defrénois, 1991, art. 35062, n°47.
[9] Articles 1675/7, §4 et 1675/14, §3 du Code judiciaire.
[10] C. trav. Mons, 26 juillet 2017 (RG 2017/BM/10), inédit consultable sur JuriObs.
[11] TT Mons, 14 février 2012, RR 11/452/B, cité in Chronique de jurisprudence 2012-2017, sous la coordination de F. Burniaux, éd. Larcier, 2019, p. 356.
[12] Article 1675/10, § 6 du Code judiciaire.
[13] Selon le principe de l’autonomie de la volonté: c. trav. Liège, division Liège, 5e ch., 10 juillet 2018, RG 2018/AL/291.
[14] C. Bedoret et J.-C. Burniaux, «Inédits de RCD», JLMB, Inédit IV-1re part., 2017/38, p. 1819.
[15] C.T. Liège, 4 novembre 2014, RG 2014/AL/373, in Le règlement collectif de dettes – Chronique de jurisprudence 2011-2017 sous la coord. de F. Burniaux, éd. Larcier, 2019, p. 130.