Pluralité de points de vue sur la médiation amiable

Le 28 mai dernier, le Gils, centre de référence des SMD en province de Liège, organisait une matinée de réflexion sur la médiation de dettes amiable. Dans le panel: une série d’acteurs qui gravitent autour de la médiation de dettes, et leur point de vue sur une procédure désormais précisée dans le livre XIX du Code de droit économique.

«La médiation de dettes amiable: une procédure toujours payante?» était le thème de la matinée de colloque que le Gils (Groupement d’initiative pour la lutte contre le surendettement) a organisée en mai dernier. Une série d’acteurs ont été invités à donner leur point de vue sur cette médiation amiable qui a vu le jour au début des années 90. Qu’en est-il après trente ans d’existence? Cette procédure est-elle moribonde ou offre-t-elle une solution gagnant-gagnant face à des situations de surendettement?

Stéphanie Franceschini, médiatrice de dettes au SMD du CPAS d’Ans, a rappelé les grandes étapes de la médiation amiable de dettes (analyse du budget, analyse des dettes, demande des décomptes, établissement d’un plan d’apurement réaliste, mise en place éventuelle d’une guidance ou d’une gestion budgétaire, introduction d’une requête en RCD). Elle a aussi soulevé un des écueils qui a longtemps marqué la profession de médiateur de dettes, considéré comme un aidant proche de la personne surendettée par les créanciers: «Cette situation a évolué, avec une meilleure connaissance de nos services. Du côté des créanciers, il n’y a pas toujours eu de distinction entre les assistants sociaux de première ligne et les médiateurs de dettes. Mais il faut aussi de notre côté mettre des limites: nous avons affaire à un public précarisé qui a parfois déjà usé la patience des créanciers, qui n’est pas toujours en mesure de faire les efforts demandés par la médiation de dettes.»

Pour autant, pour tous ceux qui n’ont pas accès au RCD, comme les indépendants, ceux qui ont trop peu de revenus, qui ne peuvent pas réintégrer la procédure ou qui ne veulent pas du RCD, la solution de la médiation amiable est réelle, selon Stéphanie Franceschini, avec la gratuité, une procédure qui peut être plus rapide pour les créanciers, une chance pour ces derniers d’être payés à 100%, plus de souplesse en cas de difficultés, une vérification de la légalité des créances, un axe d’éducation et d’apprentissage, mais aussi des inconvénients comme le calcul des frais et intérêts qui continuent de courir, l’absence de suspension des procédures, le risque aussi d’irrégularités de paiement.

Ses points d’attention pour plus d’efficacité? «Un P-V de carence délivrable par le SMD, une facturation mensuelle pour l’eau, le cadastre et certaines autres taxes, la collaboration entre les SMD et les communes pour l’échelonnement du paiement des taxes avant contrainte, éviter les saisies et les ventes-pression par les huissiers qui font grimper la note…»

 Un avis assez radical

 À la suite de la médiatrice de dettes, d’autres points de vue se sont fait entendre, comme celui, plus musclé, de Grégory Bresolin, responsable de la facturation et du recouvrement à l’hôpital de la Citadelle. Il a d’emblée le rôle central de ce centre de soins, «avec, en 2022, 900.000 factures, 368 millions d’euros facturés, 37 millions d’euros facturés aux patients, 200.000 SMS de rappels gratuits, 155.000 nouveaux rappels par courrier, 49.000 dossiers confiés à des sociétés de recouvrement et 6 millions d’euros passés en pertes et profits». Il a aussi tenu à rappeler qu’en tant qu’employeur, l’hôpital de la Citadelle a la charge de 2.700 équivalents temps pleins, de 600 médecins, avec un impact de l’indexation des salaires ces derniers mois de plusieurs millions d’euros, des coûts de nourriture et d’énergie qui n’ont cessé d’augmenter et une nomenclature Inami qui, elle, n’évolue pas. Pour ce gestionnaire, cette situation mène au fait que 60% des hôpitaux ont leurs finances dans le rouge (étude Maha/Belfius) et certains sont quasi en cessation de paiement des salaires de leurs employés.

Dès lors, pour Grégory Bresolin, «chez nous, pas de négociation: on respecte la dignité humaine, mais le but est de faire payer. Le problème, c’est qu’on nous demande de suspendre les procédures pendant trois à six mois. Avec les rappels et l’intervention en recouvrement amiable, on arrive vite au bout de la prescription. On nous demande aussi de mettre en irrécouvrable. On a l’impression que le SMD joue la montre contre le créancier, on nous propose aussi des sommes qui sont dérisoires: 5 euros pour des factures de 600, 800 euros. Résultat, ce sont nos finances qui sont affaiblies. D’où l’inadéquation de la médiation amiable qui nous semble en fin de vie…»

 Des points de vue contrastés

 Autre avis, celui du CEO de la société de recouvrement Venturis, Colin Cobbaert, pour lequel le slogan est «Amiable first», ce qui représente 90% de leur volume d’activité. Selon ce professionnel du recouvrement de dettes, «ce qui cause le surendettement, c’est la cascade de frais très importante quand on recourt trop rapidement au recouvrement judiciaire, ce qui fait passer une dette de 100, 150 euros à plus de 1.000 euros. Il s’agit donc d’intensifier les procédures de recouvrement amiable en cherchant le contact, en ouvrant le dialogue, en comprenant les difficultés en cours d’apurement et en surveillant de manière proactive».

 Pour cela, Colin Cobbaert préconise plus de moyens aux SMD pour être plus efficaces des protocoles d’accord entre les SMD et les sociétés de recouvrement pour trouver des modes de résolution négociées, «mais, pour cela, il faut que le débiteur joue le jeu, il faut obtenir son engagement, pas un sauf-conduit pour ne plus payer. Sinon il se met hors jeu… D’où la nécessité alors de passer au recouvrement judiciaire, sans quoi il y a un sentiment d’impunité».

 Anaïs Gillotay est quant à elle huissière de justice dans l’arrondissement de Namur. Elle appréhende la médiation amiable comme une bonne pratique et la meilleure voie pour aboutir à un plan d’apurement, mais à condition qu’il y ait un traitement impartial de la situation par un médiateur neutre et indépendant et une bonne collaboration entre toutes les parties. Pour Anaïs Gillotay, «l’huissier est là pour maintenir le dialogue entre le débiteur et le créancier, avec l’aide du SMD. Il s’agit d’un jeu d’équilibriste. Dans mes relations avec les médiateurs de dettes, si le sentiment est du côté gagnant-gagnant, alors OK. Il faut une bonne collaboration qui passe par le partage d’infos, de la confiance pour avoir des échanges sereins et pour que le créancier n’ait pas l’impression que le SMD est un bouclier pour le débiteur».

Les avantages de la médiation amiable, selon elle? La gratuité, donc plus de disponible pour payer les dettes, une aide complète sociale et financière, mais comme inconvénients, l’absence de cadre juridique, le manque de confiance et la prise de contact tardive, avec une négociation plus difficile s’il y a de nombreux frais. Autre problème: les débiteurs pigeons voyageurs, pour lesquels on met un plan en place, puis qui déménagent et pour lesquels il faut tout recommencer…

Des avancées législatives mesurées

 Dans le cadre de ce colloque, il a été également question des avancées législatives, engrangées ou non durant cette législature. Alors que le projet de loi du ministre de l’Économie Pierre-Yves Dermagne sur le désendettement, comme voie médiane entre la médiation amiable et le RCD, a été recalé en fin de législature, d’autres initiatives ont passé la rampe du vote au Parlement.

Comme l’ont signalé Anaïs Gillotay et Sabine Thibaut pour l’Observatoire du crédit, il s’agit de l’introduction dans le fichier des avis de saisie d’un avis de médiation amiable (1390 octies § 3 nouveau du Code judiciaire) afin de limiter les recouvrements intempestifs et éviter l’accroissement inutile de la dette. Le dépôt de cet avis a lieu via l’intervention d’un huissier de justice, et ce gratuitement, et a pour but de faire connaître la procédure en médiation de dettes amiable. L’article 1391 bis nouveau du CJ énonce le principe selon lequel il y a obligation pour l’huissier constatant l’existence d’un avis de médiation amiable d’informer le médiateur de dettes de sa mission et du montant de sa créance. Le médiateur de dettes doit répondre dans le mois sur les possibilités ou non d’intégrer la créance dans le plan de paiement. L’absence de réponse du médiateur ou d’accord entraîne la poursuite du recouvrement par l’huissier. Pour consulter le projet de loi du 6 mars 2024 (55/3883) voté:https://www.lachambre.be/FLWB/PDF/55/3883/55K3883006.pdf.

Autre projet de loi voté in extremis en fin de législature et largement commenté par Sabine Thibaut (qui reviendra sur le contenu dans un article à paraître sur le site de l’Observatoire et dans les ÉCE): le projet de loi du 11 mars 2024, introduisant un nouveau titre 3 «La médiation de dettes amiable» dans le livre XIX du Code de droit économique (articles XIX.16 à 44 CDE), lequel encadre désormais légalement la médiation amiable en en fixant le cadre juridique et en lui octroyant une reconnaissance légale, en formalisant les étapes de la procédure et les obligations des différentes parties, et ce en fonction de la chronologie de la procédure. Pour consulter le projet de loi du 11 mars 2024 (55-3856/3857) voté: https://www.lachambre.be/FLWB/PDF/55/3856/55K3856001.pdf.

Nathalie Cobbaut