« C’est un secret de polichinelle et un scandale auquel il faut mettre fin. En ces temps de disette budgétaire, les CPAS s’en sortent bien. Leurs équipes attendent le « client » et leurs moyens financiers sont plantureux. Et les cris d’orfraie de leurs présidents n’ont comme unique raison que de chercher à tout prix à préserver leur tranquillité et leur pré carré. Les gouvernements fédéral et des entités fédérées se doivent de réagir fermement et rapidement pour mettre fin à cette exception budgétaire. Cinq minutes de courage politique et le problème sera réglé. »
Tels étaient les quelques phrases d’introduction d’une communication datant du mois d’août 2015. Une communication pour le moins provocatrice de Philippe Defeyt, président du CPAS de Namur, intitulée de manière ironique : « Les CPAS ont trop de moyens et pas assez à faire ! ». Pour cet homme politique engagé, qui a décidé de raccrocher les gants début juillet de cette année pour laisser la place aux jeunes, il est urgent de stopper la « CPAS-isation » de l’action publique car ces institutions étouffent sous le poids des demandes légitimes des personnes qu’ils accueillent en nombre croissant. Parce que les CPAS sont inégaux en moyens humains et financiers, tout simplement parce beaucoup de communes sont pauvres, les effets pervers d’un transfert de responsabilités vers les CPAS apparaissent au grand jour : d’une part, des citoyens ne sont pas ou plus traités de manière équitable suivant le CPAS dont ils dépendent. D’autre part, alors que le CPAS est en principe une institution « refuge » de dernier ressort, il est de plus en plus une institution plus « accueillante » que les autres institutions de l’État-providence. Pour Philippe Defeyt, le CPAS doit rester, ou plutôt redevenir, une institution de dernier recours, non une ambulance qui ramasse tous ceux – de plus en plus nombreux – que le peloton et la course abandonnent.
Dans le numéro de septembre 2015 de la publication Ensemble, le Collectif Solidarité contre l’exclusion se pose la question tout aussi dérangeante : « Le travail social peut-il encore être social ? »[1]. Yves Martens y questionne le travail social selon les modalités de l’État social actif qui déplace la responsabilité de la collectivité à l’égard de ses membres sur les épaules de chacun d’eux pris individuellement. Avec l’obligation pour l’usager de prouver que des efforts ont bien été mis en œuvre pour résoudre ses problèmes et les contrôles qui en découlent dans le chef des travailleurs sociaux chargés de cette tâche . Or cette logique met à mal la confiance et la sérénité indispensables aux relations avec les bénéficiaires et contrevient aussi à la déontologie des travailleurs sociaux.
Toujours à la même époque, la Chronique de la Ligue des droits de l’homme n°170[2] consacrait elle-aussi son dossier au travail social. Avec un édito de Vanessa De Greef, vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme, intitulé : « Le travail social et les droits de l’homme, victimes collatérales de la déconstruction de l’Etat social » qui parle de travail social sur une pente glissante, vu le manque de reconnaissance du travail accompli, des conditions de travail difficiles et des tiraillements constats qui deviennent le quotidien des travailleurs sociaux. Autre titre un peu provoc de ce dossier : « Le travail social en voie de liquidation ? » qui envisage l’intention affirmée de la Flandre, ainsi qu’au gouvernement fédéral de supprimer les CPAS ou encore celle de réduire la portée du secret professionnel.
Dans le même ordre d’idées, nous évoquions dans un dossier des Échos du crédit, paru au premier trimestre 2015, l’impact du manque de moyens rencontré par de nombreux CPAS, avec la décision prise par certains de supprimer leur service de médiation de dettes, en déléguant cette mission vers l’associatif ou en la rapatriant vers les services de première ligne.
Dans un tel contexte, il va sans dire que les conditions de travail pour les travailleurs sociaux et plus spécifiquement pour les médiateurs de dettes ne sont pas optimales. Au point de se poser la question si leur dignité humaine, tout autant que celle des usagers, est bien respectée.
Nathalie Cobbaut
[1] Ensemble n°88, Septembre 2015, p. 6 et suivants. A télécharger sur www.ensemble.be
[2] Dossier « Travailler le social », in La Chronique de la Ligue des droits de l’homme, n°170,. A télécharger sur le site www.liguedh.be