La location par un couple: quel sort pour le contrat de bail?

Jean a fini ses études, il y a un mois, et vient de trouver un emploi. Afin de combler son envie d’indépendance, il décide de quitter la maison familiale et de louer un appartement. Ève, sa petite amie, travaille depuis plusieurs mois et lui propose qu’ils emménagent ensemble. Après quelques recherches, le couple trouve le logement idéal: un appartement proche du travail de Jean et situé à égale distance des maisons de leurs parents.

Les amoureux concluent un bail écrit avec le propriétaire. Ève, qui a déjà pu mettre de l’argent de côté, se propose d’avancer la garantie locative, Jean s’engageant à lui rembourser sa part, une fois que ses rentrées financières le lui permettront. Malheureusement, à peine le bail commencé, Ève perd son travail et le seul salaire de Jean ne permet pas de faire face aux loyers. Voyant que seulement une partie du loyer est payée et provient du compte de Jean, le propriétaire s’adresse au jeune homme pour récupérer le solde restant dû.

Jean et Ève ont tous les deux signé le contrat de bail et sont en cohabitation de fait (union libre). Ce contrat contenait une clause dite «de solidarité». Cela signifie qu’ils sont des débiteurs dits «solidaires». L’article 5.160, § 1er du Code civil définit l’obligation solidaire: «Il y a solidarité entre débiteurs lorsqu’ils sont tenus à la même prestation et que le créancier peut en exiger de chacun d’eux la totalité.» Autrement dit: le créancier peut réclamer au débiteur de son choix l’intégralité du loyer. Pour qu’il y ait une obligation solidaire, il faut qu’elle soit prévue par la loi ou le contrat. Elle ne se présume pas.

Jean est donc dans l’obligation de payer l’intégralité du loyer réclamé, bien qu’il y ait un autre débiteur, à savoir Ève. C’est ce qu’on appelle «l’obligation à la dette». Toutefois, dans un second temps, Jean pourra se retourner contre Ève pour la moitié du loyer payé. C’est la phase de la «contribution à la dette».

Si le contrat de bail ne contenait aucune clause de solidarité, Jean et Ève auraient été tenus chacun pour la moitié du loyer.

Les problèmes du loyer impayé se règlent finalement. Toutefois, c’est maintenant des problèmes de couple qui apparaissent et Ève annonce qu’elle va quitter l’appartement. Cependant, avant de partir, elle veut récupérer la garantie locative qu’elle a versée puisque Jean n’a toujours pas remboursé sa part.

Ève ayant signé le contrat de bail incluant une clause de solidarité, elle est tenue entièrement aux obligations incombant aux locataires, dont, notamment, le paiement d’une garantie locative. Cela signifie que, pour pouvoir récupérer sa garantie locative, Ève va devoir trouver un accord avec Jean, afin que celui-ci reprenne à sa charge le paiement de la garantie, tout en remboursant Ève.

Si aucun accord n’est trouvé, Ève devra se tourner vers la justice de paix afin d’obtenir le remboursement de la moitié de la garantie locative à charge de Jean.

Jean arrive finalement à rembourser sa part de la garantie locative à Ève, mais s’inquiète du sort du bail puisqu’elle était, au même titre que lui, locataire de l’immeuble. Luc, jeune juriste et ami de Jean, l’avertit: le renon d’Ève va provoquer automatiquement le renon de Jean et le bail prendra fin.

Afin que le préavis d’Ève soit opposable au bailleur, il faut qu’il soit signé par l’ensemble des locataires signataires. Autrement dit, tant que Jean ne signe pas le préavis établi par Ève, celui-ci est sans effet et le bail n’est pas résilié. Un commun accord entre le propriétaire et Ève peut également être trouvé, afin qu’Ève soit libérée du bail, et ce, pour les droits et obligations futurs (Ève reste toujours tenue des éventuels loyers impayés couvrant la période durant laquelle elle était toujours locataire). Dans ce cas, le propriétaire soumet à la signature de Jean cet accord qui fait de ce dernier le seul locataire de l’immeuble pour l’avenir.

Sans accord de Jean, que ce soit sur le préavis d’Ève ou sur l’accord proposé par le propriétaire, Ève devra alors à nouveau saisir le juge de paix pour demander la résiliation du bail. Elle pourrait également demander en justice que ce soit elle, finalement, qui puisse rester dans l’habitation. Si le juge fait droit à sa demande, Ève reste locataire, tout comme Jean, mais ce dernier devra quitter les lieux, tout en étant toujours tenu aux obligations du bail.

Jean devra alors demander à son tour au propriétaire de le libérer de ses obligations. Le propriétaire fera droit à sa demande si Ève accepte de reprendre seule le bail.

Jean et le propriétaire arrivent à trouver une solution et Jean reprend à son nom le bail via un avenant à ce dernier. Quelques semaines plus tard, Jean rencontre Iris et lui propose de venir habiter avec lui. Cette dernière accepte en insistant sur le fait qu’elle veut participer aux paiements des charges prévues dans le bail de Jean. Hélas, Iris n’arrive pas à payer ces charges et Jean, ayant contracté un prêt personnel, est en difficulté pour payer l’intégralité des montants réclamés. Le propriétaire adresse une facture de mazout impayée à Jean et Iris.

N’ayant plus qu’un seul locataire légal, le propriétaire doit s’adresser uniquement à Jean qui est tenu de l’ensemble des obligations locatives. Iris n’est qu’une cohabitante de fait, n’ayant signé aucune convention et, donc, n’est tenue au paiement d’aucune charge locative.

Jean obtient par chance une augmentation et peut désormais payer les charges seul. Le couple s’entend parfaitement bien et, après plusieurs mois, décide de se mettre en cohabitation légale. La maman d’Iris, toujours prudente, prévient toutefois sa fille: sa relation envers le propriétaire ne sera plus la même. Des obligations contractuelles vont naître pour Iris.

Dans l’hypothèse où, en cours de bail, le locataire signataire du bail se met en cohabitation légale ou se marie, le nouveau cohabitant légal ou le conjoint obtient le droit au bail puisqu’il s’agit du logement familial[1]. Le droit au bail obtenu par Iris lui procure les droits, mais aussi les obligations à charge du locataire, prévus dans le contrat de bail. Parmi les droits obtenus par Iris, il y a le droit à la communication d’informations relatives à la location. En effet, lorsque le propriétaire voudra, par exemple, le renon pour la fin du contrat de bail, il devra l’adresser à Jean, mais également à Iris, de manière séparée ou conjointe. À défaut pour lui de procéder de la sorte, les cohabitants légaux/époux pourront considérer ce congé comme nul et le bail ne prendra pas fin à l’expiration du délai de préavis.

Cependant, la potentielle nullité que le couple pourrait invoquer n’est possible qu’en cas de communication par ce dernier de la cohabitation légale ou du mariage au bailleur. Cette connaissance de la situation par le propriétaire est une situation de fait qui peut se prouver par toute voie de droit et, si nécessaire, devant la justice de paix.

Jean, décidément pas très chanceux dans ses relations, voit Iris quitter le logement pour «faire le point». De plus, il perd son travail et voit ses revenus significativement diminués. Il ne peut plus faire face au loyer et reçoit une lettre de menace de la part du propriétaire: les arriérés de loyer doivent être payés rapidement, sinon le bail prendra fin après le délai de préavis légal. Jean contacte Iris, qui n’a que faire des problèmes de son ex-compagnon.

Bien qu’elle n’ait pas signé le bail, Iris est tenue par celui-ci depuis la constitution de la cohabitation légale. En effet, en vertu de l’article 222 de l’ancien Code civil[2], les dettes contractées par un des époux ou cohabitants légaux pour les besoins du ménage obligent solidairement l’autre époux ou cohabitant légal.

En d’autres termes, les loyers impayés sont des dettes que Jean a contractées pour l’habitation familiale du couple. Iris, toujours cohabitante légale de Jean bien qu’elle ne soit plus cohabitante de fait, est donc tenue pour la totalité des loyers impayés puisqu’elle est solidaire de Jean.

Cela signifie qu’aussi longtemps qu’Iris sera en cohabitation légale avec Jean, elle sera tenue à toutes les obligations qui découlent de ce logement. Pour être tranquille, Iris doit mettre fin à la cohabitation légale, soit via une déclaration unilatérale de cessation de cohabitation légale déposée à la commune et signifiée à Jean, soit via une déclaration commune signée par Iris et Jean et déposée à la commune. À partir du moment où la cohabitation légale n’existe plus, Iris ne sera plus tenue pour les obligations futures. En revanche, pour les loyers impayés qui couvrent la période durant laquelle Iris et Jean étaient toujours cohabitants légaux, les deux restent tenus solidairement pour le paiement de ces loyers impayés.

Toutefois, en ce qui concerne la menace du propriétaire de mettre fin au bail à l’expiration du délai de préavis, celle-ci est de nul effet puisque le courrier n’a été adressé qu’à Jean (voir supra)[3]. Sauf, bien entendu, si Iris avait déjà réalisé les démarches ci-dessus et prévenu le propriétaire de la fin de la cohabitation légale.

Le propriétaire de l’immeuble se demande ce qu’il aurait dû faire afin de se garantir de deux locataires et ne pas dépendre de la bonne santé du couple.

On vient de le voir: si le propriétaire ne fait rien au moment où il apprend qu’une cohabitation légale ou un mariage a été conclu entre son locataire originel et son cohabitant de fait, le contrat de bail voit «apparaître» un second locataire, qui de plus est solidaire par l’effet de cette convention de couple. Toutefois, ce second locataire ne sera lié au contrat de bail qu’aussi longtemps que la cohabitation légale ou le mariage existera. Or, la cohabitation légale peut prendre fin très rapidement (le délai pour acter un divorce est généralement plus long) et le propriétaire ne peut rien faire contre cela.

Afin d’éviter d’être dans une situation si précaire, le propriétaire aurait pu faire un avenant au contrat de bail, mentionnant qu’Iris devient désormais locataire signataire au même titre que Jean et faire signer cet avenant à Iris, mais également à Jean (puisque la situation contractuelle de ce dernier change désormais). Jean a tout intérêt à accepter puisque cela permettra de rendre la situation équitable entre lui et Iris.

Si ce n’est pas déjà fait dans le bail initial, le bailleur profitera de l’avenant pour inclure une clause de solidarité.

Revenons à présent quelques années en arrière, quand Jean et Iris étaient de simples cohabitants de fait, Jean étant le seul signataire du contrat de bail. Que serait-il arrivé à Iris et au contrat de bail si Jean était décédé prématurément et que l’immeuble se situait en Région wallonne?

La solution nous est donnée par les paragraphes 1er et 2 de l’article 46 du décret wallon du 15 mars 2018[4]: le bail prend fin de plein droit trois mois après le décès de Jean. Toutefois, si Iris est domiciliée depuis plus de six mois au moment du décès de son compagnon, elle peut, dans un délai d’un mois suivant le décès de Jean, faire la demande au bailleur de reprendre le bail initial à son nom. Le bailleur a ensuite un mois pour marquer ou non son accord.

Les raisons de refus de reprise de bail doivent reposer sur de justes motifs tels que, par exemple, le doute sur la capacité financière d’Iris de s’acquitter correctement des futurs loyers ou encore la volonté du propriétaire d’habiter lui-même l’immeuble.

S’il n’y a aucune opposition formulée par le bailleur dans le mois de la demande, le bail sera repris par Iris, aux mêmes conditions que celles présentes dans le bail de Jean.

Et en Région bruxelloise?

En Région de Bruxelles-Capitale, la situation est légèrement différente.

En effet, en vertu de l’article 232, alinéa 1er du Code bruxellois du logement[5], en cas de décès du locataire, le propriétaire ne peut considérer le bail comme résilié qu’à deux conditions cumulatives:

  • Il ne faut plus qu’aucun membre du ménage n’occupe les lieux et;
  • que le loyer ou les charges ne soient plus payés pendant au moins deux mois après le décès.

Et si Iris était cohabitante légale ou épouse de Jean au moment de son décès?

Dans ce cas, malgré le fait que le cohabitant légal[6] ou le conjoint survivant[7] n’ait pas signé le contrat de bail, ce dernier recueille seul le droit au bail. Cela veut dire qu’Iris devient de plein droit la nouvelle locataire de l’habitation.

Attention toutefois que ce droit n’est recueilli qu’au jour de l’ouverture de la succession. Puisque, en Région wallonne, l’article 46 du décret analysé ci-dessus dispose que le bail prend fin de plein droit trois mois, à compter du décès du preneur, il faut que la succession de ce dernier s’ouvre dans ce délai de trois mois, afin que le cohabitant légal ou le conjoint survivant puisse se prévaloir de son droit successoral[8]. Dans le cas contraire, il faut retomber sur la faculté donnée au cohabitant survivant domicilié dans l’habitation du défunt sans lien juridique avec ce dernier. Le problème est que la demande de reprise du bail doit alors se faire dans un délai d’un mois à compter du décès et qu’il faut que le cohabitant survivant soit domicilié dans les lieux depuis au moins six mois.

Par ailleurs, il faut noter que le droit du cohabitant légal survivant n’existe pas si le celui-ci était le descendant du défunt, pas plus que si le conjoint survivant a été, dans le cadre du mariage avec le défunt, déchu de tout ou partie de son autorité parentale à l’égard des enfants issus de ce mariage.

Pour terminer, il y a lieu de signaler que le Service public de Wallonie a rédigé une brochure explicative de 124 pages ayant pour mission d’éclairer les citoyens sur les différents aspects du contrat de bail. Vous trouverez cette brochure via le lien suivant: https://logement.wallonie.be/fr/publication/brochure-le-bail-d-habitation-2023.

 

Cédric Dony, juriste au Gils

 

[1] Article 215, §2, alinéa 1er de l’ancien Code civil: «Le droit au bail de l’immeuble loué par l’un ou l’autre époux, même avant le mariage et affecté en tout ou en partie au logement principal de la famille, appartient conjointement aux époux, nonobstant toute convention contraire.

[…]»

Article 1477, §2 de l’ancien Code civil: «§ 1er. Les dispositions du présent article qui règlent les droits, obligations et pouvoirs des cohabitants légaux sont applicables par le seul fait de la cohabitation légale.
§ 2. Les articles 215, 220, § 1er, et 224, § 1er, 1, s’appliquent par analogie à la cohabitation légale.
»

[2] Article 222 de l’ancien Code civil: «Toute dette contractée par l’un des époux pour les besoins du ménage et l’éducation des enfants oblige solidairement l’autre époux.

Toutefois, celui-ci n’est pas tenu des dettes excessives eu égard aux ressources du ménage.»

[3] Attention toutefois que seul le conjoint/cohabitant légal pour qui le préavis n’a pas été, à tort, notifié peut se prévaloir de la nullité de la notification. Voy. J.-P. Forest, 22/05/2022, J.J.P., 1-2/2022, p. 22.

[4] Décret du 15 mars 2018 relatif au bail d’habitation, M.B., 28/03/2018, p. 30498.

Article 46: «1er. Sans préjudice de l’article 55, 8, le bail est résilié de plein droit trois mois après le décès du preneur sans préavis ni indemnité.

  1. Toute personne domiciliée dans les lieux loués depuis plus de six mois à la date du décès du preneur dispose d’un délai d’un mois prenant cours le jour du décès du preneur pour notifier au bailleur sa volonté de reprendre le bail.

Le bailleur dispose d’un délai d’un mois prenant cours le lendemain de la notification visée à l’alinéa 1er, pour notifier à son auteur son opposition à la reprise du bail pour de justes motifs.

À défaut d’opposition du bailleur dans le délai visé à l’alinéa 2, le bail est repris par la personne visée à l’alinéa 1er dans les mêmes conditions que celles qui préexistaient au décès du preneur.»

[5] Art. 232: «Régime des obligations du bail au décès du preneur.
Par dérogation à l’article 1742 du Code civil, en cas de décès du preneur, si le logement est inoccupé après ce décès par les membres du ménage du preneur et si le loyer et/ou les charges demeurent impayés pendant une durée de deux mois prenant cours au décès, le bailleur peut considérer le bail comme résilié sans préavis ni indemnité.»

[6] Voir article 4.23 du Code civil.

[7] Voir article 4.20 du Code civil.

[8] Cette problématique de délai ne se pose pas en région bruxelloise puisque le bail ne prend pas fin de plein droit si le logement loué est toujours occupé par un membre du ménage du défunt.