Voici une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles, en l’occurrence en degré d’appel et devant la Cour constitutionnelle. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dettes, et présentées au comité de rédaction de la revue pour sélection. En voici la recension.
Cour du travail de Liège, div. Namur (7e ch.), 23 juillet 2018, RG: 2018/AN/8
La Cour confirme le jugement ordonnant un plan de règlement judiciaire fondé sur l’article 1675/12 du Code judiciaire, sans imposer la vente de l’immeuble du médié. Même si la vente de l’immeuble permettrait au créancier hypothécaire[1]de récupérer sa créance plus rapidement, le vœu du législateur quant à la notion de vie conforme à la dignité humaine ne serait pas respecté dès lors que la mensualité du crédit d’habitation est inférieure au montant d’un loyer «habituel» pour un logement de ce type.
Le débiteur est admis au bénéfice de la procédure en règlement collectif de dettes en mai 2013. Il vit dans un immeuble acheté avec son ancienne épouse et évalué à la somme de 80.000 à 90.000 €. Le médiateur de dettes a élaboré et proposé un plan de règlement amiable qui s’est heurté aux contredits de deux créanciers: le créancier hypothécaire et le SPF Finances. Un procès-verbal est dès lors déposé au tribunal.
Le premier juge ordonne un plan de règlement judiciaire avec une remise partielle de dettes (article 1675/12 du Code judiciaire) et précise qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la vente de l’immeuble du débiteur. Il fixe le pécule de médiation à 860 €/mois et autorise le médiateur à libérer mensuellement la somme de 415,17 € en faveur du créancier hypothécaire pour le crédit d’habitation. De plus, il autorise le médiateur à payer les arriérés de ce crédit hypothécaire d’un montant de 23.249,52 € (mensualités de mai 2013 à décembre 2017). Ce plan est fixé pour une durée maximale de 180 mois (soit 15 ans) à dater du jugement du 5 décembre 2017.
Le créancier hypothécaire interjette appel du jugement. Il sollicite de la Cour qu’elle ordonne, avant l’élaboration de tout plan, la vente de l’immeuble du débiteur.
La Cour constate que, bien que le débiteur n’ait plus payé son crédit d’habitation depuis 2013, personne n’a déposé de requête en révocation. Elle en déduit qu’aucune partie n’a estimé qu’il avait augmenté fautivement son passif. Elle souligne les efforts du débiteur, malgré les revirements dans sa situation professionnelle, d’avoir accepté de diminuer drastiquement son pécule de médiation.
En outre, la Cour constate que les arriérés des mensualités hypothécaires ont été apurés grâce aux fonds thésaurisés sur le compte de médiation. Les mensualités du crédit d’habitation sont, quant à elles, payées à date fixe depuis janvier 2018. Au jour de l’audience, le débiteur est toujours redevable de la somme de 71.148,24 €, dont 42.529,68 € au créancier hypothécaire pour le crédit d’investissement et le solde du crédit d’habitation (celui-ci ne s’élevant plus qu’à 3.856,78 € en capital).
La Cour confirme le jugement de première instance. Consciente que toutes les parties doivent trouver une solution juste et équilibrée, elle estime qu’il ne peut être reproché au médié de refuser la vente de son immeuble pour lequel il paye une mensualité hypothécaire de 415,17 €, soit un montant inférieur au montant d’un loyer «habituel» pour une maison de deux chambres. De plus, dans six mois, la créance en capital du crédit d’habitation sera remboursée.
Dès lors, la Cour estime que le créancier hypothécaire ne subit pas de préjudice démesuré. La vente de l’immeuble lui permettrait de récupérer plus rapidement le montant de sa créance, certes. Cela étant, le vœu du législateur quant à la notion de vie conforme à la dignité humaine ne serait pas respecté puisqu’une telle décision reviendrait à obliger le débiteur à louer un logement pour un montant supérieur.
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Cour constitutionnelle, 4 octobre 2018, RG: 6627 n°118/2018
La Cour constitutionnelle se rallie aux enseignements de la Cour de cassation du 5 janvier 2015 et du 8 janvier 2018 qui plaident en faveur de l’application des causes légales ou conventionnelles de préférence lors de la répartition du solde du compte de médiation en cas de révocation ou de fin de règlement.
Le tribunal du travail prononce la révocation de la décision d’admissibilité et décide que le solde du compte de médiation sera réparti entre tous les créanciers sans tenir compte des causes légales ou conventionnelles de préférence.
L’État belge interjette appel de la décision. La cour du travail est alors confrontée à une divergence de doctrine et de jurisprudence quant à l’interprétation à donner à l’article 1675/15, §2/1 et 3 du Code judiciaire, lequel stipule:
«§2/1. En cas de révocation conformément au §1erou dans le cas où il est mis fin au règlement collectif de dettes conformément au §1er/1, le juge décide concomitamment du partage et de la destination des sommes disponibles sur le compte de la médiation;
- 3. En cas de révocation ou dans le cas où il est mis fin au règlement collectif de dettes, et sans préjudice du §2/1, les créanciers recouvrent le droit d’exercer individuellement leur action sur les biens du débiteur pour la récupération de la partie non acquittée de leurs créances.»
Deux écoles s’affrontent: la répartition au marc l’euro, respectant le principe d’égalité des créanciers et la répartition par contribution, respectant les causes légitimes de préférence.
La Cour décide de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle. La question est donc de savoir si le fait de tenir compte ou non des causes légales de préférence lors de la répartition du solde du compte de médiation en cas de révocation ou de fin de règlement ne viole pas les principes d’égalité et de non-discrimination garantis par les articles 10 et 11 de la Constitution.
La Cour rappelle l’objectif poursuivi par la procédure, à savoir rétablir la situation financière du débiteur en lui permettant notamment de payer ses dettes tout en lui garantissant une vie conforme à la dignité humaine. La procédure permet de soustraire le débiteur à la pression anarchique de ses créanciers.
La Cour se fonde sur les travaux préparatoires de la loi du 14 janvier 2013, laquelle a modifié la loi sur le règlement collectif de dettes, et notamment ajouté le §2/1 à l’article 1675/15 du Code judiciaire. Si la volonté du législateur a pu être d’éclaircir cette controverse, la Cour constate qu’in fine, elle n’a pas réglé la question complexe de la répartition du solde du compte de la médiation, laissant cette faculté au juge du règlement collectif de dettes.
«Les mots “conformément aux règles du droit commun du concours, sous réserve des causes légales ou conventionnelles de préférence” sont supprimés. Cette modification visait à assurer la sécurité juridique en mettant fin à la discussion actuellement menée sur la question de savoir […]si le juge doit, lors du partage, tenir compte du droit commun et des sûretés et privilèges de certains créanciers. Il s’agit d’une question complexe ayant des conséquences pratiques très importantes […]. Il n’est dès lors pas opportun de régler cette question dans le cadre de cette proposition de loi.»(Doc. Parl., Chambre, 2012-2013, DOC 53-1804/015, p. 38.)
La Cour constitutionnelle se rallie aux enseignements de la Cour de cassation du 5 janvier 2015 et du 8 janvier 2018 qui plaident en faveur de l’application des causes légales ou conventionnelles de préférence.
En effet, selon elle, la révocation doit être considérée comme la cause et le préalable de la liquidation du compte de médiation. Compte tenu d’une révocation imputable au débiteur, il faut considérer que l’objectif de protection recherché par la loi disparaît, tout comme les mesures dérogatoires au droit commun telles que le principe d’égalité des créanciers. Dès lors, le fait de répartir le solde du compte de la médiation, suite à une révocation, en tenant compte des causes légales ou conventionnelles de préférence ne viole pas les principes d’égalité et de non-discrimination. Toute autre interprétation serait à l’origine d’une différence de traitement injustifiée entre les créanciers privilégiés et les créanciers ordinaires.
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Cour du travail de Bruxelles (12ech.), 9 octobre 2018, RG: 2018/BB/12
La Cour considère que la requérante, bien que gérante de la société, exerce son mandat à titre gratuit, ce qui n’est ni une activité professionnelle ni une activité économique. S’applique donc à elle la loi sur le règlement collectif de dettes et non la loi sur l’insolvabilité des entreprises.
Les requérants, mariés sous le régime de la séparation de biens, ont introduit une requête en règlement collectif de dettes. Après examen de leur situation, il en ressort que le requérant a constitué une première société, en aveu de faillite depuis 2011. Au jour du dépôt de la requête, la faillite n’est pas encore clôturée en raison des défaillances reconnues du curateur. Suite à cela, la requérante a constitué une nouvelle société, dont elle est gérante à titre gratuit, afin de permettre au requérant de retrouver du travail et de générer de nouveaux revenus. Ainsi, le requérant est employé par la société de la requérante en qualité d’ouvrier et la requérante, outre sa qualité de gérante, est employée par une société de nettoyage.
Le tribunal du travail refuse aux requérants le bénéfice de la procédure en règlement collectif de dettes aux motifs qu’ils ont manifestement organisé leur insolvabilité et que Madame, par sa qualité de gérante, doit être considérée comme une entreprise selon l’article I.1. du Code de droit économique. Le Tribunal considère que la procédure d’insolvabilité à respecter relève de la compétence du tribunal de commerce, tant pour Madame que pour Monsieur, gérant de fait de la société vis-à-vis de laquelle le tribunal estime qu’il n’est nullement engagé dans un lien de subordination.
Les requérants interjettent appel de la décision.
Quant à l’organisation d’insolvabilité, la Cour considère qu’il ne peut être retenu dans le chef des requérants une telle organisation. Au contraire, la constitution de la nouvelle société a permis de créer une nouvelle condition de travail à Monsieur. Il n’y avait d’ailleurs aucune autre solution compte tenu du retard dans la clôture de la faillite. La Cour souligne en outre ne pas être saisie de la qualification de la nature du travail de Monsieur et de l’existence ou non d’un lien de subordination.
Quant à la notion d’entreprise, la Cour détaille le nouveau régime prévu par le Code de droit économique: la notion de «commerçant» est remplacée par la notion «d’entreprise» qui présente un champ d’application nettement plus étendu, puisque cette notion intègre à présent toute personne physique qui exerce, à titre indépendant, une activité professionnelle. Cependant, la Cour considère que la requérante, bien que gérante de la société, exerce son mandat à titre gratuit, ce qui n’est ni une activité professionnelle ni une activité économique. S’applique donc à elle la loi sur le règlement collectif de dettes, et non la loi sur l’insolvabilité des entreprises. Quant à Monsieur, son statut ne pose pas de problème dès lors que la Cour n’a pas à remettre en cause l’existence concrète ou non d’un lien de subordination avec la société qui l’emploie.
Néanmoins, la Cour ne s’estime pas suffisamment convaincue de l’exigence de bonne foi procédurale. Des questions émergent quant au fonctionnement de la société nouvelle et la situation professionnelle du requérant (salaire, avantage en nature…). En outre, la Cour s’interroge sur le montant des affectations financières optimales pour le remboursement des créanciers. Compte tenu de ces questionnements, la Cour ordonne une réouverture des débats.
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Cour du travail de Liège, div. Namur (7ech.), 18 octobre 2018
Le tribunal, qui ne peut pas prononcer d’office la révocation, ne peut pas utiliser le rejet comme substitut de la révocation et motiver son fondement sur la base des mêmes motifs que ceux qui entraînent la révocation.
La Cour réforme le jugement de première instance qui rejette le débiteur de la procédure en règlement collectif de dettes au motif de l’existence de nouvelles dettes post-admissibilité, alors qu’il était saisi d’une requête en homologation d’un plan de règlement amiable accepté par toutes les parties.
La Cour constate que le plan de règlement amiable a été approuvé par toutes les parties et que la condition imposée par l’un des créanciers, à savoir d’effectuer des recherches d’emploi, a été respectée par le débiteur.
Ni le créancier ni le médiateur n’ont demandé la révocation en raison des dettes post-admissibilité. La Cour rappelle que le rejet ne peut devenir un substitut de la révocation et trouver son fondement dans les mêmes circonstances que celles qui entraînent la révocation, et ce au motif que l’article 1675/15 du Code judiciaire prévoit qu’elle ne peut être prononcée qu’à la demande du médiateur ou d’un créancier. Il n’y a dès lors pas lieu de rejeter le débiteur de la procédure mais bien d’homologuer le plan de règlement amiable.
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Eléonore Dheygere,
juriste à l’Observatoire du crédit et de l’endettement
[1]Le même créancier détient une hypothèque sur l’immeuble pour le crédit d’achat de celui-ci et pour un crédit d’investissement.