Depuis plusieurs années, la façon de consommer pour la population a changé. Cela est d’autant plus vrai depuis le Covid. Depuis cette pandémie, les achats à distance et le commerce en ligne ont augmenté et de nouvelles problématiques de consommation sont apparues. Auparavant, nous avions un contact physique avec le produit ou le service envisagé à l’achat. Nous pouvions essayer, tester le bien avant d’en faire l’acquisition. Avec la dématérialisation du marché, le principe de «Payer d’abord, consommer ensuite» est apparu. Contours de ces nouvelles modalités de paiement.
D’une manière générale, afin de valider une commande internet, la personne doit payer, généralement via une carte de crédit ou de débit, le montant du produit. Ensuite, elle patiente, reçoit sa commande et l’essaie. Si celle-ci convient, pas de problème. Si ce n’est pas le cas, il faudra renvoyer la commande et attendre le remboursement des montants versés préalablement. Ce système peut être financièrement délicat pour une partie de la population au budget plus modeste. Effectivement, par cette façon de consommer, elle sera privée d’une partie de ses ressources pour un bien ou un service qu’elle ne possède pas encore et dont elle n’est pas assurée qu’il conviendra à ses attentes.
Certains organismes ont envisagé ce problème et ont décidé d’agir. Parmi ceux-ci, nous pouvons citer l’un des plus connus: Klarna Bank AB. Ce prestataire de services de paiement suédois a débarqué dans le paysage économique européen, avec comme «arme» attractive principale, la distinction des moments de consommation et de paiement. Désormais avec Klarna, ce sera «Buy now, pay later». Le consommateur en ligne pourra désormais obtenir le produit ou le service qu’il désire acquérir, l’essayer et payer seulement si celui-ci lui convient.
Les deux méthodes de paiement proposées par Klarna
La première chose à faire est de créer un compte Klarna. Pour ce faire, l’utilisateur devra impérativement renseigner une carte ou un compte bancaire sur lequel cet organisme pourra débiter les sommes dues. Une application mobile est également disponible afin d’avoir une meilleure visibilité, notamment sur les méthodes de paiement disponibles et les coordonnées renseignées. Une fois ces démarches effectuées, l’utilisateur pourra choisir entre différents modes de paiement proposés par le prestataire de services de paiement et acceptés par le magasin physique ou la boutique en ligne (qui a conclu un partenariat avec Klarna pour pouvoir offrir ces modes de paiement). Il faut mentionner que l’utilisation de Klarna n’a aucune incidence sur la relation entre le vendeur et le consommateur, car deux relations contractuelles naissent : une entre le magasin et le client et une autre entre ce dernier et Klarna. Par ailleurs, les conditions générales de Klarna stipulent que le client reconnaît à celle-ci un droit de cession de la créance que Klarna aurait envers l’utilisateur.
Le premier mode de paiement disponible est le plus connu, à savoir payer le produit 30 jours après l’expédition des biens ou la prestation de services. Avec cette méthode, on repousse la date d’échéance de la facture à 30 jours après l’obtention du produit commandé. Le second mode de paiement offert par Klarna est le paiement de la facture en trois temps : une fois la commande confirmée par le vendeur, Klarna paie celui-ci et facture une première somme à l’acheteur. Trente jours plus tard, une seconde facture est émise, et enfin une troisième, 30 jours après.
Avantages de ces méthodes de paiement
Ces offres sont avantageuses en premier lieu pour le vendeur. En effet, dans le cadre de ces modes de paiement, le vendeur est payé par Klarna et donc protégé d’un acheteur éventuellement insolvable. Une fois le paiement effectué, Klarna obtient une créance envers le consommateur.
La première méthode de paiement présente également une protection pour l’acheteur puisque celui-ci ne s’engage à payer le bien ou le service qu’après réception de ce dernier et, en cas de problème avec la marchandise, l’acheteur pourra compter sur l’aide de Klarna pour obtenir, par exemple, l’annulation de la transaction et ainsi le remboursement de l’argent versé. Si le consommateur paie à la date d’échéance prévue, à savoir 30 jours après l’expédition des biens, aucun coût n’est facturé par Klarna : seul le prix du bien est dû. En revanche, en cas de non-paiement à cette date d’échéance, un premier rappel gratuit est envoyé au consommateur, conformément à l’article XIX.2 du Code de droit économique (ci-après «CDE»), lui laissant un délai de 14 jours pour payer la facture. Si le remboursement n’est toujours pas effectué après ce délai, des dommages et intérêts seront ajoutés au montant initial. Ceux-ci varient en fonction du montant de l’achat, allant de 3 € à 12,50 € de frais de rappel. Par ailleurs, des intérêts de retard peuvent s’appliquer. Enfin, en cas de non-paiement après le troisième rappel, Klarna transfère le dossier à son partenaire de recouvrement.
Pour ce qui est de la seconde méthode de paiement, aucun frais n’est réclamé en cas de paiement en trois temps. Par ailleurs, si le premier versement est manqué, un délai de grâce de deux à sept jours ouvrables est accordé pour se mettre en ordre. Si l’utilisateur ne parvient pas à payer dans ce délai, le premier montant dû peut être payé gratuitement avec le deuxième au moment du paiement de ce dernier. La même logique est d’application pour le deuxième versement, reporté au troisième. Klarna ne comptabilise donc pas de frais. Toutefois, l’acheteur utilisant sa propre carte de débit ou crédit, l’émetteur de cette carte peut facturer des intérêts ou frais, selon le contrat conclu entre les deux parties. Lorsqu’il choisit d’utiliser ce type de paiement, l’utilisateur est lié à Klarna juridiquement. Cela veut dire que seul le paiement auprès de Klarna libérera l’acheteur : un remboursement auprès du vendeur n’aura pas d’effet sur la relation contractuelle entre l’acheteur et Klarna.
L’utilisateur peut donc payer sa facture en trois temps. Toutefois, les montants deviennent immédiatement exigibles lorsque la carte bancaire utilisée est annulée après le premier versement, à l’instar de ce qui se passe dans une banque lorsque la carte de crédit est suspendue ou bloquée par cette dernière.
S’il reste des sommes dues lors de l’échéance du troisième versement, un rappel légal de 14 jours est envoyé, suivi d’un deuxième puis d’un troisième rappel, des frais identiques à ceux mentionnés dans la présentation du premier mode de paiement s’accumulant aux montants réclamés. Des intérêts de retard pourront être calculés.
En cas de remboursement anticipé du deuxième et/ou du troisième montant non échu, aucune indemnité de remploi n’est appliquée par Klarna, contrairement à ce qui se passe généralement dans un contrat de crédit par exemple. Notons toutefois que cette indemnité est minime puisqu’elle ne représente que 0,5% de la partie remboursée en capital si le délai de remboursement restant était inférieur à un an[1].
On le voit : l’accès à ces modes de paiement est très facile pour l’acheteur et, en cas de respect des délais de paiement accordés, aucun surcoût n’est facturé.
Pour le vendeur en revanche, s’il a l’assurance d’être payé puisque c’est Klarna qui assume la facture, cela a un coût. En effet, une commission représentant un pourcentage du montant de la transaction ainsi qu’une partie de frais fixes sont payées par le vendeur pour proposer les méthodes de paiement Klarna.
Les inconvénients de ces méthodes de paiement
Klarna étant actuellement un service de paiement au sens du titre 3 du Livre VII du CDE, il n’est soumis à aucune des normes du titre 4 de ce même livre, titre régissant quant à lui les contrats de crédit. Or, cela représente un inconvénient majeur puisque le titre 4 du Livre VII CDE met en place plusieurs protections contre le futur endettement du candidat emprunteur. À titre d’exemple, nous pouvons citer le devoir de conseil incombant au prêteur, qui l’oblige à proposer le produit bancaire le plus adapté, le devoir de refus de crédit si ce prêteur estime que le futur emprunteur ne pourra pas faire face à ses obligations, mais également le devoir d’évaluer rigoureusement la solvabilité du candidat emprunteur.
Klarna explique dans ses conditions générales qu’une évaluation de la solvabilité de l’utilisateur du mode de paiement «Payer plus tard» peut être réalisée. Toutefois, aucune liste d’informations à recueillir n’est imposée aux services de paiement pour faire cette évaluation. À l’inverse, l’article VII. 69 CDE impose au prêteur bancaire une liste légale des renseignements à demander et à obtenir afin d’évaluer la solvabilité du candidat emprunteur[2].
De plus, le SPF Économie a établi en 2018, et revu en 2022[3], des lignes directrices censées éclairer les établissements de crédit sur la manière de remplir au mieux cette obligation d’évaluer rigoureusement la solvabilité du candidat emprunteur. En résumé, celles-ci conseillent de réaliser un budget complet afin d’évaluer la solvabilité du candidat emprunteur. Une fois ces informations collectées, une évaluation rigoureuse de la solvabilité est réalisée par le prêteur[4]. Alors que du côté de Klarna, la capacité de remboursement des clients est vérifiée via leurs entreprises partenaires[5].
Par conséquent, le garde-fou contre l’endettement imposé par l’enquête de solvabilité en cas de crédit à la consommation est inexistant dans le processus Klarna, ce qui peut amener des personnes à s’engager dans des transactions financières qu’elles ne pourront pas assumer.
Constat
Les offres de paiement Klarna sont intéressantes pour les utilisateurs avertis qui savent gérer les échéances et qui sont conscients de leur capacité de remboursement. Ceux-ci pourront s’assurer, via Klarna, d’essayer le produit avant de décider de l’acheter ou de le renvoyer, et ce sans frais.
En revanche, pour un public plus précarisé ou moins attentif, ces offres peuvent avoir des conséquences financières dangereuses. En effet, ces modes de paiement se rapprochent des formes de crédit à la consommation (ouverture de crédit avec délai de zérotage de 30 jours pour le premier, vente à tempérament en trois mensualités pour le deuxième), sans pour autant être soumis au respect de règles permettant de protéger le plus possible les consommateurs. Le recours à ce genre de modes de paiement semble ainsi risqué pour une partie de la population, d’autant plus quand on sait qu’un paiement sur la base d’une facture émanant directement du magasin peut remplacer le «Buy now, pay later» et que beaucoup d’enseignes proposent désormais de faire un paiement échelonné, remplaçant ainsi le deuxième mode de paiement proposé par Klarna.
De plus, en cas de plainte et de non-accord avec Klarna Belgique, le dossier sera transmis au Conseil national suédois pour les litiges de consommation. Ce n’est pas forcément pratique[6].
À noter enfin que Klarna propose encore d’autres services, tels que la création de comptes de dépôt d’argent ou encore l’utilisation d’une carte virtuelle à usage unique[7], permettant aux utilisateurs de bénéficier des modes de paiement vus ci-dessus lorsque le magasin n’a pas intégré les méthodes de paiement Klarna.
En cours d’encadrement ?
Klarna et les autres prestataires de services de paiement ont pris de l’ampleur et l’Union européenne en est consciente. C’est pourquoi une nouvelle directive européenne 2023/2225 a été adoptée en octobre 2023 et publiée au Journal officiel de l’Union européenne[8]. Elle va abroger la directive 2008/48/CE qui, pour rappel, avait inséré en Belgique la partie du Livre VII du Code de droit économique portant sur les crédits à la consommation. Le but est de faire évoluer l’ancienne directive, notamment en élargissant son champ d’application. On peut d’ailleurs lire au considérant (16) de la nouvelle directive : «Les plans ‘Achetez maintenant, payez plus tard‘, en vertu desquels le prêteur octroie un crédit à un consommateur pour la seule fin d’acheter des biens ou des services fournis par un prestataire, qui sont des nouveaux outils financiers numériques permettant aux consommateurs de faire des achats et de les payer au fur et à mesure, sont souvent accordés sans intérêts et sans autres frais, et devraient par conséquent être inclus dans le champ d’application de la présente directive.»
Cela signifie, en vertu de la nouvelle directive, que Klarna (comme les autres prestataires de services de paiement) devrait notamment être soumis à l’évaluation rigoureuse de la solvabilité de l’article VII.77 CDE. Et concernant cette dernière, la nouvelle directive l’élargit: «L’évaluation de la solvabilité devrait être réalisée sur la base des informations relatives à la situation financière et économique. Ces informations devraient être nécessaires et proportionnées à la nature, à la durée, à la valeur et aux risques du crédit pour le consommateur […], et devraient être pertinentes, complètes et exactes. Ces informations devraient comprendre au moins les revenus et les dépenses du consommateur, en prenant en considération de manière appropriée les obligations actuelles du consommateur, entre autres les frais de subsistance du consommateur et de son ménage, ainsi que ses engagements financiers»[9]. La directive stipule donc qu’il ne faut plus se contenter de la liste légale de l’article VII.69, §2, al. 2 CDE. Il faut aller plus loin, comme le préconisait déjà le SPF Économie dans ses lignes directrices.
Cela semble être une bonne chose puisqu’une protection supplémentaire pour l’utilisateur de Klarna voit le jour avec cette directive. Toutefois, l’article 2, §5 de la directive 2023/2225 explique que les États membres pourront exempter de l’application de cette directive les contrats de crédit sous la forme de cartes de débit différé, s’ils sont fournis par un établissement de crédit ou de paiement, que le délai pour le remboursement total ne peut dépasser 40 jours et qu’il n’y a pas d’intérêts, éventuellement des frais limités liés à la prestation du service de paiement. Malheureusement, la directive ne définit pas ce qu’il faut entendre par établissement de paiement. Mais si Klarna peut être rangé dans cette catégorie, son mode de paiement 30 jours plus tard pourrait être exclu du champ d’application de cette nouvelle directive.
Par ailleurs, l’article 2, §8 de la directive laisse la possibilité aux États membres d’exclure l’application de certains articles pour les contrats de crédit, aux termes desquels le crédit doit être remboursé dans un délai maximal de trois mois et pour lesquels ne sont requis que des frais négligeables[10]. Ici, ce sont les deux modes de paiement de Klarna présentés plus haut qui peuvent entrer dans cette catégorie. De plus, si ces offres rentrent dans le champ d’application des règles relatives aux crédits à la consommation, des intérêts rémunératoires pourraient être facturés par Klarna, ce qui n’est pas le cas actuellement puisque aucun frais n’est comptabilisé en cas de respect des échéances. Ce ne serait alors pas une avancée dans la lutte contre le surendettement, bien au contraire.
En résumé, le législateur européen est conscient qu’il faut encadrer plus fermement ces prestataires de services de paiement. Toutefois, il laisse, pour certaines choses, la main aux législateurs nationaux pour décider jusqu’où ceux-ci voudront aller dans l’encadrement de Klarna et autres. L’élargissement des règles relatives aux crédits à la consommation pourrait également amener ces prestataires de services de paiement à revoir leur manière de fonctionner, en facturant une rémunération en échange de leurs services. Nous serons fixés rapidement, puisque la directive doit être transposée au plus tard le 7 novembre 2025.
Wait now, see later.
Cédric Dony, juriste au GILS
[1] Voir article VII.97, §1er CDE.
[2] Article VII.69, §2, al. 2 CDE: «Le questionnaire a au moins trait au but du crédit, aux revenus, aux personnes à charge, aux engagements financiers en cours comprenant entre autres le nombre et le montant débiteur des crédits en cours. Le Roi peut, par un arrêté délibéré en Conseil des ministres, compléter cette liste dans le cas où le montant du crédit dépasse les 3.000 euros.»
[3] Disponible via https://economie.fgov.be/sites/default/files/Files/Entreprises/Guidelines-solvabilite-credit-a-la-consommation.pdf
[4] Article VII.77 CDE: «§1er. Le prêteur procède, avant la conclusion du contrat de crédit, à l’évaluation rigoureuse de la solvabilité du consommateur et vérifie que le consommateur sera à même de respecter ses obligations de remboursement.»
[5] https://www.lecho.be/entreprises/services-financiers-assurances/1-2-million-de-belges-utilisent-klarna-acteur-du-paiement-differe/10397683.html.
[6] Toutefois, il y a lieu de rappeler l’existence du Centre européen des consommateurs, qui peut également être saisi du dossier.
[7] Voir infos sur le site de Klarna: https://www.klarna.com/fr/service-client/quest-ce-quune-carte-a-usage-unique-et-comment-fonctionne-t-elle/
[8] Disponible via https://eur-lex.europa.eu/eli/dir/2023/2225/oj?locale=fr.
[9] Considérant (55) de la directive européenne 2023/2225, p. 10.
[10] «Les États membres peuvent décider que l’article 8, paragraphe 3, points d), e) et f), l’article 10, paragraphe 5, l’article 11, paragraphe 4, et l’article 21, paragraphe 3, ne s’appliquent pas à un ou plusieurs des contrats de crédit suivants: (…)
c) aux contrats de crédit aux termes desquels le crédit doit être remboursé dans un délai maximal de trois mois et pour lesquels ne sont requis que des frais négligeables.»