Dans cette rubrique, vous trouverez une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dette. En voici la recension.
Tribunal du travail de Liège, division de Huy, 6e ch., 20 juillet 2021, R.G. 20/31/B
Règlement collectif de dettes – Financement d’un véhicule – Saisie du véhicule antérieure à l’admissibilité – Vente postérieure à l’admissibilité – Article 1675/7 C.J. – Absence de déclaration de créance – Restitution des fonds sur le compte de médiation
Les requérants ont été admis en règlement collectif de dettes en mars 2020. Le médiateur de dettes adresse un projet de plan de règlement amiable à l’ensemble de leurs créanciers, en ce compris à l’organisme de crédit Y. Ce dernier marque son accord exprès au plan, lequel reprend dans son chef deux déclarations de créances différentes.
Par la suite, le médiateur constate que ce créancier a mentionné une troisième créance à l’égard des médiés concernant le financement d’un véhicule, pour laquelle il n’a pas fait de déclaration de créance. En outre, il s’avère que ce créancier, qui avait procédé à la saisie de ce bien avant l’ordonnance d’admissibilité, a effectué, après l’admissibilité des médiés, la vente dudit véhicule à son profit et a conservé les 14.250 euros du prix obtenu.
Malgré les courriers de contestation du médiateur et les convocations au tribunal, le créancier ne donne aucune suite et ne se présente pas l’audience. Par conséquent, le médiateur sollicite auprès du tribunal qu’il soit ordonné à ce dernier de restituer les fonds sur le compte de la médiation.
Après avoir rappelé les principes légaux concernant notamment la suspension des saisies pratiquées antérieurement à l’admissibilité, le tribunal estime, en conséquence, que ce créancier ne pouvait pas procéder à la vente du bien saisi, celle-ci étant intervenue après l’admissibilité des médiés à la procédure.
En outre, il est souligné que ce créancier n’est pas en droit de conserver le produit de cette vente dès lors qu’aucune déclaration de créance relative au financement du véhicule n’a été déposée dans les délais légaux. Il doit donc être réputé avoir renoncé à sa créance. De plus, il est contraire aux règles de la procédure en règlement collectif de dettes de privilégier un créancier au détriment des autres.
Par conséquent, le tribunal ordonne à l’organisme de crédit de restituer au profit du compte de la médiation les 14.250 euros, prix de la vente du véhicule.
Pour lire la décision dans son intégralité: téléchargez le PDF
Tribunal du travail du Hainaut, division de Charleroi, 5e ch., 20 mai 2021, R.G. 17/550/B
Règlement collectif de dettes – Amende pénale – Dette nouvelle – Fait générateur – Date de la décision judiciaire – Date des faits – Dette antérieure à l’admissibilité – Passif de la médiation de dettes – Concours des créanciers
Madame X a été admise à la procédure en règlement collectif de dettes le 17 août 2017.
En mai 2020, le SPF Finances transmet au médiateur une déclaration de créance relative à une amende pénale d’un montant de 478,64 euros à payer, à la suite d’une condamnation prononcée par le tribunal de police le 24 juin 2019.
Prenant en compte la date du prononcé du jugement, le SPF Finances considère que sa créance est postérieure à l’admissibilité et ne doit donc pas être reprise dans le passif de la médiation, lequel subit le concours des créanciers conformément à l’article 1675/7, §2 du Code judiciaire.
Le médiateur de dettes ne partage pas le point de vue du SPF Finances, estimant que c’est la date des faits ayant entraîné la condamnation (en l’occurrence le 18 avril 2017) qui doit être prise en considération pour déterminer si la dette est antérieure ou non à l’admissibilité.
Fort de ce constat, le médiateur sollicite du tribunal d’ordonner au SPF Finances de produire une déclaration de créance actualisée afin d’intégrer cette dette complémentaire au passif de la médiation.
Citant la doctrine et la jurisprudence, le tribunal rappelle que:
– la masse passive comprend toutes les dettes existant au moment de la naissance du concours, autrement dit au moment de l’admissibilité;
– pour déterminer les dettes «ante-admissibilité», le critère à prendre en considération est la date à laquelle se produit le fait générateur à la base de la créance;
– dans le cas d’une amende pénale prononcée en cours de procédure, «il convient de tenir compte de la date des faits auxquels se rapporte la condamnation (et non la date de la condamnation) afin de déterminer si la créance fait ou non partie de la masse du passif de la médiation».
En l’espèce, le tribunal constate que les faits ayant donné lieu à la condamnation pénale datent du 18 avril 2017 et que la médiée a été admise à la procédure en règlement collectif de dettes le 17 juillet 2017.
Par conséquent, la créance du SPF Finances étant de ce fait antérieure à l’admissibilité, il est admis que celle-ci soit intégrée au passif de la médiation auquel va s’appliquer la situation de concours, conformément à l’article 1675/7, §2 du Code judiciaire.
En outre, le tribunal considère qu’il n’y a pas lieu d’ordonner au SPF Finances de produire une déclaration de créance actualisée. La déclaration transmise reprenant l’ensemble des mentions nécessaires, celle-ci peut être considérée comme une déclaration de créance complémentaire à prendre en compte dans le passif de la médiation.
Note: Ce jugement n’a pas fait l’objet d’un recours en appel. On soulignera toutefois que la cour du travail de Mons soutient, quant à elle, la thèse considérant la date du jugement prononçant la condamnation comme le fait générateur de l’amende pénale (voir: CT Mons, 10e ch., 17 décembre 2019, R.G. 2018/BM/49 consultable sur https://observatoire-credit.be/fr/juriobs).
Pour lire la décision dans son intégralité: téléchargez le PDF
Tribunal du travail du Hainaut, division de Charleroi, 5e ch., 22 juin 2021, R.G. 14/472/B
Règlement collectif de dettes – Plan de règlement amiable – Demande d’homologation – Créancier – Contredit par voie de conclusion – Contestation du montant en principal – Nature du contredit – Contredit nouveau/supplémentaire – Article 1675/10, §4 C.J. – Contredit tardif – Homologation
Monsieur X a été admis en règlement collectif de dettes en novembre 2014.
Après deux tentatives de plan de règlement amiable, le médiateur de dettes dépose finalement une requête en homologation d’un troisième projet de plan, malgré le contredit transmis par un créancier.
Par ce contredit, ce créancier demandait au médiateur:
– d’effectuer un premier versement dès l’homologation de 10.000 euros, au lieu de 5.000 euros, tel que prévu dans le plan, suivi de dix versements annuels répartis au marc l’euro entre les créanciers, permettant ainsi de rembourser l’intégralité des dettes en principal;
– de retenir l’intégralité du pécule de vacances, de la prime de fin d’année et de tout remboursement d’impôt à répartir au marc l’euro entre les créanciers;
– de mentionner dans le plan qu’à défaut de réalisation des droits indivis du médié dans deux biens immeubles, la procédure en règlement collectif de dettes ne pourra être clôturée.
Devant le tribunal, ce même créancier conteste, cette fois par voie de conclusions déposées au greffe, le montant principal de sa créance pris en compte par le médiateur dans ce troisième projet de plan.
Plus précisément, il demande à voir fixer le montant principal de celle-ci à 59.656,96 euros, au lieu des 37.650, 80 euros. Autrement dit, le montant repris dans le plan devrait inclure non seulement le montant du capital (37.650,80 euros), mais également les arrières, les intérêts et l’indemnité de remploi.
Le tribunal est amené à se prononcer sur la recevabilité et le fondement de ce contredit.
Pour le créancier, la contestation relative au montant de sa créance ne constitue pas un contredit au sens de l’article 1675/10, §4 du Code judiciaire. Elle doit être analysée comme «une réaction, un moyen de droit permettant de rectifier une erreur matérielle ou de droit commise par le médiateur» lors de la rédaction du plan.
En outre, le créancier rappelle qu’il avait déjà soulevé cette contestation, par conclusion, lors de la demande d’homologation du premier projet de plan.
Sur ce point, le tribunal souligne qu’effectivement certains écrits transmis par un créancier dans le délai de deux mois suivant l’envoi du plan ne doivent pas toujours être considérés comme des contredits.
Il en sera ainsi d’une demande portant uniquement sur un complément d’information concernant le plan ou encore mentionnant l’existence d’une erreur matérielle manifeste, corrigée directement par le médiateur dans une annexe rectificative.
Dans ce cas, le médiateur n’est donc pas tenu de solliciter l’homologation du plan amiable «malgré l’existence d’un contredit» ou de rédiger un procès-verbal de carence en raison de l’absence d’accord exprès ou explicite de tous les créanciers.
En l’espèce, le tribunal est toutefois d’avis que la demande formulée par le créancier «ne porte pas sur la rectification d’une simple erreur matérielle manifeste quant au montant principal de la créance repris dans le plan amiable, mais d’une contestation de fond quant aux éléments qui doivent ou non figurer dans le montant principal de la créance», d’autant plus que, dans le cas présent, le montant principal n’a pas été distinctement précisé dans la déclaration de créance du créancier.
Dès lors, il y a lieu de considérer que cette demande constitue bien un contredit au sens de l’article 1675/10, §4 du Code judiciaire.
Reste la question de sa recevabilité au regard de l’article 1675/10, §4, alinéas 2 et 3 du Code judiciaire. Le tribunal rappelle que tout contredit formulé par un créancier doit être formé dans les deux mois de l’envoi du projet de plan, sous peine d’être déclarés tardifs.
Il s’en déduit qu’«il ne peut donc être question de recevoir un contredit nouveau/supplémentaire formulé en dehors du délai légal si un premier contredit au projet (…) a quant à lui été formulé dans le délai légal».
Or, en l’espèce, le tribunal constate que le contredit adressé au médiateur, à la suite de l’envoi du troisième projet de plan amiable, valablement formé dans le délai légal, mais écarté car jugé non fondé, ne concernait nullement la question du montant de la créance en principal.
Par conséquent, la demande formulée sur ce point par voie de conclusions constitue donc bien un contredit nouveau/supplémentaire qui doit toutefois être déclaré tardif, puisque formé plus de deux mois après l’envoi du projet de plan soumis à homologation.
Le fait que ce même contredit ait été déjà formulé lors de la demande d’homologation du premier projet de plan amiable est sans incidence. Il revenait dès lors au créancier de vérifier le montant de sa créance tel que repris dans le troisième projet de plan et de formuler, au besoin, un contredit dans les deux mois de son envoi.
Enfin, le tribunal rappelle qu’en présence d’un plan amiable soumis à homologation, le contrôle de légalité et d’opportunité du plan dévolu au juge ne s’étend pas à la vérification du montant exact et total des créances repris dans le projet de plan. Ce devoir de vérification des montants revient au seul créancier.
Pour tous ces motifs, le tribunal estime donc le contredit du créancier, formé par conclusion, irrecevable et homologue, par conséquent, ce (troisième) plan de règlement amiable.
Pour lire la décision dans son intégralité: téléchargez le PDF
Tribunal du travail de Liège, division de Huy, 6e ch., 14 mai 2021, R.G. 20/39/B
Règlement collectif de dettes – Demande de décharge – Article 1675/16bis C. J. – Codébiteur – Assimilable à une sûreté personnelle – Engagement gratuit – Engagement disproportionné – Décharge totale
Monsieur X1 a été admis en règlement collectif de dettes le 11 mars 2020. Le même jour, Madame X2, sa compagne, dépose une requête en décharge de sûreté personnelle sur la base de l’article 1675/16bis du Code judiciaire.
Afin d’apurer ses nombreuses dettes, Monsieur a contracté, en août 2017, un prêt à tempérament regroupant cinq crédits conclus antérieurement pour un montant principal de 57.000 euros. À cette occasion, l’organisme de crédit a proposé à Madame de signer également ce prêt, au titre de caution selon ses dires, mais en réalité en tant que codébitrice solidaire selon les termes du contrat.
Madame demande au tribunal à être libérée de ses engagements à l’égard de ce crédit, estimant être étrangère aux dettes de Monsieur, les prêts remboursés au moyen de ce regroupement ayant été conclus avant leur rencontre, mais également ne pas avoir les revenus suffisants pour en assumer le remboursement.
Après analyse, le tribunal considère que les conditions de la décharge telles que prévues à l’article 1675/16bis du Code judiciaire sont rencontrées dans le chef de Madame.
Tout d’abord, bien qu’elle ait signé à titre de codébitrice, le tribunal considère «que la garantie consentie par Madame doit être analysée comme l’accessoire de l’engagement de Monsieur».
Ensuite le tribunal est d’avis que le caractère gratuit de l’engagement de Madame résulte sans conteste du fait que le crédit en cause a été accordé en vue de couvrir intégralement les cinq prêts, contractés uniquement par Monsieur antérieurement à sa rencontre avec Madame, de sorte que cette dernière n’en tire aucun avantage économique direct ou indirect.
Enfin, concernant le caractère disproportionné de son engagement, le tribunal constate, au vu du montant de sa pension (1.628,19 euros par mois) et de ses charges fixes mensuelles (900 euros sans compter les frais de loisirs et de vêtements), que Madame ne pouvait manifestement pas assumer le remboursement mensuel de 739,72 euros pour un crédit en dix ans.
Par conséquent, le tribunal prononce la décharge totale des engagements de Madame à titre de sûreté personnelle dans le cadre du prêt consenti à Monsieur pour un montant désormais de 88.766,40 euros.
Pour lire la décision dans son intégralité: téléchargez le PDF
Sabine Thibaut,
juriste à l’Observatoire du crédit et de l’end