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« L’important n’est pas de donner le crédit »
Le petit monde belge du microcrédit va connaître de grands changements dans les semaines à venir. L’arrivée en Belgique d’un projet porté par l’association française Adie1 et de BNP Paribas Fortis – sous l’enseigne « Microstart » – était en effet prévue pour la fin du mois de février. Et l’offre actuelle de microcrédit, développée par le Crédal2 côté francophone, est remise en cause par le Fonds de participation, partenaire majeur de la formule de prêt solidaire. Critiqué par certains, encensé par d’autres, le microcrédit est à la croisée des chemins.
« Le microcrédit est une des rares innovations sociales dont on parle et qui vient du Sud. » Cette phrase, lâchée par Marek Hudon, professeur à la Solvay Brussels School of Economics and Management et codirecteur du Cermi (Center for European Research in Microfinance), illustre parfaitement la situation dans laquelle se trouve ce service de la microfinance qui, depuis quelques années, semble s’être transformé en véritable « hype » économique. Dans ce qu’on appelle communément « le Sud » (principalement l’Inde et le Bangladesh, mais aussi l’Afrique et l’Amérique du Sud), le microcrédit est en effet devenu énorme, au point de susciter de plus en plus de questions quant aux dérives possibles de cette situation. Taux de remboursement exorbitants dans certains cas (on parle de 70 % à 80 % pour certains opérateurs au Mexique), commercialisation accrue du système, crédits accordés sans vérification de la solvabilité des demandeurs ou encore surendettement sont ainsi régulièrement cités au rayon des dégâts collatéraux d’un système pourtant présenté comme une solution positive face à la problématique de l’exclusion financière (voir Alter Echos n° 226 du 30 mars 2007 : « Heureux les pauvres, le marché s’offre à eux »).
Et en Belgique, dans quelle situation se trouve-t-on ? S’il n’existait jusqu’ici qu’une seule offre de microcrédit proposée par le duo Crédal/Fondation Dexia depuis 2000, un nouvel acteur vient de faire son apparition : BNP Paribas Fortis et l’Adie (Association pour le droit à l’initiative économique), avec le soutien du Fonds européen d’investissement, déjà actifs ensemble sur le marché français, vont en effet bientôt lancer Microstart. Un événement matérialisé par une première agence qui devait s’ouvrir le 28 février place Bethléem à Saint-Gilles, suivie par l’installation d’une autre antenne bruxelloise, à Saint-Josse-ten-Noode.
« L’important n’est pas de donner le crédit »
Si l’on prend en considération l’offre de microcrédit de Crédal/Fondation Dexia, celle-ci se voit soutenue par la Région wallonne, la Région de Bruxelles-Capitale et le Fonds social européen (FSE) pour ce qui concerne l’accompagnement des personnes ayant fait leur demande de crédit. Un accompagnement qui se révèle primordial si l’on en croit Bernard Horenbeek, directeur général de Crédal. « Nous défendons l’idée d’un microcrédit solidaire, éthique, qui soit un outil de développement, de lutte contre l’endettement. Cela dit, attention, le crédit peut être la meilleure mais aussi la pire des choses. Pour que cela se passe bien, il faut notamment que les contractants soient bien conscients de ce que représente un crédit dans un ménage. Il faut que celui-ci soit quelque chose de réfléchi, de pensé. Pour cela l’accompagnement est important. »
On le voit, la « pression à la commercialisation » en Belgique semble inexistante, si l’on en croit Bernard Horenbeek. Pas question ici d’accorder un crédit à n’importe quel prix et à des taux trop élevés. « Nous accordons deux types de microcrédit : il y a premièrement le microcrédit “personnel” (microcrédit social accompagné, sorte de crédit à la consommation), d’un montant maximum de 10 000 euros et pour lequel nous nous centrons sur le budget du ménage. Enfin, deuxièmement, nous proposons également le microcrédit “professionnel”, d’un montant maximum de 12 500 euros (microcrédit aux indépendants, pour financer un projet) pour lequel il y a introduction d’un dossier construit autour d’un projet et d’un porteur. Le taux de remboursement que nous fixons est de 5%. Quant aux demandes de crédit, seules 15 à 20% d’entre elles sont acceptées. »
Crédal réoriente les personnes refusées vers des services de médiation de dettes ou des structures d’accompagnement à la création d’entreprise. « L’important n’est pas de donner le crédit, si ça ne marche pas, nous faisons de la réorientation, précise Bernard Horenbeek. Nous devons en fait évaluer si le crédit est la bonne réponse à la situation de la personne, il faut être clair. À titre d’exemple, durant la crise de 2009, nous avons été contactés par de plus en plus de gens qui ont essayé de monter un projet pour apurer leurs dettes. C’est une option catastrophique ! »
Dans ce contexte assez exigeant, il n’est pas étonnant de constater que les taux de remboursement semblent relativement satisfaisants, même si Bernard Horenbeek ne se dit pas en mesure de fournir des chiffres précis. « Pour le microcrédit personnel, le taux de sinistre est très faible. Le microcrédit professionnel est quant à lui plus risqué puisqu’il dépend aussi d’enjeux économiques. On ne peut pas tout prévoir, cela devient un pari », note-t-il avant d’ajouter : « Il ne s’agit de toute façon pas de faire du bénéfice. Nous perdons plus d’argent que nous n’en gagnons… »
Un marché trop exigu ?
À ce manque de « rentabilité » du secteur belge pourrait, selon certains, venir s’ajouter une autre « tare » propre à notre marché : son exiguïté. Il faut en effet dire que depuis la création des microcrédits professionnels en 2000 par Crédal, 472 d’entre eux avaient ainsi été accordés au 31/12/2009. Pour ce qui concerne les microcrédits personnels, ils se montaient, depuis 2003 (date de leur création), à 1 117.
Des chiffres assez peu élevés, mais qui demandent cependant à être nuancés. « Pour envisager cette problématique, il faut se poser une question, précise Marek Hudon. Le marché du microcrédit est-il un marché des “exclus” ou bien un marché du micro-entrepreneur qui ne trouve pas de financement ? Si on accepte la première hypothèse, le marché pourrait être beaucoup plus grand que ce qu’on pense. Si on prend la deuxième hypothèse en considération, c’est plus compliqué car lié à une dynamique plus large. On sait en effet que l’entrepreneuriat en Belgique pourrait être plus développé si on le stimulait, ce qui pourrait également faire croître ce type de public pour le microcrédit. »
Pour Jean-Pierre Remacle, directeur général du Fonds de participation3, partenaire privilégié du Crédal, le microcrédit sous la formule des prêts solidaires souffre de plusieurs grands écueils : un volume de candidats limité, des dossiers peu viables et un accompagnement coûteux. La formule du prêt solidaire est donc en train d’être évaluée et des discussions sont en cours avec les opérateurs de ces prêts – le Crédal côté francophone et Hefboom côté flamand – pour en envisager l’avenir éventuel. Il est clair que la phase d’évaluation actuelle pourrait mener à la suppression des prêts solidaires, au sein du Fonds de participation en tout cas.
La méthode des puits
C’est pourtant dans ce contexte de remise en question du microcrédit en Belgique que l’Adie et BNP Paribas Fortis, soutenus par le Fonds européen d’investissement, ont ouvert leur premier guichet Microstart à Saint Gilles (Bruxelles) le 28 février dernier. Un événement qui pourrait ne pas manquer d’interpeller si l’on veut bien se rappeler que ce type d’entreprise, d’après Bernard Horenbeek, ne semble pas très rentable. Quel est donc l’intérêt, pour des banques comme Dexia ou BNP Paribas, de s’associer à ce genre d’initiatives ? S’agirait-il ici d’une sorte de « greenwashing » économique ?
« Je pense qu’il est clair qu’on peut dire que BNP ou Dexia n’attendaient pas de mettre en place un système de microcrédit depuis trente ans, analyse Marek Hudon. Mais il y a un changement en train de s’opérer. La microfinance dans le Sud peut être quelque chose de rentable, ce qui entraîne un intérêt du monde financier pour ce genre de produit. L’image des “pauvres” à ce niveau, vus auparavant comme un public risqué, peu rentable, est en train de changer. Cela dit, cela reste une activité difficile. S’agit-il de “greenwashing”, dans le cadre d’une responsabilité sociale des entreprises ? Peut-être, mais si cela peut mener à une réflexion sur l’inclusion financière, pourquoi pas ? C’est de toute façon une bonne chose qu’une banque pense à l’inclusion financière plutôt que d’aller distribuer des jouets dans les hôpitaux… »
Plus stratégique encore, Sybille Mertens analyse la politique de BNP Paribas. « Cette banque est en train de se positionner sur des thèmes comme la proximité et l’ancrage local. Dans ce cadre, le microcrédit est un outil intéressant pour elle. » Dans ce contexte, en quoi BNP Paribas et l’Adie pourraient-ils « faire mieux » que Crédal ? « Ils ont adopté une méthode de “puits” », souligne Jean-Pierre Remacle, expliquant que, à la différence de Crédal, l’approche de l’Adie est très locale, joue sur la proximité, repère les petits entrepreneurs dans une zone géographique relativement limitée et les suit de près. L’approche belge classique est plus large, plus formelle.
Les approches respectives du Crédal et de l’Adie diffèrent en plusieurs autres points essentiels. Si le montant moyen prêté par le Crédal est de 8 000 euros, il est de 2 500 euros à l’Adie. De plus petits entrepreneurs, de plus petits projets, une politique de proximité, une approche – selon certains observateurs – plus souple, avec une instruction (l’analyse et le montage du dossier) plus légère : autant de caractéristiques de l’offre de l’Adie, qui la démarquent fortement de celle de Crédal. Jouer la carte de la proximité – et c’est bien la voie sur laquelle s’engage Microstart avec une agence à Saint-Gilles et bientôt une deuxième à Saint-Josse-ten-Noode – nécessite aussi d’investir dans l’accompagnement des petits entrepreneurs. Cet investissement sera-t-il tenable à long terme ? L’avenir le dira.
En France : le succès est au rendez-vous
En tout cas, en France, le succès de est bel et bien au rendez-vous pour l’Adie avec 12 023 prêts accordés en 2010. La situation de l’Hexagone fait toutefois figure d’exception en Europe. Pour Maria Nowak, fondatrice et présidente de l’Adie, cette réussite est due notamment à la ténacité. « Cela fait vingt-deux ans que nous nous battons pour le microcrédit », assène-t-elle.
Maria Nowak souligne en outre l’importance des trois missions de l’Adie, qui lui assurent son succès : l’octroi de microcrédits aux plus précaires (« 25 % de nos bénéficiaires savent à peine lire et écrire », pointe Maria Nowak), l’accompagnement et, enfin, la contribution à « l’amélioration de l’environnement institutionnel du microcrédit et de la création d’entreprise », selon les termes de l’Adie. Voilà une mission que l’association française a prise à bras-le-corps, remportant des victoires, dont la création du statut d’auto-entrepreneur, ou plus exactement d’EIRL (entrepreneur individuel à responsabilité limitée), en vigueur outre-Quiévrain depuis le premier janvier dernier. L’Adie compte d’ailleurs bien faire évoluer le cadre législatif en Belgique aussi…
Interpellée sur la question de l’accompagnement chez Microstart, décliné de celui de l’Adie, qui serait plus souple que le coaching mis en place chez nous, Maria Nowak réagit en soulignant le sérieux des coaches et le fait que « Microstart » s’est entouré d’une série de partenaires de référence en Belgique.
Patrick Sapy, directeur général de Microstart, explique : « Nous avons rencontré et discuté avec tous les partenaires à Saint-Gilles et au-delà. Nous les avons associés à la mise en oeuvre du projet et nous avons d’ailleurs commencé à travailler avec eux. » Au Village Partenaire4, centre d’entreprises situé à un jet de pierre du guichet saint-gillois de Microstart, on confirme. Janaki Decleire, directrice du Village Partenaire, dit toute sa satisfaction de voir arriver un nouvel opérateur de microcrédit à Bruxelles avant de toutefois mettre en garde : le risque est de priver les allocataires sociaux de leurs droits – puisqu’ils doivent s’installer comme indépendants – sans les placer dans une perspective entrepreneuriale suffisamment financée, et dont les chances de réussite seraient donc réduites.
Les montants prêtés par Microstart sont effectivement faibles. Chez nous, les prêts s’élèveront au minimum à 500 euros et au maximum à 10 000 euros. Par ailleurs, la moitié du montant doit être garantie par un proche. Notons enfin que le taux des prêts Microstart est assez élevé puisqu’il est de 8,5 %, contre un taux fixe de 5% pour le microcrédit du Crédal ou un taux de 4 % pour le prêt lancement du Fonds de participation. Enfin, et surtout, est-il vraiment possible de démarrer une activité professionnelle avec 2 500 euros (le montant moyen des prêts Adie) ? Pas évident ! Un autre risque apparaît donc : celui de venir alimenter l’économie informelle plutôt que de réellement remettre le pied à l’étrier à des personnes professionnellement fragilisées.
Le microcrédit tel que le pratiquera Microstart, tablant sur la proximité, parviendra-t-il à donner un deuxième souffle à la microfinance en Belgique ? C’est à voir. En tout cas, comme le dit Maria Nowak, il y a de la place pour plusieurs opérateurs de microcrédit : « On est loin d’avoir saturé le marché, tous ensemble. »
Arnaud Grégoire et Julien Winkel
Pour plus d’infos : www.microstart.be
Éléments clés
- Création du microcrédit en Belgique : 2000
- Création de l’Adie : 1989
Montant moyen des microcrédits :
- Prêts solidaires du Crédal : 8 000 euros
- Microcrédit Adie : 2 500 euros
Nombre de crédits octroyés :
- Crédal : 472 prêts octroyés de 2000 et 2009
- Adie : 12 023 en 2010
Taux d’impayés :
- Crédal : inconnu
- Adie : 9,42%
Montant maximum du crédit :
- Crédal Prêt solidaire : 12 500 euros
- Adie : 11 000 euros (6 000 euros de microcrédit + complément par une autre formule de crédit variable selon la région)
Amis prêteurs et investisseurs de proximité
Les banques refusent de vous prêter le montant nécessaire au lancement de votre activité? La solution envisagée jusqu’aujourd’hui est le microcrédit. A côté de cette option apparaissent d’autres formules, disponibles via le web, de prêt ou d’investissement privé.
Deux sites web font ainsi parler d’eux en ce moment chez nos voisins français. Il s’agit de financeutile.com et de friendsclear.com. Finance Utile est une « place de marché » présentant, à des investisseurs privés, des sociétés en recherche de capital. Ici, les projets d’entreprises sont de taille respectable. Les sociétés en quête de fonds cherchent plusieurs dizaines de milliers, voire des centaines de milliers d’euros. Les sociétés sont présentées dans le détail : projet, équipe, chiffres, financement, etc. Le montant total recherché est affiché, ainsi que l’investissement minimum. Big Wall Vision par exemple – une société qui propose de l’affichage super-grand format – demande ainsi presque 100 000 euros, l’investissement minimum étant de 2 020,62 euros.
Chez Friends Clear, on ne lève pas des fonds mais on cherche des prêteurs. Le site promet aux prêteurs un taux de 4,50% et demande aux emprunteurs un taux de 5,53%. Le montant minimum prêté est de 100 euros. Et le montant emprunté va de 3 000 euros à 25 000 euros. Les projets sont donc plus modestes. On y retrouve par exemple une petite boutique de mode dans le Marais à Paris, un atelier de prothèse dentaire, une équipe d’animation loisir, etc. Le site expose chaque projet, signale le montant demandé et montre en direct la proportion de financement qui a déjà été réalisée.
Deux initiatives très intéressantes donc pour contourner les obstacles mis sur le chemin de l’entrepreneur par des banques souvent très frileuses. Mais attention, si les banques sont frileuses, c’est que les métiers de la Bourse d’investissement ou du crédit ne sont pas des métiers sans risque, et qu’investir ou prêter de l’argent restent des actes à prendre au sérieux.
1 | Adie : boulevard Poissonnière, 4 à 75009 Paris, France - tél. : 33 (0)1 49 33 19 00 - courriel : adie@adie.org –www.adie.org. |
2 | Crédal : place de l’Université, 16 à 1348 Louvain-la-Neuve - tél. : 010 48 33 50 - courriel : credal@credal.be –www.credal.be. |
3 | Fonds de participation : - adresse : rue de Ligne, 1 à 1000 Bruxelles - tél. : 02 210 87 87 - courriel : info@fonds.org – www.fonds.org. |
4 | 1.Village Partenaire : - adresse : rue Fernand Bernier, 15 à 1060 Bruxelles , Belgique15 rue Fernand Bernier 1060 Bruxelles Belgique - tél. : 02 537 44 44 - courriel : info@villagepartenaire.be – site : www.villagepartenaire.be |