On le sait, ce n’est pas neuf, les personnes en difficultés financières attendent bien souvent longtemps, très longtemps, trop longtemps avant de s’adresser à un médiateur de dettes. Par négligence ou tiraillées par la honte liée au tabou de l’argent, elles réagissent tardivement après avoir laissé filer les événements, alors qu’une réaction rapide face aux accrocs financiers aurait peut-être permis d’enrayer le processus. Les médiateurs de dettes, et dans une moindre mesure les banquiers, se plaignent souvent de voir arriver leurs «clients» lorsque la situation est détériorée, que des mesures inappropriées ont été prises, comme le paiement d’une somme d’argent à un huissier de justice pour faire cesser les poursuites, la conclusion d’un contrat de crédit pour combler un déficit financier ou après qu’une saisie sur salaire a été mise en œuvre. Si d’aucuns ressentent cette urgence de demander de l’aide dès les premiers signes de débrayage financier, la plupart s’y prennent très tardivement et ressentent dès lors, une fois le pas franchi, le besoin d’être pris en charge rapidement, sans délai. Et c’est là que souvent le bât blesse.
Dans ce dossier:
un article sur l’urgence en médiation dettes, sur les saisies mobilières (ci-dessous), sur des solutions pour faire patienter les personnes surendettées en région bruxelloise, sur la manière d’accueillir le stress des personnes surendettées, sur l’urgence spécifique dans le monde agricole et sur la pression du fisc pour rembourses les dettes
Help! L’huissier est à ma porte!
Le sentiment d’oppression est généralement très présent chez les personnes en situation de surendettement lorsqu’elles reçoivent la visite de l’huissier de justice, pour la saisie de leurs biens. À ce moment naît dans leur chef, comme parfois dans celui du travailleur social de première ligne (qui les suit), une bouffée de stress et d’angoisse qui leur dicte d’agir vite. Et pourtant… Quelle est l’urgence en cas de saisie mobilière?
Pour un débiteur, la saisie mobilière est souvent l’élément déclencheur qui le pousse à solliciter un rendez-vous auprès d’un service de médiation de dettes. Il veut un rendez-vous dans l’heure et sa panique est à la hauteur de sa déception lorsqu’il apprend qu’il devra parfois patienter plusieurs semaines. Se pose dès lors la question de savoir si la saisie mobilière est objectivement une urgence et, dans l’affirmative, si les services de médiation de dettes devraient dégager des plages horaires pour examiner rapidement ce type de dossier.
En réalité, au stade de la saisie mobilière, peu de situations de surendettement nécessitent une intervention dans l’urgence. D’abord, parce que si l’huissier décide de recourir à la saisie mobilière, c’est qu’il n’a pas autre chose à se mettre sous la dent (revenus, immeubles,…) et sait déjà probablement qu’il ne récupérera pas grand-chose. Ensuite, parce que l’huissier a très rarement un intérêt économique à aller jusqu’à la vente des biens. La saisie mobilière s’apparente davantage à une démonstration de force destinée à impressionner le débiteur et à le forcer à proposer un plan d’apurement qu’à une véritable mesure d’exécution forcée. D’ailleurs, dans le secteur, on appelle les saisies mobilières, des saisies «pressions», dont l’objectif est moins de vendre les biens du débiteur saisi que d’obtenir de celui-ci des paiements partiels (acomptes). Enfin parce que, contrairement à ce qu’on pourrait croire, en cas de saisie-exécution mobilière, le rapport de force n’est pas nécessairement favorable à l’huissier. Une vente ne lui rapportera rien. Et il le sait. Dans cette perspective, il est quasiment certain que des acomptes, même peu importants sont pour lui toujours plus rentables que l’organisation d’une vente forcée (qu’il ne souhaite pas). Dès lors, sachant cela, c’est le débiteur qui peut imposer son rythme de remboursement et non l’inverse, même si tout est fait du côté de l’huissier pour faire penser le contraire.
Quand l’urgence n’est pas urgente
Cela étant, le fait que juridiquement une saisie mobilière ne nécessite pas de réponse urgente ne signifie pas qu’il ne faut pas rapidement fournir au débiteur les renseignements utiles lui permettant de relativiser ce qu’il considère comme une urgence. En effet, il importe que le débiteur puisse trouver rapidement et facilement les informations nécessaires sur les risques encourus et l’attitude à adopter. Sans ces renseignements, la réaction première des débiteurs confrontés à une saisie est souvent la pire: ils y répondent par des paiements partiels, sporadiques, non «budgétisés» et non rationnels au prix d’une aggravation de leur endettement. Ainsi, il est fréquent que le débiteur, sous la pression de l’huissier qui le menace de vendre ses biens, paie bon an, mal an, le mois où la saisie a lieu un montant très élevé (généralement celui souhaité par l’huissier), quitte à ne pas payer, ou ne payer que partiellement ce mois-là, le reste de ses charges. Comme il lui est impossible de tenir le rythme des remboursements imposés, dès le mois suivant, il ne rembourse rien, ce qui entraîne la signification d’un nouveau jour de vente et, rebelote, une pression maximale de l’huissier pour obtenir des paiements importants en vue de stopper la vente. Le cercle vicieux s’enclenche: les paiements partiels qui interviennent une fois de temps en temps déséquilibrent tout le budget et sont économiquement inutiles puisqu’ils couvrent à peine (si pas) les coûts de signification des jours de vente, qui se succèdent au gré des mensualités non payées.
Paradoxalement, l’urgence en cas de saisie-exécution mobilière réside dans le fait qu’il faut faire comprendre au débiteur qu’il n’y a pas d’urgence, qu’il ne doit pas agir dans la précipitation et qu’au contraire la seule réponse tenable est celle qui résultera d’un examen approfondi de son dossier et de son endettement. Or ces informations utiles, si elles peuvent être fournies par un service de médiation de dettes, peuvent également l’être par des travailleurs sociaux de première ligne, sensibilisés à la question, ou par des associations spécialisées, ou encore via la formation et l’information des publics les plus précarisés (ateliers consom’acteurs, par exemple).
Faire cesser les dérives
De manière générale, il serait souhaitable également que le législateur s’empare du problème des saisies «pressions» afin d’y remettre de l’ordre. S’il est légitime que le créancier tente de récupérer son dû, cette récupération doit se faire dans le respect d’une certaine justice sociale et avec modération. Certaines études d’huissiers de justice semblent l’oublier et exercent sur des personnes qui ne disposent pourtant d’aucun actif raisonnablement réalisable des contraintes telles que les plans de paiement arrachés se font au préjudice du plus essentiel (se loger, se nourrir et se soigner). Les mêmes études font de la saisie mobilière un véritable «business», multipliant, quasi à l’infini, les frais de signification. Dans certains dossiers, on peut voir jusqu’à la fixation de dix jours de vente, dont la signification intervient quasi automatiquement, chaque fois que le débiteur est en défaut de payer une mensualité, voire plus grave encore, chaque fois qu’il paie avec quelques jours de retard par rapport à la date convenue. Sans parler de ces études qui «inventent» littéralement des postes de dépenses qui ne sont pas prévus par l’arrêté royal de 1976 fixant les tarifs des actes accomplis par les huissiers de justice en matière civile et commerciale. Fleurissent ainsi dans les décomptes envoyés des frais pour des postes de correspondance (4 à 7 fois), de téléphonie (6 fois), de mainlevée (jusqu’à 3 fois dans un seul décompte), des frais de déclaration de vente (alors qu’il n’y a pas eu vente)[1]…
Une autre pratique – érigée au rang de «bonne pratique» par la Chambre nationale des huissiers de justice et la doctrine – consiste à permettre au débiteur en cas de vente imminente de ses biens de procéder à un paiement substantiel afin de stopper celle-ci. Le paiement qui intervient est qualifié d’amiable et ne doit pas faire l’objet d’une répartition par contribution entre les créanciers; les biens restent cependant saisis puisque le paiement n’est que partiel. Cette pratique encouragée a des effets très pervers: elle pousse les huissiers à procéder à l’enlèvement des meubles (en mettant ainsi une pression maximale sur le débiteur) tout en lui proposant de stopper la vente moyennant un paiement important. Le débiteur «rachète» bien cher des meubles qui, la plupart du temps, ne valent rien et qui restent saisis. S’est ainsi présentée, à plusieurs reprises, la situation où le débiteur bénéficiant d’allocations de CPAS se voit «contraint» de payer 600 € pour «récupérer» des meubles dont l’enlèvement avait donné lieu à un P-V d’huissier pour un montant de 600 €…
Pour mettre fin à ces abus, le législateur devrait prendre au moins deux mesures simples mais efficaces:
- obliger, sous peine de sanction, l’huissier de justice à établir un P-V de carence lorsqu’il constate que les biens meubles saisissables n’ont aucune valeur marchande;
- obliger l’huissier qui perçoit des acomptes dans le cadre d’une procédure de saisie-exécution mobilière de les répartir entre tous les créanciers en concours. Cela évitera la multiplication des saisies mobilières (et donc de leurs coûts) et la tentation de certaines études de recourir à des méthodes agressives et indignes afin d’obtenir le plus de paiements possible qui ne bénéficient qu’à elles et à leur client.
En attendant, la seule arme à la disposition des débiteurs pour contrer les méthodes agressives, voire illégales, reste l’information, sur leurs droits et sur les risques qu’ils encourent réellement.
Sylvie Moreau,
juriste au Centre d’appui aux services de médiation de dettes bruxellois
[1] Pour ce qui est des «déclarations de vente» vis-à-vis de l’administration des contributions directes et de l’administration de la TVA, il existe une tolérance permettant de procéder à la déclaration de la vente postérieurement à celle-ci, bien que légalement cette déclaration soit requise antérieurement. Vis-à-vis des organismes de sécurité sociale, les dispositions légales applicables instaurent spécifiquement une déclaration postérieure. L’intérêt de ce mécanisme déclaratif «post-vente judiciaire» est précisément d’éviter des frais inutiles dans l’éventualité où il ne serait finalement pas procédé à ladite vente.