Dans cette rubrique, vous trouverez une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dettes. En voici la recension.
Trib. trav. Liège, div. Verviers (3e ch.), 18 mars 2024 (RG2017/00034 B)
Plan de règlement amiable – Homologation – Décès – Autorisation – Renonciation à la succession –Coffre-fort – Bijoux – Propriété d’un tiers – Contestation – Absence de documents probants – Masse active.
Les requérants ont été admis en règlement collectif de dettes par une ordonnance du 10 février 2017. En date du 26 janvier 2018, un plan de règlement amiable a été homologué prévoyant un remboursement de 17,32%, soit 23.900 euros sur le montant dû en principal, à savoir 138.021,07 euros. Ce montant concerne le solde du crédit hypothécaire restant dû après la vente de leur immeuble hypothéqué. Le plan doit se terminer au mois de février 2024.
À la suite du décès du requérant le 10 avril 2021, son épouse, requérante, a été autorisée par une ordonnance du 17 novembre 2021 à renoncer à la succession de son conjoint décédé.
En mai 2023, le notaire en charge de la succession informe le médiateur que, d’une part, l’acte de renonciation n’a pas encore pu être signé, n’ayant plus, à ce jour, de nouvelles de la requérante et que, d’autre part, cette dernière, selon les propos de sa fille, souhaite récupérer le contenu d’un coffre dont elle est titulaire avec son époux défunt.
En juin 2023, l’avocat de la fille des requérants contacte par écrit le médiateur. Celui-ci l’informe de la volonté de sa cliente de récupérer ledit contenu du coffre-fort ouvert au nom de ses parents au motif qu’elle en est, en réalité, la propriétaire, s’agissant de bijoux offerts en cadeau lors de son mariage. Elle justifie la location de ce coffre au nom de ses parents en raison de problèmes de santé importants et surtout des relations particulièrement tendues et difficiles qu’elle entretient avec son époux.
Le médiateur sollicite la fixation du dossier à l’audience.
Le tribunal rappelle, tout d’abord, que le patrimoine d’une personne admise en règlement collectif de dettes est constitué de la masse de biens dont elle dispose au jour de son admissibilité, mais également des biens acquis en cours de procédure[1].
Il est également mentionné, concernant la charge de la preuve, qu’il appartient à celui qui veut faire valoir une prétention en justice de prouver les actes juridiques ou les faits qui la fondent[2].
Par conséquent, le tribunal invite la requérante à apporter la preuve que le contenu du coffre est bien la propriété de sa fille en déposant des documents probants attestant des achats qui auraient été effectués par les invités lors du mariage de cette dernière. La requérante finit par déposer quinze attestations[3] faisant état de trente-trois bracelets, deux colliers et une médaille.
À la suite de l’analyse de ces documents, le tribunal constate:
– l’absence d’un descriptif individualisé de chaque bijou donné (photo, particularités, facture d’achat…);
– le manque de concordance entre le descriptif des bijoux répertoriés dans le procès-verbal de constat dressé par un huissier de justice en janvier 2023 (beaucoup plus exhaustif) et les déclarations fournies dans les attestations déposées par la requérante.
De plus, le tribunal est interpellé par le fait que le notaire intervenant ne semble pas avoir été mis au courant que le contenu du coffre appartenait en réalité à la fille. Par ailleurs, il a fallu attendre juin 2023 pour qu’elle en revendique la propriété, sachant que le décès est intervenu en avril 2021.
Par conséquent, il est jugé que les bijoux présents dans le coffre-fort font bien partie de la masse des biens appartenant à la requérante et, par conséquent, qu’ils doivent être considérés comme faisant partie de la masse active de la procédure en règlement collectif de dettes. Le tribunal souligne toutefois qu’à ce stade, on ignore si ces bijoux présentent une quelconque valeur.
Le médiateur est donc invité, lorsque surviendra la clôture de la procédure, à répartir le montant détenu sur le compte de médiation, éventuellement augmenté de la valeur des bijoux répertoriés.
Enfin, la requérante est appelée à apporter la preuve de la renonciation à la succession de son conjoint dans un délai de maximum deux mois à dater du jugement prononcé.
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Trib. trav. Liège, div. Verviers (3e ch.), 18 mars 2024 (RG2020/00026 B)
Admissibilité – Bail – Créances – Arriérés de loyers – Travaux de remise en état – Indemnité de résolution – Dépens et droit de greffe – Dette dans la masse – Dette nouvelle – Fait générateur –Justification – Ventilation des créances
La requérante a été admise en règlement collectif de dettes en date du 6 février 2020. Le 4 novembre 2023, une requête en révocation est déposée par l’avocat d’une créancière, à savoir l’ancienne bailleresse de la requérante. Il est rappelé, au préalable, que la requérante et la créancière ont conclu le 29 mars 2012 un bail à résidence principale. Cependant, à la suite de problèmes financiers, les loyers pour les mois de décembre 2019 à mars 2020 sont restés impayés.
Dans la foulée, la créancière a déposé le 22 janvier 2020 une requête devant la justice de paix pour obtenir la résolution du contrat de bail aux torts des locataires et leur condamnation au paiement de diverses sommes. Cette procédure a finalement conduit à un jugement prononcé en appel devant le tribunal de première instance en date du 1er février 2023.
À la suite de l’admissibilité de la requérante au règlement collectif de dettes, la créancière a déposé, le 10 février 2020, une déclaration de créance provisionnelle entre les mains du médiateur. Il est également mentionné que le 20 mars 2020, la requérante a fini par quitter les lieux de la location.
La créancière revendique que la somme qu’elle réclame, à concurrence de 9.336,47 euros, soit prise en compte comme une dette nouvelle. Le médiateur ne partage pas cet avis et estime devoir intégrer l’entièreté de la créance déclarée dans la masse passive du règlement collectif de dettes.
Le médiateur sollicite la fixation du dossier à l’audience.
Au regard des éléments qui lui sont exposés, le tribunal constate qu’il n’y a pas lieu, en réalité, de se prononcer sur la demande de révocation déposée à l’encontre de la requérante, mais bien de déterminer si les différentes sommes réclamées par la créancière doivent être considérées comme des dettes dans la masse ou des dettes nouvelles.
Il est ainsi préalablement rappelé que des dettes nouvelles, c’est-à-dire dont le fait générateur est postérieur à l’admissibilité, peuvent en effet apparaître en cours de procédure, lesquelles doivent être payées par priorité au moyen des fonds du compte de médiation.
Au contraire, les dettes dont le fait générateur est antérieur à l’admissibilité constituent la masse passive du règlement collectif de dettes, laquelle subit le concours entre tous les créanciers.
Concernant les arriérés de loyers :
Il est admis que les arriérés de loyers de décembre 2019 et janvier 2020, soit une somme de 1.216,96 euros[4], étant antérieurs à l’admissibilité, sont considérés comme une dette dans la masse. Par contre, les loyers impayés de février et mars 2020, postérieurs à l’admissibilité, sont bien des dettes nouvelles.
Concernant les travaux de remise en état :
Il ressort du jugement prononcé par le tribunal de première instance que des peintures non autorisées conformément aux termes du contrat de bail et non conformes aux règles de l’art élémentaire ont été réalisées par la requérante. Le préjudice est fixé pour la remise en peinture au montant de 2.160 euros. Le tribunal souligne que l’identification, dans ce cas, d’un fait générateur est compliquée dès lors qu’il n’est pas possible de déterminer avec exactitude quand les travaux contestés ont été réalisés.
Le tribunal est donc d’avis d’appliquer pour ce poste une règle de trois sur la base de la durée du bail fixée à 96 mois (du 1er avril 2012 au 20 mars 2020). Par conséquent, 94/96 de la somme due pour les travaux doivent être considérés comme une créance antérieure à l’admissibilité et 2/96 (février et mars 2020) comme une créance postérieure.
Concernant la contrepartie pour un banc de menuisier et la différence de mazout :
La différence de mazout et la disparition du banc de menuisier n’ayant pu être constatées qu’après le départ de la requérante, il est admis que le dédommagement pour le banc, soit 450 euros, et la différence de mazout, soit 32,50 euros, sont des dettes postérieures à l’admissibilité.
Concernant l’indemnité de résolution :
Cette indemnité vient condamner le fait pour la requérante d’avoir quitté les lieux de manière anticipative et fautive un an à l’avance. Il est considéré que cette indemnité est une dette nouvelle dès lors que c’est bien le départ de la requérante, postérieurement à l’admissibilité, qui a déterminé les raisons et le montant de cette condamnation.
Concernant les dépens et les droits de greffe :
Il est également admis que la condamnation aux dépens et aux droits de greffe, soit 3.053,84 euros, découlant du jugement du tribunal de première instance, doit être considérée comme une dette nouvelle. Il est en effet admis que les dépens ne sont dus qu’à partir de la condamnation, en l’occurrence en date du 1er février 2023, et non à partir de l’introduction de la demande devant le tribunal[5].
Le tribunal souligne, en outre, qu’il y aura lieu de déduire la réduction du précompte immobilier accordée à la requérante pour l’année 2020 des sommes dues antérieurement à l’admissibilité, le fait générateur étant situé au 1er janvier 2020, soit avant l’admissibilité.
Sur la base de l’analyse effectuée par le tribunal, le médiateur est donc invité à établir un plan de règlement amiable en ventilant la créance de la bailleresse en fonction des sommes rentrant dans la masse passive et des montants à considérer comme dus postérieurement à l’admissibilité. Enfin, les parties sont appelées à faire en sorte que toutes les dettes nouvelles soient apurées et/ou que des plans de paiement soient mis en place afin d’éviter une nouvelle demande en révocation.
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Trib. trav. Brabant wallon, div. Nivelles (7e ch.), 25 avril 2024 (RG 23/174/B)
Saisie-exécution immobilière – Admissibilité – Suspension des voies d’exécution – Art. 1675/7, §2, alinéa 2 CJ – Désignation du notaire – Exception – Poursuite de la vente – Remise ou abandon de la vente-Intérêt de la masse – Dignité humaine – Justification – Non – Demande non fondée.
Le requérant a été admis au règlement collectif par une ordonnance du 7 novembre 2023. Il apparaît que ce dernier est propriétaire d’un immeuble pour lequel un crédit d’un montant de 302.670,02 euros a été consenti dans le but d’un refinancement et de la transformation de l’immeuble.
À la suite d’une accumulation de mensualités impayées et du non-respect des engagements pris lors de la conciliation devant le juge des saisies, le crédit a été dénoncé par la banque en date du 16 mars 2023. La procédure de saisie-exécution immobilière a donc été poursuivie.
Au moment de l’admissibilité du requérant, l’ordonnance de désignation du notaire avait été signifiée au préalable à ce dernier en date du 11 septembre 2023. Dans les mois suivant son admissibilité, le requérant dépose au tribunal du travail une requête en abandon de la vente.
Il est rappelé que, conformément à l’article 1675/7, §2 du Code judiciaire, l’admissibilité entraîne, en principe, la suspension des mesures d’exécution forcée, notamment immobilières. Toutefois, le législateur a introduit une exception à cette suspension en permettant de poursuivre la vente du bien lorsque la procédure d’exécution forcée était déjà bien entamée avant l’admissibilité. Sachant cependant que, dans ce cas, la loi accorde au requérant un dernier tempérament en lui permettant de demander au tribunal d’ordonner la suspension ou l’abandon de la vente déjà entamée si l’intérêt de la masse et le respect de la dignité humaine l’exigent.
Le requérant justifie la requête en abandon par le souhait de finaliser les travaux de rénovation initialement prévus à concurrence de 20.000 euros, afin de s’assurer d’une plus-value lui permettant d’envisager le remboursement total de ses dettes, dont le créancier hypothécaire.
Le tribunal est d’avis qu’il n’est ni raisonnable ni fondé de considérer que la réalisation de travaux pour un montant de 20.000 euros permettra d’augmenter la valeur vénale de l’immeuble dans cette proportion.
En outre, il est constaté que la vente de l’immeuble en l’état permettra de rembourser le créancier hypothécaire et une partie importante des autres créanciers. Alors qu’en l’absence de vente et vu les ressources actuelles du requérant, aucune garantie de remboursement dans un délai raisonnable n’est assurée.
Enfin, compte tenu de la mensualité hypothécaire de 1.500 euros au paiement de laquelle le requérant semble pouvoir s’engager, il peut être raisonnablement considéré que ce budget permette au requérant de trouver sur le marché locatif, même dans le Brabant wallon, un immeuble pouvant accueillir sa famille. Par conséquent, le tribunal considère que la requête en abandon n’est pas fondée et que la poursuite de la vente dans le cadre du règlement collectif de dettes ne porte pas atteinte à la dignité humaine du requérant et se justifie par l’intérêt de la masse.
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Sabine Thibaut, juriste à l’Observatoire du crédit et de l’endettement
[1] C. jud., art. 1675/7, §1er, alinéa 2.
[2] Art. 8.4 de la loi du 13 avril 2019 portant création d’un Code civil et y insérant un livre 8 «La preuve».
[3] C. jud., art. 961/1.
[4] Augmentée de l’arriéré de l’indexation de 175,44 euros.
[5] Art. 557 CJ; Cass., 19 février 2004, C.02.0208.N; Cass., 24 septembre 1953, Pas., 1954, p. 40; Cass., 30 mars 2001, C.970330.