Finance Watch: quelle évaluation de la directive «Crédit à la consommation»?

Finance Watch est une ONG active dans la sphère européenne qui produit des études et réalise un travail de plaidoyer. Elle a pour mission de contrebalancer le lobby des financiers et pèse sur les débats relatifs aux réformes de la réglementation financière. Pour Olivier Jérusalmy, chercheur senior auprès de Finance Watch, un des grands défis de la prochaine législature européenne sera de faire atterrir la réforme de la directive Crédit à la consommation, tout en tenant à l’œil la réglementation relative aux prêts non performants. Interview et analyse.

Adoptée en avril 2008, la directive européenne sur les contrats de crédit à la consommation a plus de dix ans de mise en œuvre derrière elle. Il était donc temps pour les institutions européennes d’en évaluer la mise en œuvre et la transposition dans les pays de l’Union européenne, afin, le cas échéant, de la réformer pour plus d’efficience. Mais quel était finalement l’objectif recherché lors de l’adoption de cette directive et quelles ambitions pourrait-on espérer d’une révision de celle-ci?

Olivier Jérusalmy, chercheur senior auprès de Finance Watch, resitue le contexte de cette directive et les étapes déjà parcourues pour l’évaluation de celle-ci: «Tout d’abord, il faut se souvenir qu’en 2008, le but de l’UE était surtout d’harmoniser les produits en matière de crédit à la consommation et les pratiques bancaires afin d’ouvrir ce marché à la concurrence. L’UE considère que le crédit à la consommation est un instrument indispensable pour le développement de l’économie: il faut donc qu’il soit le plus ouvert possible. Or c’est compter sans le fait que cette directive va être appliquée très diversement selon les États, certains prévoyant une protection forte du consommateur, d’autres beaucoup moins. Si la directive de 2008 visait à donner un certain degré de confiance aux consommateurs dans le marché du crédit, c’était pour permettre son expansion. Or aujourd’hui on se rend compte que la confiance des consommateurs n’est pas une notion suffisante pour le protéger, étant donné la présence sur le marché européen de produits crédit à coût élevé, dispensés selon des pratiques de prêt abusives, peu scrupuleuses et irresponsables, selon des termes et conditions complexes. Les pratiques reposant sur le big data ont émergé et le marché des données se sont radicalement transformées; il faudra donc tenir compte de tout cela lors de la révision de la directive Crédit à la consommation.»

Quelle évaluation?

C’est la DG Justice et Consommation qui a la charge d’évaluer la directive 2008/48/CE, mais il apparaît que les outils à sa disposition sont assez légers. Tout d’abord une consultation publique a été mise en œuvre, avec un questionnaire ouvert aux institutions, également aux particuliers, mais il semble que ce mode d’évaluation soit finalement assez peu scientifique car il n’y a pas d’échantillon vraiment représentatif et les réponses aux questions posées sont difficilement utilisables. Comme le précise le chercheur senior de Finance Watch, «lors de ce type de consultation publique, on sait que certains milieux ont la capacité de se mobiliser pour engranger des réponses allant dans une direction: c’est le cas de l’industrie financière».Par ailleurs, l’évaluation de la directive se basera sur une étude d’un bureau de consultance, dont les résultats seront plus fiables et scientifiques car s’appuyant sur des questions uniformes soumises à des parties prenantes choisies selon un échantillon représentatif: les conclusions de ce bureau devraient être disponibles fin de l’année. Enfin on peut se poser la question de l’évaluation des effets de la directive alors même que l’on ne dispose pas d’instruments harmonisés pour chiffrer et surveiller les taux de défaut en matière de crédit dans l’ensemble de l’UE . Un tel outil permettrait notamment de détecter les pratiques révélatrices de prédation dans le secteur du crédit, comme les prêts de type «payday loans» ou prêts à très court terme pour des taux exorbitants, en vigueur au Royaume-Uni, mais aussi les ouvertures de crédit utilisées à mauvais escient par des consommateurs non avertis du risque d’effet boule de neige de ces instruments financiers.

Cette dernière question relative à l’évaluation de la directive de 2008 rejoint les préoccupations inhérentes à un autre projet de directive qui semble aujourd’hui mis sous le boisseau et qui concerne les prêts non performants. Ce projet de texte portant sur les prêts toxiques prévoyait notamment la possibilité pour les sociétés de recouvrement des pays de l’UE d’exercer leur activité sur l’ensemble du territoire européen, sans pour autant que des garanties suffisantes soient demandées en matière de protection du consommateur. Comme le précise Olivier Jérusalmy, «même si ce projet semble aujourd’hui en sommeil, il faudra être attentif car il ressortira un jour ou l’autre du placard. Par ailleurs, les sociétés de recouvrement agissant déjà dans un cadre supranational, autant prévoir une régulation adéquate de ce type de pratiques à l’échelon européen».

Les orientations d’une révision

Sans doute faut-il resituer certains éléments du contexte actuel pour appréhender ce qui remet en cause l’efficacité de la réglementation actuelle du crédit à la consommation, à savoir la prétendue capacité du consommateur à exercer sa propre volonté.

Pour Olivier Jérusalmy, «on conscientise enfin aujourd’hui que la pression actuelle sur le consommateur, via les techniques de marketing améliorées, ainsi que l’utilisation d’Internet et du big data pour promouvoir les biens et services modifient et altèrent la capacité du consommateur à poser des choix rationnels. Il existe un tas de biais qui viennent altérer la décision du consommateur et le poussent à faire de mauvais choix. Sans compter le fait qu’il y a une pression sur les consommateurs pour consommer toujours plus et le fait aussi que l’on appréhende aujourd’hui des phénomènes de détresse financière, chez toute une série de catégories au sein de la population (jusqu’à la classe moyenne), qui mènent à l’utilisation du crédit à la consommation par ces personnes en déprivation matérielle».

Il est donc indispensable d’aborder la protection du consommateur selon un angle différent que sa capacité à faire des choix rationnels. Il s’agit d’encadrer l’octroi de crédit en protégeant le consommateur, et une des grandes victoires à engranger lors de cette révision serait de voir inscrite dans la nouvelle directive la notion de prévention du surendettement, avec tous les corollaires que cela implique pour limiter les dangers liés au crédit à la consommation. Pour Olivier Jérusalmy,«cet objectif, qui est un changement complet de paradigme, pourrait se traduire de différentes façons: en étendant la définition du crédit à la consommation aux crédits en dessous de 200 euros, qui font des ravages dans certains pays, en plafonnant les taux d’intérêt pour éliminer les crédits toxiques, en encadrant et contrôlant mieux les crédits octroyés par les organismes non bancaires qui créent des distorsions de concurrence, en réglementant davantage la publicité, en interdisant la vente de crédit non sollicitée et à domicile, ce qui pourrait inclure l’innovation de l’intelligence artificielle et du big data dans les pratiques de marketing. Autre grosse avancée qui pourrait être capitalisée, c’est l’adaptation de la notion d’évaluation de la capacité de remboursement, qui est beaucoup plus avancée dans la directive sur le crédit hypothécaire et qui devrait conduire davantage au refus de crédits quand la capacité de remboursement est manifestement trop faible».

Un des «dadas» du chercheur de Finance Watch réside également dans l’obligation faite aux prêteurs d’accompagner les emprunteurs dont ils repèrent les prémices d’une défaillance plus structurelle, comme c’est le cas en France, avec une détection précoce des problèmes d’endettement pour permettre le paiement de tous les créanciers, la fidélisation du client et,in fine, un moindre coût sociétal lié à l’évitement de tous les maux consécutifs à une situation d’endettement.

L’année 2020 serait probablement propice aux discussions relatives à cette réforme de la directive 2008/48/CE. À suivre donc.

Interview: Nathalie Cobbaut

Complément d’information

4.000 ans de réglementation crédit balayés

Dans un article réflexif intitulé «Qu’est-ce qui rend un crédit dangereux?» (voir le site de Finance Watch: www.finance-watch.org), Olivier Jérusalmy met en exergue les évolutions de la réglementation sur les 4.000 dernières années, depuis l’ère mésopotamienne où l’on trouve des textes datant de 2050 av. J.-C. qui abordent la question du crédit, mais également celle des niveaux d’intérêt, avec une interdiction de l’usure que l’on retrouve également envisagée dans les trois religions monothéistes. Une telle interdiction ressortit bel et bien à une volonté de protéger les particuliers, en raison de l’asymétrie entre les créanciers et les emprunteurs. Dans son analyse historique de la réglementation crédit, l’auteur analyse les évolutions, les facilités pour permettre au commerce de prospérer, mais tout en maintenant la protection pour ce qui est des emprunteurs vulnérables. Jusqu’à il y a peu, l’utilisation du crédit à des fins de consommation était considérée comme un signe de détresse économique. Ce n’est que récemment que la barrière a cédé, faisant l’impasse sur le danger du crédit à la consommation inhérent à sa nature: «le fait de permettre à un emprunteur de dépenser de l’argent qu’il ne possède pas, pour quelque chose qui n’est pas délibérément dédié à la création de valeur ou de revenu».D’où la nécessité de mettre l’accent sur la prévention du surendettement.