Voici une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles, en l’occurrence en degré d’appel. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dettes, et présentées au comité de rédaction de la revue pour sélection. En voici la recension.
Cass. (3e ch.), 21 novembre 2016, RG numéro S.16.0001.N/1
Il résulte de la combinaison des articles 1675/13bis, §1er et 1675/13, §3 du Code judiciaire et de l’article 464/1, §8, 5e alinéa du Code d’Instruction criminelle que le juge du règlement collectif de dettes ne peut accorder de remise pour les dettes qui sont la conséquence d’une condamnation à une peine d’amende.
La décision en PDF: Cass. (3ème ch.), 21.11.2016, n° S.16.0001.N
CT Mons (10e ch.), 7 février 2017, RG n°2011/AM/409
Le requérant en règlement collectif de dettes bénéficiait d’un plan de règlement judiciaire prévoyant une remise de dettes en principal. Malheureusement, suite à l’apparition de trois nouvelles dettes, deux d’entre elles étant contestées, le requérant a perdu le bénéfice de cette remise et le tribunal du travail a clôturé la procédure de règlement collectif.
Le requérant forme appel contre cette décision.
Entre-temps, l’une des nouvelles dettes contestées, constituée par des arriérés de loyers, est constatée par une décision judiciaire coulée en force de chose jugée à concurrence de 3.941,07 euros, tandis que l’autre, consistant en des indemnités indûment payées, est déclarée prescrite. La troisième nouvelle dette correspondant à des impôts de personnes physiques s’élève à 11.577,24 euros.
La cour du travail a d’abord dû se pencher sur la renonciation d’un créancier à la procédure de règlement collectif de dettes. Elle rappelle qu’un «retrait» d’un créancier de cette procédure peut intervenir dans deux hypothèses et qu’il doit se concrétiser par une décision judiciaire.
En effet, «une partie identifiée initialement comme étant un créancier… peut faire l’objet d’un retrait de la procédure. Un tel retrait intervient soit à la demande du créancier concerné ou du médiateur de dettes, le plus souvent au motif qu’il n’est pas – ou plus – titulaire d’une créance ou également au motif qu’il renonce à faire valoir ses droits dans le cadre de la procédure (“retrait volontaire”), soit par l’effet de la loi, sur proposition du médiateur de dettes, au terme du processus de déchéance, lorsque le créancier est réputé renoncer à sa créance, à défaut d’avoir transmis une déclaration de créance dans les formes légales visées à l’article 1675/9, §2 et §3 du Code judiciaire (“retrait légal”). Ce retrait de la procédure se concrétise par une décision judiciaire, laquelle consiste en une ordonnance de cabinet, voire en un jugement.
Il convient de constater le retrait dans un acte juridictionnel, afin de répondre à différents besoins:
- officialiser le fait que le créancier ne participe plus à la procédure collective;
– offrir une protection au débiteur en cas de mesure d’exécution du créancier; - vérifier le respect des conditions de la déchéance;
- offrir au créancier la possibilité de contester, devant la juridiction supérieure, le retrait dont il fait l’objet.
La pratique dite du “toilettage” de la structure englobe les opérations précédentes:
- retraits des créanciers, qu’il s’agisse de retraits volontaires ou de retraits légaux;
- ajouts des créanciers oubliés, c’est-à-dire de créanciers qui n’ont été mentionnés ni dans la requête introductive d’instance ni dans les éventuelles requêtes ampliatives,
- modification de la dénomination, de la forme juridique ou des coordonnées des parties.
La structure est le document qui identifie toutes les parties en présence (débiteur, créanciers, sûretés personnelles, conjoint non requérant, etc.) et qui est dressé par le greffe, sous le contrôle du juge, sur la base des indications fournies essentiellement par le médiateur de dettes et par le débiteur. Ce document figure dans le dossier de la procédure, tel que visé aux articles 720 et 721, alinéa 1er du Code judiciaire».
Ensuite, la cour du travail confirme la décision du tribunal du travail.
En effet, si une remise de dettes a été accordée au requérant dans le cadre d’un plan judiciaire basé sur l’article 1675/13 du Code judiciaire, le juge peut décider, après avoir entendu les parties, que cette remise n’est finalement pas acquise au requérant, non seulement lorsqu’il connaît un retour à meilleure fortune avant la fin du plan, mais également lorsqu’il ne respecte pas les obligations découlant du plan, conformément à l’article 1675/13, §1er, alinéa 2 du Code judiciaire. «Certains érigent dès lors le respect du plan judiciaire en condition suspensive de l’octroi de la remise de dettes.» (Ch. André, «Les plans de règlement judiciaire», in Le fil d’Ariane du règlement collectif de dettes, Limal, Anthemis, 2015, p. 281 et p. 317)
Or, «le paiement des impôts constitue une obligation issue d’une législation d’ordre public et relève dès lors des charges incompressibles auxquelles le débiteur est tenu de faire face lui-même, au moyen du pécule de médiation qui est mis à sa disposition par le médiateur de dettes».
Certes, «l’absence de paiement des impôts n’est pas en soi fautive, dès lors que la budgétisation de ceux-ci dans le cadre du calcul du pécule de médiation n’est pas établie». Mais, dans le cas qui lui était soumis, si «le montant du pécule de médiation ne semble pas avoir été fixé à l’aide d’une grille budgétaire», la cour du travail reproche au requérant de ne pas avoir accompli des démarches qui auraient évité une majoration d’impôts et une augmentation du loyer dû pour l’habitation sociale qu’il occupe, à savoir:
- sur le plan administratif, informer immédiatement sa mutuelle qu’il ne versait plus de pension alimentaire de telle sorte que ses indemnités ne devaient plus être calculées au taux applicable à l’allocataire ayant charge de famille mais au taux applicable à la personne vivant seule;
- sur le plan judiciaire, obtenir le déblocage du compte de la médiation de la somme nécessaire pour payer ses dettes ou la modification du plan.
Pour la cour du travail, il s’agit d’une aggravation de son insolvabilité proscrite par le plan de règlement. Il en va d’autant plus ainsi que le requérant avait été condamné, après l’admissibilité, à payer des amendes pénales pour un montant total de 2.508,64 euros.
Par ailleurs, «la décision de clôture… qui revêt toutes les caractéristiques d’un acte juridictionnel» doit être une décision judiciaire. En effet, «le juge veille au respect des dispositions en matière de règlement collectif de dettes, selon l’article 1675/17, §3, alinéa 1er du Code judiciaire» et «le processus de clôture est donc soumis au contrôle du juge».
La remise de dettes prévue dans un plan et le respect de ce plan sont d’ailleurs deux des points que cette décision de clôture doit aborder, les autres points étant «la taxation des honoraires et frais du médiateur de dettes, les opérations de clôture, c’est-à-dire la distribution du solde du compte de médiation et la fermeture de celui-ci, l’actualisation des mentions sur l’avis de règlement collectif de dettes et la production des pièces relatives aux opérations bancaires et de publicité précitées, la décharge du médiateur de dettes et l’information des débiteurs de revenus».
La décision en PDF: C.T. Mons (10ème ch.), 07.02.2017, RG n° 2011-AM-409
Mons (12e ch., division de Mons), 14 février 2017, RG n°2016/122
Une procédure de règlement collectif de dettes avait été introduite par deux cohabitants. Ceux-ci s’étaient entre-temps séparés dans des circonstances houleuses, le requérant ayant été incarcéré et pénalement condamné pour menaces et harcèlement.
Dans le cadre d’un plan de règlement amiable, la requérante avait assumé seule le paiement de presque toutes les dettes pesant sur les deux anciens cohabitants, soit une somme de 20.205,62 euros, et de la rémunération du médiateur de dettes à concurrence d’un montant de 3.313,03 euros. Un an et demi après la fin de la procédure de règlement collectif, elle réclamait au requérant le remboursement d’une somme de 11.660,79 euros, outre des intérêts moratoires, en invoquant sa subrogation dans les droits des créanciers remboursés conformément à l’article 1251, 3° du Code civil. Le tribunal de première instance du Hainaut avait fait droit à sa demande.
Le requérant avait interjeté appel contre cette décision, arguant qu’en vertu de l’article 1675/11, §4 du Code judiciaire, la requérante codébitrice ne pouvait être désintéressée que dans la mesure où elle participait au plan de règlement (comme créancier) et dans la mesure de ce que ce plan prévoyait à son profit.
La cour d’appel de Mons démontre que ce raisonnement ne tient pas juridiquement la route.
En effet, «si les travaux préparatoires (Doc. Parl., Chambre, 1073/11-96/97, p. 63-64) précisent que les termes “sûretés personnelles” utilisés par cette disposition visent aussi bien les cautions que les codébiteurs solidaires des médiés, même s’ils n’ont pas encore payé avant le dépôt de la requête et ne deviennent créanciers que parce qu’ils ont été amenés à payer après l’établissement du plan, cette disposition ne peut s’appliquer qu’aux sûretés personnelles du ou des médiés tiers à la médiation, mais non aux médiés eux-mêmes, requérants, qui doivent exécuter le plan.
[…]
Les règles de la procédure de règlement collectif de dettes régissent les rapports externes des médiés à l’égard des créanciers et des tiers, mais ne font pas obstacle à l’application des règles de droit commun (droit patrimonial) dans les rapports internes entre médiés qui déposent une requête conjointe – co-médiés – à défaut de dispositions légales spécifiques sur ce point.
[Elles] ne font nullement obstacle à l’établissement de comptes entre les médiés une fois la procédure (de règlement collectif) terminée et les dettes indivises apurées, la créance du co-médié ne devenant liquide, certaine et exigible qu’à la fin de [cette] procédure, lorsque le plan a été entièrement exécuté».
De plus, d’un point de vue pratique, la requérante ne pouvait pas «déposer une déclaration de créance dans le cadre de sa propre procédure de règlement collectif de dettes, ne pouvant être à la fois débitrice et créancière dans la même procédure (la situation aurait été différente si deux procédures distinctes avaient été introduites par les deux anciens cohabitants)».
La décision en PDF: Mons (12ème ch.), 14.02.2017, RG n° 2016-122
CT Mons (10e chambre), 21 février 2017, RG n°2016/AM/241
Un des créanciers n’a pas fait sa déclaration de créance dans le mois suivant la notification qui lui a été faite de la décision d’admissibilité. Par courrier recommandé avec accusé de réception reprenant in extenso le texte de l’article 1675/9,§3 du Code judiciaire, le médiateur de dettes l’invite à le faire dans les quinze jours de la réception de ce courrier. La déclaration de créance est adressée au-delà de ce dernier délai. Le médiateur de dettes informe le créancier en cause que sa déclaration est tardive et qu’en conséquence il est réputé avoir renoncé à sa créance et qu’aucun montant ne lui sera remboursé. Le projet de plan de règlement amiable communiqué par le médiateur aux parties reprend cette information.
Le créancier formule un contredit.
Le tribunal du travail du Hainaut, division de Charleroi, constate le caractère tardif de la déclaration, qualifie le contredit d’abusif et homologue le projet de plan en condamnant le créancier aux frais et dépens de l’instance.
Le créancier conteste cette décision.
Ses arguments sont de deux ordres:
– Il rappelle tout d’abord que le montant de sa créance était repris dans la requête introductive d’instance et n’était pas discuté, que, s’agissant d’un prêt hypothécaire, le médiateur était informé de la procédure de vente du bien hypothéqué que le créancier avait mis en œuvre et que les mensualités avaient continué à être payées sans réserve durant la procédure. Cette créance étant connue et identifiée, il n’était pas tenu de la déclarer.
La cour du travail ne partage pas son avis. Elle estime que les faits précités ne dispensaient pas le créancier de communiquer dans les délais une déclaration de créance conforme à l’article 1675/9, §3 du Code judiciaire. En effet, «cette exigence de déclaration de créance […] est justifiée, notamment, par le fait qu’entre le dépôt de la requête et le moment où le médiateur de dettes va tenter de procéder à l’élaboration d’un plan, le montant de la créance a pu évoluer à la baisse ou à la hausse».
– Le créancier évoque ensuite l’article 861 du Code judiciaire. Celui-ci prévoit que le non-respect d’un délai dans lequel un acte doit être accompli n’entraîne la nullité de cet acte que si le manquement préjudicie la partie qui l’invoque.
Or, suivant le créancier, à supposer que sa déclaration soit tardive, cette irrégularité n’a pas nui aux intérêts du médiateur ou des requérants de telle sorte que, conformément à la disposition précitée, la déclaration ne peut donc être considérée comme étant nulle.
La cour du travail répond qu’«il résulte tant des nouvelles dispositions légales relatives aux nullités que les travaux préparatoires que l’article 861 nouveau [du Code judiciaire] ne peut être un correctif qu’en cas de nullité ou de délai prescrit à peine de nullité et non pour un délai prévu à peine de déchéance». «Le régime des nullités consacré par les articles 860 et 861 nouveaux du Code judiciaire ne s’applique pas aux délais accélérateurs prescrits à peine de déchéance, tel que celui visé par l’article 1675/9, §3 du Code judiciaire.»
Effectivement, «la sanction prévue à l’article 1675/9, §3 du Code judiciaire [“le créancier concerné est réputé renoncer à sa créance”] n’est clairement pas la nullité de la créance. Il s’agit, en réalité, d’une forme particulière de déchéance inhérente à la procédure de règlement collectif de dettes et qualifiée par certains auteurs de “pseudo-déchéance”». (Ch. Bedoret, «Le crédit hypothécaire ou le mythe prométhéen du règlement collectif de dettes» in Le règlement collectif de dettes, Larcier, p. 150.)
La décision en PDF: C.T. Mons (10ème ch.), 21.02.2017, RG n° 2016-AM-241
CT Bruxelles (12e ch.), 9 mai 2017, RG n°2016/BB/35
La requérante vivait seule, percevait un revenu de 2.010,53 euros par mois et, déduction faite de ses charges d’un montant de 1.456,27 euros, pouvait consacrer mensuellement une somme de 554,26 euros à l’apurement de son endettement. Celui-ci avoisinait 4.320 euros mais pourrait s’élever jusqu’à 49.000 euros environ suite à la résiliation de contrats de crédit à la consommation.
Elle était également copropriétaire indivise, avec son ex-conjoint, de l’ancien logement familial occupé par ce dernier et évalué entre 350.000 et 370.000 euros. Suivant les conventions préalables au divorce par consentement mutuel d’entre les deux ex-époux, la requérante assumait le paiement de deux primes d’assurance et de la moitié du précompte immobilier tandis que son ex-conjoint devait lui verser un loyer de 600 euros par mois, et ce, jusqu’à la vente de l’immeuble.
Le tribunal du travail avait considéré que le surendettement de la requérante ne pouvait être qualifié de durable au sens de l’article 1675/2 du Code judiciaire compte tenu du fait que l’endettement pouvait être apuré à partir de la moitié de la valeur de l’immeuble précité et que la vente de ce bien ne devrait pas porter atteinte au respect de la dignité humaine. La demande de règlement collectif formée par la requérante n’avait donc pas été déclarée admissible.
La requérante avait interjeté appel contre cette décision en faisant valoir que:
- elle remboursait ses créanciers dans la mesure du possible, quatre petites créances ayant déjà pu être payées entre-temps;
- son endettement pouvait s’accroître de manière importante du fait de la résiliation de contrats de crédit à la consommation;
- les prêteurs ayant octroyé ces crédits avaient mis en œuvre une cession de rémunération;
- elle ne pouvait faire finaliser les opérations de liquidation et de partage consécutives au divorce, étant donné que son ex-époux souhaitait acquérir la part de la requérante dans l’immeuble commun mais ne pouvait, à ce moment, obtenir un prêt pour financer cet achat.
La cour du travail relève que:
- «le législateur n’a pas défini le critère de durabilité du déséquilibre entre les dettes et les rentrées courantes, mais les travaux (préparatoires) permettent de faire la distinction avec des difficultés financières temporaires (projet de loi relatif au règlement collectif de dettes et à la possibilité de vente de gré à gré des biens immeubles saisis, exposé des motifs [Doc. parl., sess. ord., 1996-1997, n°49-1073/1, p. 15])»;
- «le déséquilibre durable doit être démontré par le débiteur surendetté, ce qui requiert une parfaite transparence patrimoniale»;
- «il n’y a pas de difficulté durable si des facilités de paiement peuvent être accordées par des créanciers. En ce cas, la situation à régler est conjoncturelle (en ce sens: tr. trav. Bruxelles, 19 novembre 2008, R.G. n°08/021377, inédit, cité par Fl. Burniaux, “Le règlement collectif de dettes: du civil au social”, Les dossiers du J.T., Larcier, p. 57, n°82); elle n’est donc pas structurelle»;
- «un examen concret est requis, quel que soit le nombre de dettes contractées (comp. Cass., 16 mars 2000, Pas., 2000, p. 594)».
Au terme de cet examen, la cour du travail réforme la décision du premier juge et déclare qu’il y a une situation structurelle et durable de précarité et que la requérante est admissible au règlement collectif, en retenant que:
- le déséquilibre financier pourrait s’accroître au détriment tant de la requérante que de ses créanciers; or, «le droit de l’exécution doit être mis en concordance avec l’ensemble du dispositif légal» et «le droit peut favoriser des solutions davantage adaptées que l’exécution sans éluder l’obligation de remboursement»; «dès lors, à défaut de formules amiables, une personne endettée est en droit de recourir à la protection judiciaire organisée par la législation sur le règlement collectif de dettes, si les conditions sont satisfaites» (en ce sens: cour trav. Bruxelles, 12e, 27 octobre 2015, R.G. 2015/BB/26, inédit);
- «il faut avoir égard aux intérêts légitimes de l’ensemble de la famille. La formule d’un rachat par l’ex-conjoint évitera les procédures inhérentes à une sortie d’indivision et à la liquidation-partage du régime matrimonial, constitutif d’un problème structurel».
La décision en PDF: C.T. Bruxelles (12ème ch.), 09.05.2017, RG n° 2016-BB-35
Didier Noël,
coordinateur scientifique à l’Observatoire du crédit et de l’endettement