Dans cette rubrique, vous trouverez une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dettes. En voici la recension.
Cour constitutionnelle, 30 juin 2022 (n°92/2022)
Révocation – Notification sous pli judiciaire – Article 1675/16 CJ – Absence d’indication des voies de recours, de leurs délais d’introduction et de la juridiction compétente – Nullité – Non-Droit d’accès au juge – Information du justiciable –Violation des articles 10 et 11 de la Constitution.
Le requérant est admis à la procédure le 4 juin 2018. Il en est révoqué le 5 novembre 2021. Le jugement lui est notifié par pli judiciaire conformément à l’article 1675/16 du Code judiciaire. Il fait appel le 20 décembre 2021.
Le médiateur conteste la recevabilité de l’appel quant au délai d’introduction. Le requérant fait valoir que le pli judiciaire ne mentionnait ni les voies de recours et leurs délais d’introduction ni la dénomination et les coordonnées de la juridiction compétente[1]. La cour du travail fait état d’un arrêt du 10 février 2022[2] de la Cour constitutionnelle qui a jugé que la signification d’un jugement, comme prévu par l’article 43 du Code judiciaire, qui ne prévoit pas la mention de ces informations, viole les articles 10 et 11 de la Constitution.
Par analogie, la Cour pose une question préjudicielle relative à l’article 1675/16 du Code judiciaire. D’une part, sur sa compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution puisqu’il ne prévoit pas, à peine de nullité, l’indication de ces informations. D’autre part, sur une différence de traitement entre un justiciable qui reçoit ces informations et un justiciable qui ne les reçoit pas.
Dans l’arrêt précité, la Cour constitutionnelle examinait si l’absence de communication des voies de recours ne limitait pas le droit d’accès au juge, c’est-à-dire la possibilité pour tout citoyen de faire valoir ses droits devant un tribunal. En effet, le législateur peut prévoir, dans certaines matières, des mentions spécifiques à indiquer dans la notification.
Pour permettre à tous les justiciables de faire valoir leurs droits, il faut les en informer. Il est donc important de leur communiquer clairement, rapidement et précisément leurs possibilités de recours contre une décision et leurs modalités. Cette indication constitue un élément essentiel de la bonne administration de la justice et du droit d’accès au juge.
La Cour constitutionnelle a donc déclaré l’article 43 du Code judiciaire incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme[3] et avec les principes généraux garantissant le droit d’accès au juge.
La Cour constitutionnelle rappelle que la notification par pli judiciaire des décisions en matière de règlement collectif de dettes équivaut à une signification[4]. Par conséquent, elle considère que l’article 1675/16 du Code judiciaire est, pour les mêmes motifs, incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec les principes généraux garantissant le droit d’accès au juge.
Les effets des notifications des jugements de révocation qui ont été ou seront effectués sont maintenus jusqu’à l’adoption d’une disposition qui intégrera les mentions précitées au plus tard au 31 décembre 2022.
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Tribunal du travail du Hainaut, division de Mons (10e ch.), 1er mars 2022 (RG 17/512/B)[5]
Créancier hypothécaire – Déclaration de créance – Formalités – Article 1675/9, §2 et §3 CJ – Absence de déclaration –Déchéance – Conséquences – Vente d’immeuble – Plan judiciaire.
La requérante est admise à la procédure le 19 octobre 2017. Le greffe notifie l’ordonnance d’admissibilité aux créanciers le même jour. Le créancier hypothécaire signe l’accusé de réception le 23 octobre 2017. Le médiateur lui envoie un rappel recommandé le 24 novembre 2017. Il signe l’accusé de réception le 27 novembre 2017. Le 12 janvier 2018, le créancier questionne le médiateur sur l’évolution de la procédure. Le médiateur l’informe, vu l’absence de déclaration de sa part dans le délai légal, qu’il est déchu de sa créance. Son conseil certifie avoir déposé la déclaration le 9 novembre 2017 dans la boîte aux lettres du médiateur au palais de justice, sans fournir la preuve de ce dépôt. La déclaration reprendrait deux crédits, pour un montant total de 492.308,42 €, contractés pour l’achat de deux immeubles.
La déclaration de créance doit répondre à certaines formalités[6]. Elle doit être faite, dans le mois de la notification de l’admissibilité, au médiateur, avec accusé de réception, soit par lettre recommandée, soit par déclaration en ses bureaux. À défaut, le médiateur envoie un rappel recommandé. Le créancier a un dernier délai de quinze jours dès la réception pour transmettre sa déclaration. Passé ces délais, il est présumé renoncer à sa créance. Dans ce cas, il perd son droit d’agir contre le(s) débiteur(s) et sûreté(s) personnelle(s) jusqu’au rejet ou à la révocation du plan. L’article 1675/9 du Code judiciaire doit être reproduit dans le courrier du médiateur.
En l’espèce, le créancier assure avoir déposé sa déclaration dans la boîte aux lettres du médiateur au palais de justice le 9 novembre 2017. Cette méthode de communication n’est pas légalement prévue. Seules les déclarations envoyées par recommandé ou déposées entre les mains du médiateur le sont. Toutefois, la modalité de communication n’est pas prévue à peine de nullité. En pratique, il est donc toléré que la déclaration soit envoyée par mail, dans la «case palais»… mais moyennant une preuve du dépôt de la déclaration dans le délai légal. Sur ce point, le tribunal souligne qu’un simple courriel adressé au médiateur aurait permis au créancier de s’assurer qu’il avait bien reçu la déclaration dans le délai légal.
Le créancier développe des arguments de formalisme pour pallier son manquement[7]. Il soulève que le rappel est:
- sans effet, car il ne reprend pas l’intégralité de l’article 1675/9 du Code judiciaire;
- signé par un collaborateur du médiateur avec la mention o.
Ces arguments ne sont pas retenus et la créance est donc écartée.
En cours de procédure, le tribunal a autorisé la requérante à vendre l’un de ses immeubles. Le notaire était invité à consigner le produit de la vente. Le notaire doit uniquement prendre en compte les sommes qui ont fait l’objet de déclarations faites dans les conditions légales et couvertes par une hypothèque. De ce fait, le créancier hypothécaire étant déchu de sa créance, le notaire doit verser les sommes sur le compte de la médiation. Elles seront réparties entre les créanciers intégrés au plan.
Compte tenu de l’écartement du créancier hypothécaire et de la vente d’un immeuble, le remboursement complet et immédiat de l’endettement est possible. Le tribunal impose donc un plan judiciaire qui prévoit le remboursement de la totalité des dettes.
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Tribunal du travail du Hainaut, division de Charleroi (5e ch.), 13 juillet 2022 (RG 19/295/B)
Admissibilité – Effets – Article 1675/7, §2, CJ – Suspension des voies d’exécution – Égalité des créanciers – Créance fiscale post-admissibilité – Compensation – Saisie-arrêt – Saisie irrégulière – Frais de la saisie – À charge du SPF Finances.
Le requérant est admis à la procédure le 29 mai 2019. Le tribunal homologue un plan amiable le 20 janvier 2021. Ce plan est d’une durée de sept ans à dater de l’admissibilité.
Le 15 février 2022, le SPF Finances effectue une saisie-arrêt sur le compte du médié pour l’impôt des personnes physiques, exercice d’imposition 2021, revenus 2020. Il soutient qu’il a le droit de faire une saisie pour une dette nouvelle et compte poursuivre l’exécution à défaut de paiement. Le médiateur rappelle que la décision d’admissibilité suspend toutes les voies d’exécution. Il paie l’impôt dû, mais pas les frais de saisie. Après de nombreuses correspondances, le SPF Finances précise qu’à défaut de paiement des frais de saisie, de nouvelles poursuites seront envisagées. Le médiateur dépose donc une requête en règlement d’incident.
En cours de procédure, il n’est pas rare qu’une difficulté perturbe le bon déroulement de l’élaboration ou de l’exécution d’un plan de règlement. Le tribunal du travail est compétent pour résoudre les incidents en cours de procédure. En effet, jusqu’au rejet ou à la révocation du plan, l’affaire reste inscrite au rôle du tribunal. C’est le principe de la saisine permanente du juge[8]. Le tribunal est donc compétent pour régler l’incident soulevé par le médiateur.
La décision d’admissibilité[9] engendre une situation de concours entre les créanciers. Cela a notamment pour conséquences l’indisponibilité du patrimoine du débiteur et la suspension de toutes les voies d’exécution qui tendent au paiement d’une somme d’argent. Les saisies pratiquées avant l’admissibilité sont suspendues et gardent un caractère conservatoire. La suspension est applicable à tous les créanciers, chirographaires et privilégiés, ante- et post-admissibilité. Le créancier qui effectue malgré tout une saisie commet un abus de droit[10].
En l’espèce, le SPF Finances a effectué une saisie pour obtenir le paiement d’un impôt post-admissibilité. Or, pendant toute la durée de la procédure, il est soumis au principe d’égalité des créanciers et à l’interdiction d’effectuer des saisies. La saisie pratiquée est donc irrégulière. De plus, il n’a pas informé le médiateur de l’existence de cet impôt à payer. Les frais de saisie réclamés sont donc abusifs.
Le tribunal déclare la saisie-arrêt pratiquée irrégulière et délaisse les frais de saisie à charge du SPF Finances.
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Tribunal du travail du Hainaut, division de Charleroi (5e ch.), 13 juillet 2022 (RG 09/16/B)
Nouvelles dettes – Dettes post-admissibilité –Arriérés de parts contributives – Sommes dues au requérant par la créancière d’aliments –Compensation.
Le requérant est admis à la procédure le 22 janvier 2009. Avant son admissibilité, il a entretenu une relation de laquelle est issu un enfant né en 2002. En 2005, il avait introduit une action contre son ex-compagne pour obtenir le remboursement des montants investis dans son immeuble pendant leur relation. En juin 2019, un arrêt de la cour d’appel condamne celle-ci au paiement de 5.588,25 € (principal et intérêts arrêtés au 13/6/2019). Parallèlement, le requérant est condamné par le tribunal de la jeunesse à payer à son ex-compagne une part contributive de 85 € en janvier 2005.
Un plan amiable d’une durée de 15 ans est homologué le 18 octobre 2010. Son ex-compagne introduit une déclaration de créance en mars 2013 pour un arriéré de parts contributives. Le plan amiable est adapté afin de l’y intégrer.
Le 14 janvier 2015, le tribunal de la famille majore la part contributive à 125 € avec effet rétroactif au 1er janvier 2014. Un nouvel arriéré de parts contributives est donc constitué.
Le médiateur demande au tribunal de fixer le montant de la dette post-admissibilité et d’autoriser la compensation entre cette nouvelle dette et la dette de Madame envers le requérant.
La décision d’admissibilité entraîne certaines obligations[11] pour le débiteur. Celui-ci ne peut, sauf autorisation du juge, augmenter son endettement (créer de nouvelles dettes), poser tout acte étranger à la gestion normale de son patrimoine (donation de biens, refus d’une succession…) et favoriser un créancier sauf pour le paiement d’une dette alimentaire à l’exception des arriérés. En l’espèce, les dettes de parts contributives postérieures à l’admissibilité sont des nouvelles dettes et peuvent donc être payées en priorité.
La compensation[12] est un mécanisme qui permet d’éteindre, à certaines conditions, des obligations qui existent entre deux personnes respectivement créancière et débitrice l’une de l’autre. Elle peut être légale, conventionnelle ou judiciaire.
Pour rappel, la décision d’admissibilité entraîne la suspension des voies d’exécution qui tendent au paiement d’une somme d’argent. Cependant, deux personnes débitrices l’une envers l’autre peuvent opérer une compensation entre leurs dettes respectives, sauf exception en cas de compensation légale. Une compensation est donc possible entre une dette alimentaire post-admissibilité et une dette post-admissibilité due à la créancière en cas d’accord entre parties[13].
En l’espèce, le requérant est redevable envers Madame d’arriérés de parts contributives post-admissibilité et Madame est redevable envers le requérant d’une dette post-admissibilité à la suite d’une condamnation. Les parties sont d’accord pour compenser ces dettes réciproques.
Le tribunal marque son accord sur la compensation de ces dettes post-admissibilités et détermine les montants dus.
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Christelle Wauthier,
collaboratrice juridique à l’Observatoire du crédit et de l’endettement
[1] Article 792 CJ.
[2] Cour constitutionnelle, 10 février 2022 (n°23/2022).
[3] Le droit à un procès équitable.
[4] Article 1675/16ter CJ.
[5] Cette décision fait l’objet d’un appel. Nous ne manquerons pas de vous informer des suites.
[6] Article 1675/9, §2 et §3, CJ.
[7] Article 861 CJ.
[8] Article 1675/14, §2, CJ.
[9] Article 1675/7 CJ.
[10] J.-F. Ledoux, «Les mécanismes de paiement préférentiel» in Le créancier face au règlement collectif de dettes: la chute d’Icare, Anthémis, 2017, p. 352.
[11] Article 1675/7, § 3, C.J.
[12] Articles 5.254 et suivants du nouveau Code civil, articles 1289 et suivants de l’ancien Code civil.
[13] C. trav. Mons (10e ch.), 3 novembre 2015, Ch. D. S., 2017/06, p. 220. Ces exceptions visent la compensation légale, mais n’interdisent pas la compensation conventionnelle dans le cadre d’un plan amiable.