La Fondation Crésus travaille depuis plusieurs années sur les enjeux cruciaux de la prévention du surendettement et de l’éducation financière. Pour y contribuer activement, elle a créé un jeu pédagogique, Dilemme, pour apprendre à gérer son argent tout en s’amusant. Elle a aujourd’hui pour ambition de passer les frontières pour diffuser cet outil.
On vous a déjà parlé de Crésus (Chambres régionales de surendettement social) dans les pages des Échos du crédit : ce réseau a été fondé en Alsace en 1992 pour apporter un soutien budgétaire, juridique et psychologique aux personnes surendettées. Elle rassemble aujourd’hui 25 associations réparties sur 45 départements de France et sont regroupées dans la Fédération française des associations Crésus. Au-delà des 119 points d’accueil, des 600 bénévoles accompagnants-experts, des 183.000 consultations annuelles et des 500.000 ménages aidés depuis la création de ce réseau, la Fédération Crésus s’investit dans la prévention.
Lors du dernier colloque EFIN qui s’est tenu à l’automne dernier, nous avions rendu compte de la mise au point d’une procédure et d’un logiciel destinés à repérer au plus tôt les personnes en difficulté dans le paiement de leurs emprunts au sein des institutions bancaires. Le dispositif a été adopté par bon nombre de banques françaises, avec l’appui de Crésus qui, une fois les difficultés mises au jour, apporte le conseil et l’accompagnement aux personnes ainsi repérées précocement. Quelque 24.000 ménages sont ainsi concernés en France par un tel dispositif et cette plate-forme d’intermédiation qui comprend 25 personnes pourrait faire des émules au-delà des frontières étant donné, comme l’explique Jean-François Kiehl, président de la Fédération française des associations Crésus, qu’«une phase de test pourrait être mise sur pied avec Cofidis Belgique et des contacts sont également en bonne voie avec le siège belge de CBC. L’extension de cette solution de prévention secondaire au réseau financier belge nécessitera, au-delà de la phase de test, le recrutement de collaborateurs, ainsi qu’une joint-venture associative pour transposer le savoir-faire acquis par Crésus dans cette prise en charge précoce».
Le dilemme de la consommation
Une autre préoccupation de la Fédération Crésus est la prévention primaire, et ce, dès le plus jeune âge. Pour Jean-Louis Kiehl, «gérer son argent doit s’apprendre à l’école.» Pour lui, le surendettement ne se réglera pas sans une meilleure éducation à l’argent. Quelques chiffres parlants : 42% des Français ne savent pas calculer un taux d’intérêt annuel sur 100 euros, 84,6% de la population estiment que les services et produits financiers sont confus et compliqués, 46% des Français estiment que leur niveau de connaissance est insuffisant pour lire un document d’information commercial sur un service ou un placement financier.
Depuis 2008, un laboratoire a été créé au sein de la Fondation Crésus qui travaille à de nouvelles formules d’éducation financière et budgétaire. Pendant sept ans, le travail a été mené sur des bases scientifiques : «On constate souvent que les animations dans les écoles avec un PowerPoint poussiéreux ou un jeu de plateau très laid et mal conçu manquent leur objectif, car les enfants et les jeunes s’en désintéressent. Notre programme Dilemme a la prétention d’atteindre de meilleurs résultats. Nous avons travaillé avec des ludologues, puis avec des designers pour le graphisme et des ingénieurs spécialisés du bureau Teekila pour le développement. Le jeu Dilemme existe sous diverses formes : un jeu de plateau grand format avec un support pédagogique et des didacticiels, un jeu sur tablette et une appli téléchargeables gratuitement, avec des cibles en termes d’âges et de publics variés. Un logiciel existe également pour mesurer l’impact en temps réel des connaissances des joueurs, avec un enregistrement des réponses des joueurs afin de recueillir des informations à grande échelle et permettre l’adaptation du jeu aux besoins. On travaille aujourd’hui au développement d’un Dilemme pour les familles qui sera distribué gratuitement via les magasins Carrefour, ainsi qu’à une version Dilemme Entrepreneurs, à l’horizon 2018 pour apprendre aux jeunes à entreprendre, tout en étant attentif aux risques financiers.»
Pourquoi ce titre Dilemme? «Parce qu’il faut faire des arbitrages entre plaisir et bien-être, parce qu’il faut poser des choix pour gérer un budget de manière adéquate. Dans un monde de dématérialisation, il faut revenir à un peu de raison. La volonté n’est pas non plus de culpabiliser ou de se voiler la face : on aborde par exemple la question du travail au noir sans en faire l’apologie mais en tenant compte de ces éventuels revenus dans un budget.» Les axes d’apprentissage et de partage de connaissances et d’expériences portent sur la gestion active d’un budget, la compréhension de son environnement (donc, e.a. le fonctionnement des banques, d’assurances, des impôts…), les responsabilités individuelles et collectives quant à des choix de consommation. Le jeu aborde également des compétences transversales comme le calcul mental, l’histoire économique, l’argumentation.
Les objectifs de développement
Trois publics sont donc visés par Dilemme : les enfants, les ados et les adultes et apprentis, afin de les suivre à différentes étapes de leur maturité et de leurs besoins en termes financiers. Une phase de test a été effectuée entre octobre et novembre 2013, au cours de septante sessions d’éducation budgétaire dans douze centres de formation en apprentissage (CFA), soit 527 élèves apprentis, majoritairement âgés de 16 à 25 ans. Les «joueurs» ont déclaré avoir saisi l’objectif de mieux gérer un budget et avoir appris tout en s’amusant. Depuis, 10.000 élèves ont été touchés en France et le fait que le jeu ait obtenu l’agrément de l’Éducation nationale devrait élargir considérablement la diffusion. La Fondation Crésus envisage 100.000 personnes touchées l’an prochain. Reste que cet outil pédagogique a un coût: le plateau de jeu et six heures de formation nécessaires pour l’utiliser sont facturés 600 euros. En France, La Poste ou encore la Fédération française bancaire se sont montrées intéressées en acquérant le jeu et en formant des collaborateurs habilités à utiliser ce matériel pédagogique auprès de publics fragilisés. L’idée est également de solliciter des fondations qui puissent offrir les coffrets et les heures de formation à des associations qui n’ont pas les moyens de s’offrir cet outil. Pour Jean-Louis Kiehl, «le partenariat avec des entreprises bancaires ou commerciales pour financer le projet n’est pas un problème à condition que l’outil reste neutre. Mais il est vrai que cela ne plaît pas trop aux partenaires associatifs».
Autre objectif : essaimer au-delà des frontières et diffuser des versions du jeu, adaptées au contexte des différents pays de l’Union. Dans ses contacts avec d’autres pays de l’UE, Jean-Louis Kiehl est actuellement à la recherche de partenaires intéressés à la transposition des différentes formules du jeu pour coller à la réalité de chaque pays. «En Allemagne, on travaille déjà à la transposition et cela pourrait aller très vite. L’Espagne est également preneuse dans ce processus de transposition. On a aussi des contacts avec l’UE pour nous aider à cet essaimage. Pour la Belgique, il faudra adapter le jeu au contexte financier. Par exemple il n’y a pas de chèques, il y a un délai de zérotage, une centrale des crédits aux particuliers, contrairement à la France. Mais l’adaptation devra aussi tenir compte des réalités des deux communautés, ainsi qu’une traduction en néerlandais. Des contacts ont donc été pris avec les autorités responsables des matières enseignement de part et d’autre de la frontière linguistique, ainsi qu’avec la FSMA à qui le jeu a été présenté, mais qui ne veut pas forcément investir dans sa diffusion. Nous sommes donc à la recherche d’entreprises, de fondations partenaires pour développer l’outil sur la Belgique. Des contacts ont été pris avec la Fondation Fortis.»
N. Cobbaut
Encadré
Une radio animée par Crésus
«Crésus la radio qui vous aide… Bonjour Mario, bienvenue sur Radio Crésus, vous êtes en situation de surendettement. Expliquez-nous comment vous en êtes arrivé là et comment nous pouvons vous aider à y voir plus clair.» C’est un juriste bénévole qui, ce matin-là, est en studio et interroge ce monsieur de 48 ans qui a appelé pour témoigner de sa situation. Créée en septembre 2008 et basée à Strasbourg, Radio Crésus a pour objectif de répondre aux interrogations des personnes surendettées. Il s’agit d’un média de proximité qui permet des échanges et des réponses rapides à des situations qui touchent les plus démunis et en voie de désinsertion. Dans l’émission «On vous aide», les personnes en situation de surendettement appellent et exposent leurs difficultés à l’antenne; des juristes et des avocats en studio proposent une écoute attentionnée et apportent des réponses personnalisées. Radio Crésus a donc une portée pédagogique par le partage d’expériences, mais également avec des émissions proposant des modules pratiques. En ce sens, il s’agit d’un média citoyen. Présente sur Internet, cette webradio propose des émissions en direct et en podcast, téléchargeable sur www.radiocresus.fr.