Les relations entre les médiateurs de dettes et les personnes surendettées ne sont pas toujours au beau fixe. Particulièrement dans le cas des règlements collectifs de dettes, ces relations peuvent être tendues: incompréhensions de la procédure dans le chef des médiés, sentiment de confiscation de leur existence et de leurs moyens financiers, impression de peu de considération de leur situation sociale. De leur côté, les médiateurs de dettes ont parfois l’impression d’un manque de collaboration et d’une absence de reconnaissance du travail, par les médiés. Certains avocats ne se sentent pas nécessairement investis d’un rôle de suivi social (lequel n’est d’ailleurs pas prévu dans le calcul des honoraires) et les travailleurs sociaux qui sont nommés médiateurs judiciaires n’ont plus forcément le temps d’investir dans la relation, débordés par le nombre de dossiers à traiter. Bref, dans un certain nombre de situations, la communication et la collaboration sont difficiles.
Dans notre dossier, retrouvez une analyse des positions respectives, ainsi que des outils et des services pour essayer de rapprocher les points de vue.
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La médiation dans la médiation:
le chaînon manquant
Probablement unique en Belgique, le Service d’accompagnement social pour le règlement collectif de dettes (SAS-RCD) existe comme tel depuis 2014. Précédé d’une cellule de concertation auprès du tribunal du travail de Verviers et mis en place par le juge aujourd’hui émérite Eric Battistoni, ce service à part entière a pour vocation de proposer un accompagnement social aux personnes en RCD et intervient notamment pour mettre de l’huile dans les rouages quand les relations entre médiateurs et médiés se grippent. Pour expliquer le fonctionnement du SAS-RCD, nous avons rencontré Corine Sisterman, la responsable de Télé-Service Verviers, qui encadre ce service.
Les Échos du crédit: Quels sont les tenants et aboutissants de la création du SAS-RCD? Qu’est-ce qui a poussé Télé-Service Verviers à s’impliquer dans cette initiative?
Corine Sisterman: À l’origine, il faut resituer l’initiative du juge Eric Battistoni, un magistrat du tribunal du travail de Verviers en charge des dossiers de RCD. En 2009, ce magistrat avait organisé des tables rondes réunissant un certain nombre d’acteurs sociaux de la région de Verviers, dont Télé-Service, pour réfléchir aux problèmes de tensions qui existent entre médiateurs et médiés et envisager un accompagnement social des médiés. De ces tables rondes qui au début réunissaient beaucoup de monde et dont le public s’est peu à peu effrité, a pourtant émergé un dispositif composé de bénévoles, anciens magistrats et acteurs issus de CPAS, pour démêler les difficultés naissantes dans le cadre de la procédure en RCD. Ayant participé aux tables rondes et m’étant fortement intéressée à cette thématique, j’ai voulu apporté ma contribution et j’ai détaché un poste APE à mi-temps d’assistante sociale pour assister aux permanences, qui, à l’origine, se tenaient au tribunal de Verviers, et donner un avis, une expertise sociale dans les dossiers qui sont traités par cette cellule. Lorsque le juge Battistoni est parti à la retraite, j’ai proposé d’intégrer cette cellule au sein de Télé-Service. C’est chose faite depuis 2014: nous avons aménagé deux pièces avec une salle d’attente spécifique pour ce SAS.
ECE: Comment cette initiative est-elle reçue par le public, les avocats médiateurs, les juges?
Corine Sisterman: Il est clair qu’avec le départ du juge Battistoni, il a fallu convaincre les deux nouveaux juges du travail, Vivianne Belleflamme et Renaud Gazon, du bien-fondé de cette cellule, mais ils ont vite compris qu’en réalité cela déchargeait fortement le greffe du tribunal du travail régulièrement assailli par des demandes de médiés. Nous avons également rallié le président du tribunal du travail de Liège, Denis Maréchal, à cette formule, qui est de plus en plus connue au-delà même de l’arrondissement et qui est parfois sollicitée par des justiciables qui ne relèvent pas de notre juridiction. Le SAS-RCD est composé comme à l’origine de bénévoles (magistrats et travailleurs sociaux à la retraite): il s’agit de Jacques Bronchain et de Jean-Marie Gilson, anciens juges sociaux, et d’Armance Broxhon-Demal, ancienne chef de service social d’un CPAS, et d’Yves Capart, ancien secrétaire de CPAS. Une employée à temps plein, Caroline Simon, assiste aux audiences RCD au tribunal de Verviers qui ont lieu le lundi, et le SAS-RCD se réunit quant à lui le mardi dans les locaux de Télé-Service. Il peut être saisi par les juges du travail qui estiment qu’il y a des problèmes au sein d’une médiation de dettes ou s’ils souhaitent que des mesures d’accompagnement soient organisées autour du médié. Le SAS-RCD peut également être actionné à la demande du médié ou du médiateur. Au départ, les médiateurs étaient très méfiants, ils sont aujourd’hui beaucoup plus ouverts au processus de médiation qu’offre le SAS-RCD.
ECE: Quelles sont les principales demandes traitées par le SAS-RCD?
Corine Sisterman: Lors de chaque séance du mardi, on traite entre quatre et six dossiers. En 2016, 232 dossiers ont été examinés. Certains sont traités rapidement, d’autres prennent parfois une heure et demie. On envisage d’ailleurs de doubler les séances. La majorité des demandes concernent des difficultés de dialogue entre les médiés et les médiateurs. Il y a vraiment des problèmes de communication entre ces deux mondes, ainsi que des problèmes de compréhension dans le chef des médiés sur ce que l’on attend d’eux dans le cadre du RCD. Ces derniers sont souvent mal informés, ne se rendent pas bien compte de leurs responsabilités et de ce que représente un règlement collectif de dettes. Ils ne se sentent pas concernés par cette procédure, ce qui les rend assez attentistes et peu collaboratifs. Ils considèrent qu’ils sont en RCD, donc qu’ils sont pris en charge et ne doivent plus rien faire. Ils éprouvent également des difficultés à entrer en contact avec les médiateurs qui ne répondent pas, et ce, d’autant plus qu’ils sont sollicités. C’est vraiment un rôle de conciliation que le SAS-RCD entend avant tout jouer en convoquant les parties à ces séances du mardi matin en compagnie des bénévoles, d’une assistante sociale de notre service social général et de l’employée qui a assisté aux audiences du lundi. Cette dernière prend note de tout ce qui se dit lors des réunions dans un procès-verbal soumis aux parties présentes. Ce procès-verbal est envoyé aux magistrats du tribunal du travail de Verviers, ce qui leur permet d’avoir des éclaircissements sur la situation réelle, sociale, psychologique de la personne. Bien souvent, le simple fait d’être convoqué débloque déjà certaines situations. Le dialogue est souvent rétabli entre le médié et le médiateur par le biais de ces réunions.
À côté du rôle de conciliation, la cellule joue également un rôle dans l’accompagnement social des médiés lorsqu’il y a effacement de la dette et mise en place d’une mesure d’accompagnement. C’est aussi le cas lorsqu’une personne en médiation est autorisée à ouvrir un commerce.
ECE: Quel est votre sentiment quant à l’état des relations entre médiés et médiateurs?
Corine Sisterman: Au début du service, beaucoup de médiés demandaient à changer de médiateur. Les plaintes portaient régulièrement sur l’absence de dialogue entre médiateurs et médiés. Mais bien souvent les médiés se plaignaient alors qu’ils n’avaient même pas essayé de contacter leur médiateur, estimant que c’était peine perdue. Parfois le simple envoi d’un mail avec l’aide de notre employée administrative suffit à rétablir le dialogue. Les séances du mardi résolvent beaucoup de difficultés, parfois alors que les parties sont dans la salle d’attente. Il faut tout de même dire aussi que nous avons été confrontés à des cas où les médiateurs désignés n’avaient en réalité engagé aucune espèce de démarche dans le cadre des dossiers qui leur étaient attribués, de sorte que rien n’avait avancé dans les dossiers. On est tombé sur des cas de négligence, de frais abusifs, de délais de paiement pour le pécule de médiation qui arrivait chez certains médiés le 15 du mois. Je dois avouer que, dans certains dossiers, j’ai été assez écœurée par ces hommes de loi qui abusent de la misère des gens. Je ne parle pas de détournement d’argent, mais bien de négligence. Ils ne sont pas la majorité, mais il y en a. Mais, heureusement, de moins en moins, car les juges du travail sont aussi de plus en plus attentifs et ne laissent plus des dossiers dormir ainsi. Ils sont beaucoup plus proactifs.
La difficulté de dialogue entre médiateurs et médiés repose également sur le fait que les médiateurs n’ont matériellement pas le temps de s’occuper d’un accompagnement social ou d’une guidance budgétaire. Or le public du RCD a besoin d’un tel accompagnement: les médiés ont besoin d’une écoute, de réconfort. Le côté social, nous le prenons en charge, nous écoutons de manière neutre, nous conseillons les personnes, les renvoyons, quand cela s’avère nécessaire, vers d’autres relais qui pourront les aider par rapport à des difficultés spécifiques.
ECE: Comment a été accueilli le SAS-RCD par les avocats médiateurs judiciaires (majoritaires sur l’arrondissement)? Ce type de service est-il réplicable ailleurs?
Corine Sisterman: Au début, la méfiance était grande, les nouveaux magistrats du tribunal du travail de Verviers ne connaissaient pas la structure. Idem pour les avocats médiateurs judiciaires qui avaient peur que nous nous immiscions dans leurs dossiers et leur fassions la leçon. La méfiance était bien présente au départ; aujourd’hui, je pense que l’utilité du service est comprise, même si ce n’est pas habituel. Le monde juridique n’y est pas habitué, le social non plus. Or nous sommes là pour créer un pont entre le social et la justice, pour que chacun fasse son job en respectant les règles et la dignité humaine.
Sur le plan de la reconnaissance et de la possibilité de voir ce service reproduit ailleurs, le fait que nous soyons une structure hybride, entre le social et le juridique, ne rend pas les choses faciles. Difficile d’envisager un soutien financier pérenne. Du fédéral? de la Région? Or il y a un chaînon manquant dans cette loi RCD et je pense qu’un service comme le nôtre reproduit dans d’autres arrondissements pourrait être grandement utile pour la bonne marche des RCD.
Propos recueillis par N. Cobbaut