Dans cette rubrique, vous trouverez une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dettes. En voici la recension.
Cour constitutionnelle, 9 février 2023 (n°21/2023)
Clôture de la procédure – Article 1675/15, §2 CJ – Acte frauduleux du débiteur – Plan de règlement amiable ou judiciaire avec remise de dettes en principal – Révocation – Uniquement pour les créanciers – Absence de lésion des droits du médiateur – Article 2276quater CC – Action en responsabilité du médiateur de dettes – Faute ou négligence du médiateur – Violation des articles 10 et 11 de la Constitution – Non-différence de traitement – Justification
Le requérant est admis à la procédure en règlement collectif de dettes le 23 août 2013. La procédure est clôturée le 19 novembre 2020 après une durée d’un peu plus de sept ans.
Le 8 décembre 2021, soit plus d’un an après la clôture, la médiatrice qui avait été désignée dans le cadre de cette procédure demande au tribunal du travail francophone de Bruxelles la révocation de l’admissibilité et du plan de règlement amiable du médié. Elle invoque pour motif le fait que celui-ci aurait perçu, pendant la procédure, des revenus du travail durant près d’un an, et ce sans qu’elle n’en ait jamais été informée. Elle appuie sa demande en soulignant que la prise de connaissance de cette information durant la procédure l’aurait nécessairement conduite à solliciter pareille sanction.
Compte tenu de la clôture de la procédure, la médiatrice a fondé sa demande de révocation sur l’article 1675/15, §2 du Code judiciaire. Cette disposition stipule que, pendant une durée de cinq ans après la fin du plan de règlement amiable ou judiciaire comportant remise de dettes en principal, tout créancier peut communiquer au juge une demande de révocation de celle-ci, en raison d’un acte accompli par le débiteur en fraude de ses droits.
En réalité, cette possibilité est donc limitée aux seuls créanciers et n’existe pas dans le chef du médiateur. Cependant, la médiatrice est d’avis que cette exclusion n’a pas vraiment de sens étant donné que, conformément à l’article 2276quater de l’ancien Code civil, les médiateurs ne sont déchargés de leur responsabilité professionnelle que cinq ans après la fin de leur mission.
Amené à devoir se positionner sur la problématique ainsi soulevée, le tribunal prend la décision de saisir la Cour constitutionnelle.
La question préjudicielle posée porte donc sur la compatibilité de l’article 1675/15, §2 du Code judiciaire avec les articles 10 et 11 de la Constitution dès lors qu’il permet aux seuls créanciers de communiquer au juge une demande de révocation dans les cinq ans suivant la fin d’un plan de règlement amiable ou judiciaire comportant une remise de dettes en principal alors que ce droit n’est pas reconnu aux médiateurs, lesquels peuvent pourtant voir leur responsabilité mise en cause pendant cette même période en application de l’article 2276quater de l’ancien Code civil.
La Cour rappelle que la mission allouée au médiateur consiste à veiller au respect de l’équilibre entre les intérêts du débiteur et des créanciers. Pour ce faire, il dispose, pendant la durée de la procédure, de la faculté de demander au tribunal la révocation du débiteur qui aurait commis un acte frauduleux tel que la non-déclaration de revenus perçus. Cette faculté prend fin une fois sa mission terminée.
Il est ensuite souligné que l’article 1675/15, §2 du Code judiciaire, quant à lui, permet aux créanciers une fois le règlement collectif de dettes terminé, de pouvoir introduire une action en révocation de la remise de dettes accordée, s’il s’avère que leurs droits ont été bafoués pendant la procédure par un acte frauduleux commis par le débiteur.
Or, il n’est pas nécessaire qu’un tel droit soit reconnu au médiateur. Si la fraude du débiteur lèse, en effet, les droits des créanciers, elle ne porte pas atteinte, en revanche, aux droits du médiateur.
Quant à l’action en responsabilité à l’encontre du médiateur, prévue à l’article 2276quater du Code civil, elle permet aux créanciers d’obtenir réparation en cas de lésion de leurs droits lorsque celle-ci trouve son origine dans une faute ou une négligence commise par le médiateur lui-même, pendant l’exercice de sa mission.
La Cour poursuit enfin en déduisant que «le médiateur qui aurait commis une faute ou une négligence durant sa mission et qui serait, dès lors, susceptible d’être condamné à réparer le dommage causé ne saurait être assimilé aux créanciers qui sont victimes de la fraude du débiteur alors qu’ils n’ont commis aucune faute personnelle».
Par conséquent, elle en conclut que, concernant l’article 1675/15, §2, la différence de traitement entre le médiateur et les créanciers est objectivement et raisonnablement justifiée.
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Tribunal du travail de Liège, division de Huy (6e ch.), 16 janvier 2023 (RG 19/151/B)
Plan de règlement amiable – Remboursement intégral en capital, intérêts et frais – Durée de 12 ans et un mois – Conservation de l’immeuble – Refus du médié – Procès-verbal de carence – Accord du médié au projet de plan – Guidance budgétaire – Demande de budget exceptionnel – Libération de fonds pour du bois de chauffage – Réduction – Autorisation exceptionnelle et temporaire – Intégration de la dépense dans le budget– Pécule de médiation – Montant du revenu d’intégration sociale – Indexation – Adaptation
Le requérant est admis à la procédure en règlement collectif de dettes le 2 août 2019. Ce dernier est âgé de 54 ans et vit avec sa mère dans une maison dont il est propriétaire. Victime d’un AVC, son état de santé nécessite de nombreux rendez-vous médicaux et un programme de soins en revalidation important.
Le passif déclaré dans le cadre de la procédure s’élève à 158.710,67 euros. Compte tenu de ses revenus, du pécule fixé à 1.130 euros qui prend en compte ses besoins médicaux et les revenus de sa mère (+/– 1.500 euros) et du solde positif du compte de la médiation (74.136,51 euros), la médiatrice soumet, le 22 juin 2022, au médié un projet de plan. Il prévoit le remboursement de l’intégralité des créances en principal, intérêts et frais sur une période de 12 ans et un mois, soit jusqu’en mai 2031.
La durée et les modalités de ce plan sont justifiées en raison de la volonté et de la nécessité de conserver l’immeuble du médié en raison de son état de santé et du respect de la dignité humaine.
Le 4 juillet 2022, la médiatrice essuie un refus du projet de plan par le médié via l’envoi d’un courrier catégorique écrit par la mère de ce dernier.
Face à ce blocage et aussi en raison de nombreuses difficultés rencontrées (manque de collaboration du médié, nombreux courriers agressifs de la mère, manque de transparence concernant les dépenses prises en charge par le revenu de celle-ci), la médiatrice dépose un procès-verbal de carence et, en parallèle, une requête en révocation.
À l’audience, la médiatrice demande que le médié s’exprime clairement sur l’acceptation ou le refus du projet de plan proposé. En outre, elle sollicite également que le tribunal se prononce sur la demande d’autorisation d’achat de stères de bois pour un montant de 1.500 euros.
Entendu et soutenu par son conseil, le médié confirme son accord pour le projet de plan, mais propose que celui-ci soit assorti d’une guidance budgétaire par l’assistante sociale du CPAS de la commune.
Concernant le bois de chauffage, le médié précise qu’il ne se chauffe qu’au bois, ce qui nécessite une consommation annuelle entre 20 et 25 stères et que son budget élaboré et actualisé par l’assistante sociale du CPAS fait état d’un déficit de plus de 190 euros en raison des charges actuelles. Sur ce point, l’assistante sociale fait savoir au tribunal que, selon son analyse budgétaire et malgré ses conseils, le problème du déficit vient du fait que le montant des dépenses pour les frais d’hygiène et de nourriture est trop élevé pour deux personnes, ce qui met à néant toute possibilité d’épargne pour l’achat du bois. En outre, toujours à propos du budget, le tribunal ajoute que les frais liés à l’entretien des animaux et au «dressage des chiens» fixés à 235 et 120 euros mensuels apparaissent également trop élevés.
Au vu de ces éléments, le tribunal est d’avis que le disponible dont bénéficie le médié et sa maman devrait leur permettre de financer l’achat de deux stères par mois, soit 18 stères par an au lieu de 20 à 25, estimant qu’il est en principe nécessaire de se chauffer huit à neuf mois sur l’année.
Il souligne également que la mise en place d’une guidance budgétaire et l’ajustement du budget devraient permettre à terme d’intégrer, de manière récurrente, la dépense liée au bois de chauffage dans le budget mensuel.
Cependant, le tribunal tient toutefois à mettre en évidence l’impact certain que l’inflation «galopante» actuelle a et aura encore, jusqu’à la fin du plan, sur le montant du pécule de médiation.
Rappelant l’indexation à répétition du montant du revenu d’intégration sociale (RIS) depuis le 1er janvier 2022, le tribunal constate que le pécule de médiation fixé en juin 2022 est inférieur de 84 euros par rapport au RIS «cohabitant» applicable en janvier 2023.
Par conséquent, le tribunal insiste sur la nécessité d’adapter le pécule de médiation à l’indexation du revenu d’intégration sociale.
Dès lors, il y a lieu:
- de prendre acte de l’accord exprès du médié au projet de plan amiable et d’y intégrer une guidance budgétaire;
- d’inviter la médiatrice à adresser le plan amiable aux créanciers et d’obtenir son homologation;
- d’autoriser la libération d’une somme maximale de 800 euros afin de financer l’achat de huit stères de bois au maximum d’ici à la fin du printemps de l’année en cours avec preuve d’achat du prix et de la contenance. Il est entendu que l’autorisation est accordée à titre exceptionnel et temporaire dans l’attente de l’adaptation du pécule de médiation au montant indexé du RIS permettant ainsi d’intégrer à moyen et à long terme la charge «chauffage» dans le budget mensuel.
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Tribunal du travail de Liège, division de Huy (6e ch.), 5 décembre 2022 (RG 14/295/B)
Procédure – Durée – Sept ans – Fixation d’office par le tribunal – Absence de revenus – Compte de médiation – Montant versé par un tiers – Absence de plan de règlement amiable – Plan de règlement judiciaire – Article 1675/13 CJ – Remise partielle en capital – Indexation – Crise énergétique – Impossibilité d’augmenter le montant versé pour les créanciers – Durée du plan – Formule mathématique (XIII) – 4 ans et 8 mois
Le requérant est admis à la procédure en règlement collectif de dettes le 5 décembre 2014.
En 2022, la cause est fixée d’office à l’audience par le tribunal, ce dernier ayant constaté que la procédure a débuté depuis plus de sept ans et qu’aucun plan amiable n’a été proposé.
À l’audience, il s’avère que le médié, dépendant au début du CPAS, est devenu le «conjoint aidant» de sa compagne exerçant le métier de coiffeuse. Il ne bénéficie d’aucun revenu personnel. Il est âgé de 34 ans et présente un endettement en principal de 15.746,53 euros.
On apprend également, par le médiateur, que la compagne du médié, non requérante, verse pour celui-ci 100 euros par mois sur le compte de médiation.
Constatant que, malgré les versements réguliers sur le compte de médiation, aucun plan amiable n’a été proposé par le médiateur dans le délai imparti[1], le tribunal prend la décision d’imposer un plan judiciaire sur la base de l’article 1675/13 du Code judiciaire.
Le médié tient tout d’abord à préciser que l’augmentation du coût de l’énergie et de l’indexation du loyer ayant un impact sur le salon de coiffure de sa compagne, le montant de 100 euros est le maximum qui peut être dégagé pour la médiation.
Le tribunal est d’avis qu’il est opportun d’objectiver la détermination de la durée du plan judiciaire.
Pour ce faire, il fait usage de la formule mathématique suivante (formule XII):
A[4]
Cette formule entend rencontrer les objectifs poursuivis par la procédure de manière équilibrée en croisant les deux principes directeurs suivants:
– plus le passif est important, plus la durée du plan doit être longue;
– plus le médié est âgé, plus la durée du plan doit être courte.
L’application de la formule au cas d’espèce permet d’aboutir à une durée de 56 mois.
En outre, le solde du compte de médiation étant positif, une somme de 2.000 euros peut déjà être répartie entre les créanciers dans le mois du prononcé du jugement.
Au vu des éléments examinés, il y a donc lieu:
– d’imposer un plan judiciaire d’une durée de 4 ans et 8 mois prenant cours le 1er décembre 2022 pour se terminer le 1er août 2027 et en exécution duquel les créanciers recevront +/– 37,6% de leur créance en principal auquel viendra éventuellement s’ajouter en fin de procédure le solde net du compte de médiation après prélèvement des frais et honoraires du médiateur;
– de fixer le disponible mensuel pour la médiation à la somme de 100 euros dont 70 euros seront consacrés au remboursement des créanciers;
– d’inciter le médié compte tenu de son âge et de son expérience à trouver un emploi rémunérateur de manière à garantir un remboursement plus important des créanciers;
– d’encourager les créanciers à informer immédiatement le médiateur qu’ils renoncent à toute prétention s’ils considèrent, vu le montant de leur créance, que les frais de gestion durant plusieurs années seront supérieurs au remboursement obtenu.
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Sabine Thibaut, juriste à l’Observatoire du crédit et de l’endettement
[1] Article 1675/10 du Code judiciaire.
[2] P = passif en principal.
[3] D = durée du plan judiciaire en mois.
[4] A = âge en années.
Après l’application de cette formule, la durée sera bien entendu, conformément à l’article 1675/13 CJ, comprise en minimum 36 mois et maximum 60 mois.