JustRestart: la plateforme RCD est arrivée

Depuis le 2 novembre, JustRestart est donc le canal d’introduction et de gestion des règlements collectifs de dettes. On ne peut pas dire que les premiers pas de la plateforme aient été de tout repos. Mais avec le temps les choses s’améliorent.

Il a déjà fallu un temps considérable pour que la plateforme JustRestart voie le jour. Maître Jean-Luc Denis, en charge de ce dossier auprès d’Avocats.be, l’Ordre des barreaux francophones et germanophone, en retrace l’historique: «Annoncée par voie législative par la loi du 25 décembre 2016 portant diverses dispositions en matière de justice, la plateforme a connu de nombreux contretemps qui ont émaillé la mise en route de ce registre, que ce soit le pacte de Marrakech) et la chute du gouvernement Michel II, puis le Covid et les crises qui lui ont succédé. Au début de l’année 2021, le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne, a relancé la machine, avec le vote des budgets et le choix des prestataires, validé par le ministère de la Justice. Mais le vote de textes nécessaires pour la mise en activité de la plateforme a encore été retardé à deux reprises et dès lors son entrée en vigueur. Le texte de l’arrêté royal aux accès des parties a lui aussi été adopté in extremis

 Pour Jean-Luc Denis, les débuts de la plateforme ont surtout été compliqués par l’intégration de tous les anciens dossiers sur la base de l’ancien système ARTT qui devaient être nettoyés un maximum et basculés dans le système, «ce que certains arrondissements judiciaires ont réalisé de manière très efficace, d’autres moins. Il y a eu une masse de données considérable à transférer et pas de mal de corrections à réaliser. Par ailleurs, pour ces dossiers anciens, l’intégralité des pièces n’a pas été numérisée et les médiateurs de dettes ont dû importer toute une série de choses. Enfin il y a eu aussi un délai d’adaptation laissé aux créanciers qui pouvaient encore utiliser la voie papier jusqu’au 2 mai, ce qui a généré du travail pour les greffes et les médiateurs, en termes d’invitations, de demandes de déclarations de créances et de rappels. Aujourd’hui cette question est réglée pour 99% des créanciers-personnes morales belges: ils sont d’ailleurs près de 100.000 à être enregistrés dans la plateforme».

Autre élément de difficultés: ce registre comprend des accès spécifiques et des interfaces propres à chaque acteur concerné. Il a fallu gérer les nombreuses difficultés, notamment en termes d’accès et les problèmes d’ajustements spécifiques aux différents utilisateurs. «Le help desk a été noyé à un moment donné et on a créé des cliniques pour répondre aux problèmes informatiques liés à la plateforme, en fonction des acteurs visés. S’il y a eu des réticences, elles sont en train d’être levées et les chiffres d’introduction des requêtes ont sans doute été un peu retardés au début de la mise en fonction de la plateforme, mais cela ne descend plus aujourd’hui.»

Qu’en pensent les médiateurs de dettes?

 Tout dépend de la nature de leurs interventions dans le cadre des procédures RCD, mais de l’avis des médiateurs de dettes, à terme, la plateforme s’avère un plus.

Ophélie Bodart est médiatrice de dettes dans un service de médiation de dettes bruxellois, au Planning familial Leman. On n’y pratique pas la médiation judiciaire et donc il n’y a pas de suivi de dossiers dans le cadre d’un RCD. Mais, en revanche, les médiatrices de dettes sont amenées à aider les personnes surendettées à introduire des requêtes en RCD. Et donc depuis peu via la plateforme JustRestart. «D’une manière générale, on peut dire que c’est plutôt positif de pouvoir avoir accès en ligne à l’ordonnance d’admissibilité, au rapport annuel, au plan amiable… Le fait qu’il y ait un accès commun pour le service au dossier est aussi plus facile. Mais, dans un premier temps, on a eu du mal à se créer un compte et à se connecter. Une fois que cela a été lancé, c’était bon. Avec l’utilisation d’Itsme, cela fonctionne bien. Ce à quoi il faut s’habituer, c’est que lorsqu’on élabore un dossier papier, on travaille sur les différents documents à recueillir, dans l’ordre que l’on veut: on constitue son dossier en fonction de ce qui arrive. Sur la plateforme, il faut suivre un ordre précis: on ne peut pas passer une étape. Même si on ne dispose pas encore des documents ad hoc, il faut encoder des documents vierges pour ensuite y revenir par la suite en introduisant les bonnes pièces, une fois qu’elles seront disponibles. C’est un peu fastidieux et un peu rigide. Cela prend du temps, mais sans doute ça ira plus vite quand on maîtrisera mieux le système. Pour le numéro de rôle, c’est beaucoup plus clair et je peux accéder à l’ordonnance d’admissibilité, facilement via la plateforme.»

 De l’avis de la médiatrice de dettes, le greffe est assez accessible pour poser des questions: il y répond dans la mesure de ses possibilités. Par contre, en général, les personnes en RCD ne veulent pas se créer un compte pour avoir accès à la plateforme, entre autres pour des raisons de fracture numérique. «J’essaie de leur expliquer les avantages, mais en général elles ne préfèrent pas, elles ne comprennent pas forcément l’intérêt et cela leur fait peur. Peut-être que certains, une fois le médiateur judiciaire désigné, se sont enregistrés sur la plateforme et se débrouillent bien tout seuls, mais de ceux-là on n’en entend plus forcément parler…»

Du côté de la Wallonie, le service de médiation de dettes du GAS gère des dossiers de RCD, non pas uniquement pour l’introduction des requêtes, mais également en tant que médiateurs et médiatrices judiciaires. Le GAS est donc partie prenante au sein de 216 RCD et doit jouer un rôle actif dans la gestion des dossiers. D’où son implication à ce titre dans l’utilisation de JustRestart.

L’avis général répercuté par Delphine Incoul, responsable du service, c’est que, «même si le passage à JustRestart a demandé et demande encore pas mal d’adaptations, c’est vraiment pour un mieux. Sans doute la transition n’est pas évidente, les dossiers hybrides ont demandé pas mal d’interventions, il y a toujours des bugs avec certains créanciers, mais ces aléas sont inhérents au changement d’outil. Lorsqu’on a implémenté le logiciel Medius pour le traitement informatique des dossiers dans le service, là aussi, il a fallu s’adapter, mais aujourd’hui on se demande comment on a pu faire sans…»

 Le constat très positif est qu’à terme, une fois les bugs réglés et la nécessité pour chacun de s’adapter au nouveau système, le système sera beaucoup plus rapide et efficace. De l’avis de Gaëlle Letesson, médiatrice au GAS, «sans doute, la prise en main n’est pas évidente pour certains, il faut lâcher le papier et une méthodologie bien rodée. Cela représente du travail supplémentaire aujourd’hui, des vérifications, mais, au bout du compte, ce sera plus facile. En termes de visibilité et de vérification du stade auquel se trouve la procédure, c’est un plus incontestable. Avec les nouveaux dossiers, il y a un gain de temps dans la prise de décision – par exemple pour les ordonnances d’admissibilité ou les demandes exceptionnelles -, et aussi d’argent – par rapport aux envois par recommandé. Mais il est important que les données introduites dans le cadre des requêtes soient suffisantes, sans quoi il y aura des demandes de renseignements complémentaires dans le chef du tribunal et, le cas échéant, du travail supplémentaire pour le médiateur judiciaire qui ne disposerait pas des infos nécessaires pour élaborer le plan.»

 Le fait que chaque intervenant dispose d’une interface propre n’a pas non plus aidé à bien se comprendre, mais finalement cela a aussi permis plus de dialogue entre les différentes parties. Comme l’explique Delphine Incoul, «on n’avait pas forcément conscience des possibilités et des difficultés de l’autre dans nos premiers échanges, mais la collaboration avec les tribunaux du travail et les greffes s’est renforcée et nous avons régulièrement des rencontres pour affiner la méthodologie. Lorsqu’il y avait des bugs d’un côté ou de l’autre, des items mal remplis, des créanciers manquants, on a pu s’entraider. Côté créanciers, on peut se demander s’il y a eu assez d’information et de formation, mais, là aussi, quand on se rend compte de bugs ou d’informations sur la plateforme qui ne semblent pas correspondre à ce qu’on sait du dossier, on prend contact avec eux».

 Le doute subsiste sur le fait de savoir si les médiés monteront dans le train de l’informatisation, la fracture numérique étant ce qu’elle est. Gaëlle Letesson le regrette: «Ils pourraient avoir une bien meilleure connaissance de leur dossier et de son état d’avancement, mais ils ont peur de louper un jugement ou le plan, qui ne seraient plus communiqués que via la plateforme, et non plus en papier.» Une transition qui demande aussi un accompagnement dans leur chef…

Et du côté des magistrats?

Dominique Moineaux, présidente du tribunal du travail du Hainaut pour quelques semaines encore, considère que les prémices de cette plateforme ont été mal emmanchées: «Tout d’abord le fait d’avoir voulu calquer JustRestart sur Regsol, registre des faillites, n’était pas une bonne idée, car le registre des RCD demandait bien plus de développements et donc bien plus de budget. Autre gros malentendu: le fait que tous les acteurs aient considéré dans un premier temps que les greffes pourraient fournir des infos sur le fonctionnement de JustRestart et le tribunal jouer le rôle de help desk. Or nous ne sommes rien d’autre qu’un utilisateur, au même titre que les médiateurs ou les créanciers. Les greffes ne sont pas propriétaires de l’outil, donc ne peuvent pas modifier le système. Quant au modèle de requêtes ad minima, cela risque de créer encore plus de disparités dans le traitement des demandes. Enfin il a fallu résoudre de nombreux problèmes: pas mal le sont aujourd’hui, mais d’autres subsistent. Et le nombre d’informaticiens pour les régler n’est pas en augmentation, bien au contraire…»

Pour la magistrate, il faut être très volontariste pour utiliser cette plateforme: ce sera sans doute le cas du Hainaut, de Liège, de Bruxelles francophone, mais qu’en sera-t-il des plus petites équipes qui n’ont pas les moyens? Il a aussi fallu convaincre les cours du travail de monter dans le bateau, car, au départ, elles ne voulaient pas utiliser la plateforme. Quant au nombre de requêtes en RCD introduites via JustRestart, il semble constant. Ce qui chiffonne le plus la magistrate, «c’est la privatisation de la justice via la délégation de la gestion de cette plateforme aux ordres, avec une redevance qui devra couvrir les frais. Déjà que la numérisation de la justice est un gouffre financier, mal géré, en faisant appel à des consultants qui partent de rien et à qui il faut tout expliquer, ce qui représente beaucoup d’argent public gaspillé…»

 Autre point de vue: celui de Denis Maréchal, futur ex-président du tribunal du travail de Liège, qui est pour sa part plutôt satisfait de l’arrivée de la plateforme: «Depuis le temps qu’on l’attendait, après un à deux mois de prise en main pour maîtriser l’outil, c’est vraiment un plus. Certes des améliorations ont dû être introduites, on les a découvertes au fur et à mesure. Mais, de mon côté, je suis vraiment confortable dans mes tâches: avant, j’allais par exemple une fois par semaine à Huy et ce qui n’était pas fait dans la journée était reporté à la semaine suivante. Aujourd’hui, avec la to-do list accessible de partout, cela représente un confort de vie, par rapport aux déplacements et une vitesse d’exécution beaucoup plus grande. Il faudra juste faire attention à la convivialité et au maintien des contacts entre collègues, avec le greffe, pour que tout ne passe pas par la voie informatique. Mais la visibilité que donne la plateforme sur l’état de la procédure, le fait qu’après quelques semaines on ait déjà un passif définitif, alors qu’auparavant cela prenait parfois un an et demi, c’est certainement une très bonne chose pour les dossiers et leur traitement. Tout va beaucoup plus vite.»

Pour ce qui est des audiences, le magistrat ne voit pas de changements notables: pour l’instant il y a encore des dossiers papier et du numérique, mais évidemment tout ce qui a été déposé via JustRestart est plus facile d’accès. «Certains estiment que cela déshumanise la procédure: pour moi le papier n’est pas plus humain…»

 Le juge Maréchal constate peut-être plus de requêtes introduites par des médiateurs de dettes et moins de requêtes déposées par les avocats médiateurs judiciaires qui se plaignent de la plateforme comme n’étant pas conviviale et qui compliquerait la tâche. «Par rapport au greffe, si l’introduction des anciens dossiers a demandé du travail, le nombre de notifications papier est déjà bien moindre qu’avant et c’est un des avantages notables de la plateforme. Pour les personnes, si elles utilisent déjà Myminfin.be pour les impôts, sans doute leur est-il possible de suivre leur dossier via leur PC, voire de déposer seules une requête sur JustRestart. Pour autant, je n’en ai vu qu’une ou deux à le faire, mais elles peuvent toujours se présenter au greffe et s’y faire aider. Il faut faire attention à ce public et à la fracture numérique…»

Nathalie Cobbaut