Dans cette rubrique, vous trouverez une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dette. En voici la recension.
Cour constitutionnelle, 21 octobre 2021 (n°151/2021)
Faillite – Effacement de la dette – Introduction de la demande – Article XX.173, §2 CDE – Délai de forclusion de trois mois – Question préjudicielle – Arrêt de la Cour constitutionnelle du 22 avril 2021 (n°62/2021) – Violation des articles 10 et 11 de la Constitution – Annulation de la disposition
La Cour constitutionnelle est saisie d’un recours en annulation de l’article XX.173, §2, du Code de droit économique (CDE). À l’appui de son recours, la partie requérante, failli-personne physique, fait référence au dispositif d’un arrêt antérieur de la Cour du 22 avril 2021[1]. Pour rappel, cet arrêt dispose que l’article précité doit être jugé inconstitutionnel en ce qu’il prévoit que le failli perd irrévocablement le droit à l’effacement s’il n’introduit pas sa requête le sollicitant dans le délai de forclusion de trois mois après publication du jugement de faillite.
Avant toute chose, la Cour rappelle que, d’un point de vue procédural, toute personne physique ou morale qui justifie d’un intérêt dispose d’un délai de six mois pour introduire un recours en annulation d’une loi lorsque la Cour, appelée à statuer sur une question préjudicielle, a déclaré que celle-ci viole une des règles ou un des articles de la Constitution[2].
Appelée donc dans un premier temps à se prononcer à nouveau sur la légalité de l’article XX.173, §2 CDE, la Cour revient sur la motivation développée dans l’arrêt n°62/2021 du 22 avril 202, lequel fait état de manière résumée que:
- l’objectif «essentiel» de l’effacement est de «promouvoir la seconde chance qui encourage l’entrepreneuriat et permet un nouveau départ»[3];
- les travaux préparatoires n’expliquent pas pourquoi le législateur conditionne l’effacement des dettes à une demande expresse du failli, ni pourquoi cette demande est soumise à un délai de forclusion de trois mois;
pourrait être jugée discriminatoire l’application d’un délai de forclusion qui entraîne une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées;
- il s’avère que le moment où le failli demande l’effacement n’a pas d’impact sur la gestion de la masse, sur la déclaration et sur la vérification des créances ou sur la liquidation de la faillite;
- l’application de cette disposition compromet l’objectif de promouvoir l’entrepreneuriat de la seconde chance;
- les conséquences en cas de dépassement du délai de forclusion de trois mois ont des effets disproportionnés pour le failli-personne physique, lequel perd toute possibilité qu’un juge se prononce sur l’effacement de ses dettes, mais également pour le conjoint, l’ex-conjoint, le cohabitant légal ou l’ex-cohabitant légal pour les dettes contractées pendant le mariage ou la cohabitation légale;
- dans ces conditions, le délai de forclusion en cause ne saurait être considéré comme une mesure pertinente en vue d’un règlement rapide de la faillite.
Par conséquent, réaffirmant, sur la base de ces motifs, le caractère inconstitutionnel de l’article XX.173, §2 du Code de droit économique, la Cour fait droit à la demande qui lui est soumise. Elle prononce l’annulation de cette disposition, en ce qu’elle prévoit que le failli-personne physique qui n’introduit pas une requête en effacement du solde des dettes dans le délai de forclusion de trois mois après la publication du jugement de faillite perd irrévocablement le droit à cet effacement.
On soulignera toute l’importance de cet arrêt pour le débiteur failli et les praticiens du droit de l’insolvabilité. En effet, l’article 16 de la loi spéciale du 16 janvier 1989[4] prévoit que les décisions judiciaires (passées en force de chose jugée[5]) qui ont été fondées sur une disposition légale faisant ensuite l’objet d’une annulation par la Cour constitutionnelle peuvent être rétractées en tout ou en partie, à la demande de ceux qui en étaient partie.
Autrement dit, dans ce cas, un juge pourra rendre une nouvelle décision en se fondant sur une autre cause ou sur une qualification juridique différente de celle invoquée dans la décision en question. La demande en rétractation doit être introduite par citation devant l’instance qui a rendu la décision initiale. Attention toutefois que celle-ci doit, sous peine de déchéance, être portée devant la juridiction compétente dans les six mois à dater de la publication dudit arrêt au Moniteur belge.
L’arrêt du 21 octobre 2021 ayant été publié le 13 décembre dernier, tout débiteur failli concerné par une décision ayant refusé de lui accorder l’effacement au motif du dépassement du délai de forclusion de trois mois, pourra donc introduire une demande en rétractation devant le tribunal de l’entreprise qui a rendu cette décision jusqu’au 12 juin 2022 au plus tard.
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Cour d’appel de Liège (7e chambre civile D.), 7 septembre 2021 (2021/RG/208)
Faillite – Effacement de la dette – Demande d’effacement – Article XX.173, §2, CDE – Délai de forclusion de trois mois – Demande tardive – Arrêt de la Cour constitutionnelle du 22 avril 2021 (n°62/2021) – Jugement réformé – Effacement accordé
L’appelant est déclaré en faillite le 15 février 2019 par le tribunal de l’entreprise de Liège, division de Neufchâteau. Il introduit une requête en effacement de ses dettes le 18 décembre 2020. Par jugement du 5 février 2021, le tribunal constate que le délai de forclusion de trois mois est dépassé et que, par conséquent, sa demande est tardive. Le failli fait appel de cette décision et demande le bénéfice de l’effacement des dettes.
Pour rappel, dans son arrêt du 22 avril 2021 (n°62/2021)[6], la Cour constitutionnelle a jugé que le délai de forclusion de trois mois viole le principe d’égalité et de non-discrimination:
«(…) B.5.4. Par ailleurs, le dépassement du délai de forclusion en cause produit des effets disproportionnés pour le failli-personne physique qui perd de ce fait toute possibilité qu’un juge se prononce sur l’effacement du solde de ses dettes et qui doit dès lors irrévocablement continuer à supporter sur l’ensemble de son patrimoine les dettes qui n’ont pas été réglées par la liquidation de la masse.
B.5.5. La disposition en cause a également des effets disproportionnés pour le conjoint, l’ex-conjoint, le cohabitant légal ou l’ex-cohabitant légal du failli qui est obligé personnellement à la dette contractée par le failli du temps du mariage ou de la cohabitation légale».
En conséquence, la Cour réforme le jugement et, en l’absence de contestation, accorde l’effacement total des dettes au failli. Celui-ci est exempt du paiement du droit de mise au rôle[7]. Le curateur, en sa qualité de mandataire de justice, ne peut pas demander l’indemnité de procédure.
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Tribunal du travail du Hainaut (division de Charleroi, 5e ch.), 18 novembre 2021 (RG 11/107/B)
Règlement collectif de dettes – Déclaration de créance tardive – Détermination du pécule de médiation – Plan judiciaire – Durée – Prise de cours – Vente de l’immeuble de la requérante – Faillite – Effacement de la dette – Bénéfice pour l’ex-conjoint – Égalité des créanciers – Remboursement des créances inférieures à 1.000 €
La requérante est en règlement collectif de dettes depuis le 4 avril 2011. Son ex-mari était commerçant en personne physique et a été déclaré en faillite le 1er février 2010. En cours de procédure, les immeubles qu’elle avait achetés avec son ex-mari ont été vendus. Elle est propriétaire de l’immeuble où elle vit. Cet immeuble est hypothéqué au profit de la banque, créancière hypothécaire. L’hypothèque couvre toutes les dettes à l’égard de cette banque, y compris les dettes communes. Son ex-mari possède un immeuble à l’étranger qui doit être vendu dans le cadre de la faillite.
Un plan amiable a été proposé en 2019. La banque a fait un contredit. Le 30 septembre 2020, la médiatrice a déposé un procès-verbal de carence. Elle propose d’imposer un plan judiciaire.
1° Les déclarations de créance
- La requérante et son ex-mari ont une dette commune qui découle d’un jugement du tribunal du commerce. Dans un plan 13, seul le principal des dettes est admis. À l’examen de la déclaration, la somme reprise englobe une clause pénale. Le tribunal en réduit donc le montant.
- La déclaration de créance[8] doit être transmise au médiateur dans le mois de la décision d’admissibilité, soit par recommandé, soit par déclaration dans ses bureaux. À défaut de déclaration dans le mois, le médiateur informe le créancier par recommandé qu’il dispose d’un dernier délai de 15 jours. Passé ce délai, il est présumé renoncer à sa créance. En l’espèce, l’un des créanciers a reçu le rappel le 18 juillet 2011. Il a transmis sa déclaration le 15 octobre 2012. Cette déclaration est tardive. Ce créancier est réputé avoir renoncé à sa créance.
2° Le pécule de médiation
Il faut tenir compte de la situation réelle pour fixer un pécule de médiation. La requérante vit avec un seul de ses enfants. Les impôts post-admissibilité ne doivent plus être budgétisés car ils sont payés par le compte de médiation. Elle perçoit directement la pension alimentaire et les chèques-repas. Ses charges sont donc revues à la baisse. Le pécule de médiation est fixé en fonction des sommes qu’elle perçoit directement.
3° La vente de l’immeuble de la requérante
La remise de dettes en capital est conditionnée par la vente de tous les biens saisissables[9]. Dans la pratique, lorsque la vente de l’immeuble n’a pas d’intérêt économique, un plan judiciaire sans vente de l’immeuble peut être envisagé pour éviter de détériorer la situation du débiteur[10]. De même, lorsque le créancier hypothécaire ne le demande pas, il n’y a pas lieu de vendre un immeuble affecté d’une hypothèque si le solde du crédit est égal à la valeur vénale du bien alors que la mensualité est inférieure à un loyer pour un logement semblable[11]. La mensualité hypothécaire peut également être intégrée dans les charges incompressibles d’un plan judiciaire[12].
En l’espèce, les immeubles en indivision ont été vendus. En règlement collectif de dettes depuis plus de 10 ans, la requérante souhaite conserver son immeuble. En outre, la faillite de son ex-mari n’est pas encore clôturée et le curateur ne répond pas aux interpellations du médiateur.
Le tribunal estime qu’il ne dispose pas de toutes les informations pour trancher la question. En effet, il ignore l’état d’avancement de la faillite, notamment sur la vente de l’immeuble et sur une éventuelle demande d’effacement. Pour rappel, celui-ci profite également au conjoint et à l’ex-conjoint du failli[13].
Le tribunal recourt aux mesures de production de documents[14]. Il invite le curateur à remettre, dans un délai de deux mois, les trois derniers rapports annuels et une note d’état d’avancement de la faillite qui précise si l’immeuble est vendu et si une demande d’effacement est introduite. Une réouverture des débats est ordonnée.
4° Le plan judiciaire.
Pour rappel, un plan judiciaire avec une remise de dettes partielle peut avoir une durée de trois à cinq ans. La durée est appréciée[15]en fonction de l’âge du requérant, de l’importance de l’endettement, des capacités de remboursement, de son état de santé, des efforts consentis, de l’existence de dettes incompressibles… Le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation sur la date de prise de cours du plan. Il peut décider qu’il prend cours à la date du jugement ou rétroactivement si la réserve du compte de médiation permet d’apurer significativement l’endettement[16].
En l’espèce, le tribunal fixe la durée du plan à cinq ans, mais il ne fixe pas la prise de cours du plan. Vu le solde du compte de médiation, une rétroactivité pourrait être accordée, mais tout dépendra des informations fournies par le curateur et la position du créancier hypothécaire. Le tribunal fixera la date de prise de cours du plan ultérieurement.
Le plan judiciaire prévoit aussi un remboursement partiel des créances inférieures à 1.000 €. Le solde du compte de médiation est de 54.149 €. Le passif admis est de 405.000 € en principal. Pour réduire les frais de médiation et pour respecter le principe d’égalité entre les créanciers[17], le tribunal décide que la médiatrice payera, en une seule fois, la moitié de ces créances en principal.
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Cour du travail de Liège (division Namur, 7e ch.), 13 septembre 2021 (RG 2021/AN/10)
Règlement collectif de dettes – Plan judiciaire – Révocation – Non-respect du plan – Refus de vendre l’immeuble – Mauvaise foi procédurale – Appel – Jugement exécutoire par provision – Vente de l’immeuble sans autorisation du tribunal – Suspension du cours des intérêts – Jugement réformé
Les requérants sont en règlement collectif de dettes depuis le 11 avril 2014. Leur endettement découle de la faillite de la société dont le requérant était gérant. Le couple s’était porté caution solidaire des prêts conclus par cette société. Ils sont propriétaires d’un immeuble évalué à 300.000 €. Le vendre leur permettrait de rembourser la totalité de leurs dettes.
Le médiateur a proposé un plan amiable. Il prévoyait une retenue mensuelle de 800 € et la vente de l’immeuble si les retenues ne permettaient pas le remboursement intégral des dettes après quatre ans. Deux contredits ont été formulés. Le tribunal les a jugés abusifs. Vu la diminution de leurs revenus, le tribunal a imposé un plan judiciaire de 53 mois à dater du P-V de carence, soit le 15 janvier 2015. Un premier dividende était réparti entre les créanciers, les ressources supérieures au pécule de médiation étaient retenues et l’immeuble vendu si le principal n’était pas remboursé au 1er juillet 2018.
En avril 2018, le médiateur constate que le remboursement prévu est impossible. Il invite les requérants à vendre leur immeuble ou à demander la fixation du dossier pour difficultés. En août 2018, il informe le tribunal que les requérants privilégient le rachat de l’immeuble par leurs enfants. En septembre 2019, ils demandent l’autorisation d’emprunter pour rembourser l’intégralité de leur endettement. En février 2020, le principal créancier demande la révocation. Il estime que le plan judiciaire n’est pas respecté vu que l’immeuble n’est pas vendu.
Le 14 décembre 2020, le tribunal du travail de Liège, division Namur, a révoqué la décision d’admissibilité au motif que les requérants ont refusé de vendre leur immeuble tout en envisageant de contracter un nouveau crédit. Le tribunal a estimé que leur attitude était fautive et contraire à la bonne foi procédurale. De plus, le plan n’a pas été respecté car l’immeuble n’a pas été pas vendu comme convenu.
Les requérants font appel de ce jugement. Ils contestent la mauvaise foi procédurale. Ils soulignent l’importance du solde du compte de médiation (89.396,54 €) et rappellent avoir cherché des solutions pour rembourser leurs dettes tout en conservant l’immeuble familial. Ils demandent également une remise des frais, intérêts et accessoires.
Depuis le jugement de révocation, ils ont décidé de vendre leur maison. Se basant sur le caractère exécutoire de la décision de révocation, ils ont estimé qu’il n’était pas nécessaire de demander l’autorisation du tribunal. Ils informent le tribunal de la signature d’un compromis de vente et en déposent la copie.
Le principal créancier demande la confirmation du jugement. Il considère que le plan judiciaire n’a pas été respecté. Seuls 4,95% de sa créance sont remboursés et l’immeuble n’a pas été vendu. De plus, il rappelle que la révocation met un terme aux effets de la décision d’admissibilité. La demande de remise des frais, intérêts et accessoires doit donc être refusée.
En l’espèce, les requérants devaient vendre leur immeuble. Comme ils refusaient de le faire, ils répondaient aux conditions[18] de la révocation. Depuis, ils ont vendu celui-ci. La Cour décide donc de réformer le jugement de révocation. La procédure est maintenue jusqu’au versement du solde du prix de vente sur le compte de médiation et le remboursement de l’ensemble des créanciers par le médiateur. De plus, les requérants conservent la remise des intérêts, frais et accessoires.
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Christelle Wauthier,
collaboratrice juridique à l’Observatoire du crédit et de l’endettement
[1] C.c., 22 avril 2021 (n°62/2021) – publié dans les Échos du crédit et de l’endettement n°70, p. 23 et disponible en intégralité sur https://observatoire-credit.be/fr/juriobs/383/cc-22-avril-2021-n622021.
[2] Art. 4, al. 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle.
[3] Doc. parl., Chambre, 2016-2017, 54-2407/001, p. 3.
[4] Loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, MB, 7 janvier 1986, p. 315.
[5] Autrement dit plus susceptibles d’un recours en appel.
[6] CC, 22 avril 2021 (n°62/2021) – https://observatoire-credit.be/fr/juriobs/383/cc-22-avril-2021-n622021.
[7] Art. 279.1, 4°, Code des droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe.
[8] Art. 1675/9 CJ.
[9] Art. 1675/13, §1er, CJ.
[10] Le règlement collectif de dettes, J.-L. Denis, M.-C. Boonen et S. Duquesnoy, Waterloo, Kluwer, 2010, p. 113; Cass., 3 juin 2013 (S.11.0145)
[11] Liège (13e ch.), 17 décembre 2002, JLMB 2003, p. 272.
[12] Civ. Mons (saisies), 7 décembre 2006, JLMB 2007, p. 1196; Civ. Mons (saisies), 7 novembre 2006, Rev. not. B. 2007, liv. 3010, p. 419; Civ. Mons (saisies), 3 mars 2005, Ann. jur. Crédit 2005, p. 248; Civ. Marche-en-Famenne (saisies), 3 octobre 2006, Ann. jur. Crédit 2006, p. 333; T. trav. Charleroi (5e ch.), 31 mai 2012 (RG 10/540/B, inédit).
[13] Art. XX.174, al. 1, CDE.
[14] Art. 877 et 878 du CJ.
[15] Le règlement collectif de dettes ou la vénus de Milo, Ch. Bedoret, RDS, 2013, p. 596.
[16] Op. cit., p. 599-600.
[17] Art. 1675/7, §1 et §3, CJ.
[18] Art. 1675/15 CJ.