Judith commence tout juste à travailler. Elle a trouvé l’appartement de ses rêves, mais le bailleur, propriétaire privé scrupuleux, exige que quelqu’un se porte «garant» pour elle. Sa mère accepte et signe le bail en qualité de caution solidaire. Benjamin a déniché une maison à rénover. Outre l’hypothèque sur la maison achetée, la banque exige d’autres garanties. Ses parents acceptent alors d’affecter en hypothèque leur propre maison en sûreté des engagements de leur fils. Deux situations classiques où des personnes, qui ne sont pas les débiteurs de l’obligation principale, s’engagent envers le créancier à intervenir si ce débiteur ne remplit pas ou mal son obligation.
La figure un peu «fourre-tout» du «cautionnement» est un contrat en vertu duquel une personne s’engage personnellement à rembourser la dette d’autrui, si ce dernier ne satisfait pas à ses obligations. Le cautionnement est la sûreté personnelle par excellence. La personne qui se porte caution (personnelle donc) est tenue sur l’intégralité de son patrimoine en cas de défaillance du débiteur principal. C’est le cas dans l’exemple n°1. Si Judith accumule des arriérés de loyers ou ne respecte pas les autres obligations résultant du contrat de bail, le bailleur pourra se retourner contre sa mère, qui sera tenue de rembourser les sommes dues sur l’ensemble de ses biens. Cependant, le cautionnement renvoie aussi à la situation où une personne accepte de mettre en garantie du paiement de la dette d’autrui, non pas tout son patrimoine mais uniquement un bien (ou plusieurs biens déterminés) de son patrimoine. On parle aussi dans ce cas de cautionnement «réel» pour le différencier du cautionnement classique. C’est la situation n°2. Si Benjamin ne rembourse plus son crédit, la banque pourra demander aux parents de payer, mais ces derniers ne sont tenus qu’à concurrence du droit qu’ils ont consenti sur leur maison.
Si le cautionnement personnel est encadré par le Code civil, le cautionnement réel est essentiellement une construction jurisprudentielle et doctrinale. C’est un mécanisme «hybride» entre le cautionnement (une personne garantit la dette d’autrui) et la sûreté réelle (la garantie ne porte que sur un [ou plusieurs] bien(s) du débiteur). La question de savoir si les règles protectrices du cautionnement personnel s’appliquent à la caution «réelle» sont controversée en jurisprudence, surtout depuis un arrêt de la Cour de cassation de 2020 qui a remis en cause les principes qui valaient jusque-là.
Les règles du cautionnement personnel
Vis-à-vis du créancier[1]:
- Le contrat de cautionnement est un contrat distinct de l’obligation principale, c’est-à-dire qu’il est conclu directement entre la caution et le créancier. La caution peut donc opposer au créancier toutes les exceptions issues du contrat de cautionnement lui-même, telles qu’un vice de consentement dans son chef (erreur, incapacité, dol, violence, minorité…).
- Le contrat de cautionnement est un contrat accessoire au contrat principal. Le cautionnement ne peut porter que sur une obligation principale valable. Si, par exemple, l’obligation garantie est nulle ou prescrite, la caution peut s’en prévaloir et refuser son intervention.
- La caution peut aussi se prévaloir d’une remise de dettes conventionnelle[2] octroyée au débiteur principal. Cela signifie que si le débiteur principal est en règlement collectif de dettes (RCD) et qu’un plan amiable prévoyant une remise de dettes est homologué, la caution pourra elle aussi bénéficier de cette remise de dettes. À une nuance près: il ne faut pas que le créancier ait réservé ses droits contre elle, ce qui pourrait être le cas si, dans sa déclaration de créance, il indique qu’il entend conserver ses droits contre la caution ou fait la même observation en donnant son approbation sur le projet de plan amiable. Cette disposition s’applique-t-elle aussi à la caution réelle? La doctrine et la jurisprudence répondaient positivement à cette question jusqu’à l’arrêt de la chambre francophone de la Cour de cassation du 10 décembre 2020[3], qui semble dire, contrairement à un arrêt précédent de la chambre néerlandophone de la même Cour[4], que les règles du Code civil qui régissent le cautionnement seraient incompatibles avec la nature de la caution réelle[5].
- L’engagement de la caution ne peut excéder l’obligation du débiteur principal. S’il y a dépassement, la caution sera réduite à la mesure de l’obligation principale.
- L’engagement de la caution est subsidiaire par rapport à l’obligation du débiteur principal: la caution n’est tenue de payer que si le débiteur principal ne paie pas. La caution peut donc exiger du créancier qu’il poursuive d’abord le débiteur principal avant de se retourner contre elle. C’est le principe de discussion auquel la caution peut toutefois renoncer si elle s’engage solidairement à côté du débiteur (ce qui sera généralement une exigence du créancier).
- Si plusieurs personnes se sont portées cautions d’un même débiteur, elles peuvent exiger du créancier que celui-ci ne poursuive chacune d’elles que pour sa part. C’est le principe de division auquel les cautions peuvent cependant renoncer si elles s’engagent indivisiblement (ce qui sera là aussi généralement exigé par le créancier).
Vis-à-vis du débiteur principal[6]:
- Si la caution a dû payer le créancier, elle peut par la suite se retourner contre le débiteur principal pour le remboursement des sommes déboursées.
- La caution est en outre subrogée dans les droits du créancier: elle peut exercer tous les droits et bénéficier des garanties dont pouvait se prévaloir le créancier. Elle peut, par exemple, reprendre à son compte les éventuelles sûretés réelles attachées à la dette. Si le créancier a, par sa négligence, compromis l’action subrogatoire de la caution[7], elle sera déchargée de ses obligations.
La caution de bienfaisance
Des règles supplémentaires encadrent le cautionnement de bienfaisance, appelé encore cautionnement à titre gratuit. Ces règles s’appliquent chaque fois qu’une personne physique se porte à titre gratuit caution en faveur d’un créancier professionnel qui agit dans le cadre de ses activités professionnelles (ancien article 2043bis et suivants du Code civil). Pour être qualifiée de caution à titre gratuit, la personne qui s’est portée caution «ne peut retirer aucun avantage économique, tant directement qu’indirectement, de cette constitution». La caution veut simplement donner un petit coup de pouce à ses enfants, à ses frères et sœurs, à des amis, etc. sans en retirer aucune contrepartie.
Dans nos exemples, au regard du caractère désintéressé de leurs engagements, tant les parents de Benjamin que la mère de Judith pourraient être qualifiés de cautions de bienfaisance. Cependant, la mère de Judith s’est engagée vis-à-vis d’un créancier qui n’est pas un professionnel (le bailleur); elle ne remplit donc pas les conditions requises pour bénéficier de la protection accrue prévue par les règles du cautionnement gratuit. Quant aux parents de Benjamin, s’ils se sont bel et bien engagés vis-à-vis d’un créancier professionnel, ils sont cautions réelles et non personnelles, de sorte qu’ils ne bénéficieront pas non plus de la protection que confèrent les dispositions sur le cautionnement à titre gratuit, sauf nouveau rebondissement dans la jurisprudence.
Quelles sont ces protections supplémentaires dont jouit la caution à titre gratuit?
- Le cautionnement à titre gratuit doit être donné par un acte écrit distinct du contrat principal.
- L’acte de cautionnement doit mentionner la durée de l’obligation principale. Si cette dernière est conclue pour une durée indéterminée, le contrat de cautionnement ne peut alors excéder cinq ans.
- Les engagements de la caution sont limités à la somme indiquée dans le contrat principal, augmentée des intérêts de retard, plafonnés à 50% du montant en principal.
- Sous peine de nullité, les engagements résultant du cautionnement ne peuvent être disproportionnés par rapport aux facultés de remboursement de la caution au moment de la formation du contrat;
- Le créancier doit informer une fois par an la caution sur la situation de la dette cautionnée. En cas de défaillance du débiteur principal, si une communication lui est faite (lettre de rappel, mise en demeure), le créancier doit effectuer la même communication à la caution, simultanément et dans les mêmes formes.
Quid de la caution en cas de RCD ou de faillite?
Concernant la suspension des voies d’exécution, dans le cadre du RCD, la caution personnelle bénéficie de cette faculté jusqu’à l’homologation du plan amiable, au dépôt du procès-verbal de carence ou jusqu’au rejet du plan. Si elle a en plus introduit une demande de décharge (voir ci-dessous), la suspension se prolonge jusqu’à ce que le juge ait statué sur cette demande. Le législateur parlant de sûreté personnelle, la personne qui s’est portée caution réelle pour le médié ne bénéficie pas de la suspension des voies d’exécution. Cependant, si c’est le médié qui s’est porté caution réelle pour autrui, il bénéficiera bel et bien de cette suspension. La Cour constitutionnelle[8] a en effet estimé que toutes les voies d’exécution étaient suspendues à l’égard du médié, même celles que pourrait mettre en œuvre une personne qui n’est pas juridiquement parlant le créancier du médié. Ainsi, dans l’exemple n°2, si Benjamin est admis en RCD, la banque qui lui a consenti son crédit peut poursuivre ses parents et saisir leur maison, car ils ne sont pas cautions personnelles, mais cautions réelles. Par contre, si les parents de Benjamin sont admis en RCD, cette même banque ne pourrait plus saisir leur maison car les voies d’exécution sont suspendues, quand bien même la banque n’est pas créancière des parents mais de Benjamin. Dans le cadre de la faillite, la caution (qu’elle soit personnelle ou réelle) ne bénéficie (plus) d’aucune suspension des voies d’exécution, sauf dans l’hypothèse où elle a introduit une demande de décharge (voir ci-dessous).
Tant pour le RCD que pour la faillite, il existe un mécanisme de décharge de la caution à titre gratuit. Dans le cadre du RCD, il s’agit de l’article 1675/16 bis du Code judiciaire. Dans le cadre de la faillite, c’est l’article XIX.176 du Code de droit économique. Dans les deux cas, la caution peut obtenir la décharge de ses engagements, à condition qu’elle en fasse la demande au juge, qu’elle prouve qu’elle est une caution de bienfaisance et que ses engagements sont disproportionnés par rapport à ses capacités de remboursement.
Quelques différences cependant entre les deux mécanismes:
- dans le cadre de la faillite, le juge se place au moment de l’ouverture de la faillite pour apprécier si les engagements de la caution sont disproportionnés, tandis que, dans le cadre du RCD, c’est au moment où le juge statue sur la demande de décharge que cette condition doit être rencontrée;
- pour le RCD, la caution ne peut pas avoir frauduleusement organisé son insolvabilité, pour bénéficier de la décharge. Cette condition n’existe plus dans le cadre de la faillite;
- dans le cadre de la faillite, la caution ne peut demander sa décharge que si le débiteur principal a été effectivement déclaré en faillite; dans le cadre du RCD, la caution peut demander sa décharge même si le débiteur principal n’est pas effectivement en RCD mais dans les conditions pour l’être.
Notons que la possibilité de décharge est également ouverte au codébiteur solidaire qui peut être requalifié en caution à titre gratuit par le juge, lorsque ce dernier constate qu’il n’est pas personnellement concerné par la dette et ne joue en définitive que le rôle de caution[9]. Un tel codébiteur solidaire peut demander à être déchargé de tout ou partie de son engagement dès lors qu’il n’a bénéficié d’aucun intérêt ni tiré aucun profit de l’engagement du débiteur principal.
Quid de la caution réelle? Peut-elle aussi bénéficier de cette décharge? La majorité de la doctrine et de la jurisprudence[10] considère que ce mécanisme de décharge est réservé aux sûretés personnelles, ce qui exclut les cautions réelles de son bénéfice. Un arrêt de la cour du travail de Mons de 2018 a cependant jugé que les cautions réelles doivent pouvoir bénéficier de la décharge si elles remplissent les conditions[11]. Les choses ne sont donc pas si simples…
Enfin, dans le cadre de la faillite exclusivement, les sûretés personnelles sont automatiquement déchargées de leurs engagements, en vertu de l’article XX.156, alinéa 3 du Code de droit économique, si le créancier omet de mentionner leur existence dans sa déclaration de créance ou au plus tard dans les trois mois du jugement déclaratif de faillite.
Selon qu’on soit caution réelle ou personnelle, à titre gratuit ou à titre onéreux, le législateur a mis en place des régimes plus ou moins protecteurs qui peuvent atténuer les conséquences très lourdes d’engagements souscrits parfois «à la légère» ou dans un but totalement désintéressé.
Sylvie Moreau,
juriste au Centre d’appui-Médiation de dettes
[1] Articles 2021 et suivants anciens du Code civil.
[2] Voir article 5.251 du Code civil (article 1287 ancien du Code civil).
[3] Cass (1re ch.), 10 décembre 2020, n°C200110F, https://www.cass.be/fr/juportal.
[4] Cass (1re ch.), 22 décembre 2006, n°C060089N, https://juportal.be/.
[5] Pour une analyse détaillée de l’application de 5251 (anciennement 1287) à la caution réelle, voir M. Delvaux et E. Severs: «Au menu du prêteur: caution ou hypothèque», in C. Bedoret (dir.), Au cœur de la médiation de dettes, Anthémis, 2022, p. 505 et suivantes.
[6] Articles 2028 et suivants anciens du Code civil.
[7] Le créancier a par exemple oublié de renouveler une inscription hypothécaire qu’il avait sur l’immeuble du débiteur principal ou, s’il y avait deux débiteurs, en a libéré/désolidarisé l’un des deux.
[8] CC, 15 octobre 2020, n°136/2020.
[9] M. Delvaux et E. Severs, op. cit, p. 507.
[10] Ibidem, p. 509.
[11] C. trav. Mons (10e ch.), 18 décembre 2018, n°2017/BM/24; https://observatoire-credit.be.