Qui sème le vent…
C’est en décembre 2012 que le Centre d’appui aux services de médiation de dettes en Région de Bruxelles-Capitale (Centre d’appui) lançait un pavé dans la mare à propos des activités commerciales des huissiers de justice et de l’existence de violations persistantes de la loi sur le recouvrement amiable du 20 décembre 2002. Une action de lobbying qui porte aujourd’hui certains fruits.
Ce n’est pas la première fois que l’on aborde dans les Échos du crédit cette question du recouvrement amiable et des difficultés que celle-ci suscite dans sa mise en oeuvre par les huissiers de justice. Si, pour bien des observateurs, il ressortait des travaux préparatoires relatifs à la loi du 20 décembre 2002 que celle-ci visait non seulement les sociétés de recouvrement, mais également les huissiers de justice qui se livraient à cette activité, il a pourtant fallu une loi supplémentaire (la loi de relance économique du 27 mars 2009) pour mettre les points sur les i des huissiers qui entendaient entre autres appliquer leurs tarifs et honoraires propres aux barèmes des huissiers dans le cadre du recouvrement judiciaire, effectué en leur qualité d’officiers ministériels. Des circulaires de la Chambre nationale des huissiers de justice ont été émises à plusieurs reprises pour rappeler à l’ordre les récalcitrants. Malgré ces efforts de clarification, le Centre d’appui continuait d’être interpellé par des services de médiation de dettes et d’autres observateurs selon lesquels la loi sur le recouvrement amiable n’était toujours pas respectée par certains huissiers.
C’est pourquoi le Centre d’appui a décidé de mener une enquête auprès de dix services de médiation de dettes bruxellois afin de recueillir des informations sur d’éventuels dossiers problématiques. Et malheureusement la pêche a été bonne : selon Anne Defossez, directrice du Centre, « on constate des pratiques récurrentes dans le chef de certains huissiers qui sont en contravention avec les dispositions qui s’appliquent à cette profession: les mises en demeure prévues par la loi du 20 décembre 2002 ne respectent pas les prescrits de la loi, notamment en ce qui concerne la mention des coordonnées du créancier permettant ainsi au débiteur défaillant de pouvoir contacter ce créancier originaire. Autre problème : l’absence de mention qu’il s’agit d’un recouvrement amiable et non judiciaire. La teneur des courriers est dans certains cas problématique car elle induit le consommateur en erreur ou comprend des menaces ou encore des informations erronées sur les conséquences du défaut de paiement. Certains huissiers ne justifient pas les montants qu’ils réclament aux débiteurs ou les justifient de manière erronée et lorsqu’ils sont sollicités par des médiateurs de dettes pour donner des explications sur les décomptes, ils ne répondent pas à leurs sollicitations. Un autre problème relatif aux décomptes découle du fait que la loi impose à l’opérateur du recouvrement de la créance de contrôler la légalité de celle-ci et la régularité des montants réclamés. Or ce n’est pas forcément le cas et, dans certains dossiers, on s’est rendu compte que l’huissier instrumentant n’avait même pas en sa possession la copie des factures dont il réclame les montants. »
Des moyens détournés pour conserver des marges
Jusqu’en 2009, année de modification de la loi sur le recouvrement amiable, certains huissiers réclamaient des frais liés à leur intervention, comme des droits d’acompte, de sommation, de recette, des frais de renseignement, de dossier et de débours. Des honoraires et frais propres au recouvrement judiciaire, indûment transposés dans cette matière du recouvrement amiable. Après la modification de la loi de 2002 clarifiant sa portée et son champ d’application intuitu personae, le Centre d’appui a pu constater l’arrêt de ces pratiques… Mais il a eu la désagréable surprise de voir apparaître de nouveaux comportements ayant pour but de permettre aux huissiers de conserver une rémunération substantielle pour la pratique de leur activité de recouvrement amiable.
En effet, comme le souligne Anne Defossez, « c’est à cette époque que l’on a vu apparaître des modifications dans les conditions générales des contrats de certains créanciers. Puisque les opérateurs en recouvrement de créances ne peuvent, en vertu de la loi, réclamer au débiteur que les montants convenus dans le contrat (soit la clause pénale, les intérêts conventionnels et les frais de rappel et de mise en demeure), des créanciers ont modifié leurs conditions générales (à l’instigation de certains huissiers ?, NDLR) pour y inscrire, par exemple, des clauses pénales comme celles-ci : ʻEn cas de retard de paiement, l’Institut se réserve le droit sans mise en demeure de majorer le montant de la facture de 10% avec un minimum de 25 euros. Un intérêt de 7% l’an sera calculé à compter de la date de la facture, tant sur le principal que sur les frais de recouvrement. Tous les frais de recouvrement sont à charge du débiteur défaillant.ʼ. Autre clause rencontrée dans les contrats :ʻEn cas de non paiement, le dossier sera transmis à l’huissier pour recouvrement. Tous les frais liés au recouvrement seront portés en compte à l’usagerʼ. Dans la plupart des cas, ces conditions générales ne sont même pas opposables au consommateur qui n’en a pas été informé et qui n’a pu les accepter avant de recevoir la facture. Par ailleurs, elles sont bien souvent contraires au Code civil, à la loi sur les pratiques de marché et la protection du consommateur du 6 avril 2010 ou encore la loi sur le crédit à la consommation, comme étant des clauses abusives, nulles de plein droit, notamment en raison de leur caractère disproportionné. Le problème réside dans le fait que pour faire valoir ce point de vue, le consommateur devrait se pourvoir en justice pour réclamer l’annulation ou la réduction de ces majorations, ce qu’il ne fera pas évidemment, vu le coût de ce type de procédure. »
Autre pratique très discutable : le « No cure, no pay » inséré dans certains appels d’offres de créanciers qui prévoient un pourcentage à atteindre dans le chef du mandataire (huissier ou bureau de recouvrement) au-delà duquel ce dernier empoche la différence. « Ce qui pose notamment problème », selon Anne Defossez, « ce sont les package « recouvrement amiable et judiciaire » selon ce principe, car les huissiers qui ne sont pas des agents commerciaux en phase judiciaire ne peuvent être intéressés dans le recouvrement. C’est rigoureusement interdit. »
Renforcer le contrôle sur les huissiers et chiffrer les montants réclamés
Dans son rapport d’enquête, le Centre d’appui émettait certaines recommandations, comme le renforcement des contrôles et des sanctions applicables aux huissiers. Plusieurs pistes étaient envisagées, dont la mise en place d’un contrôle indépendant exercé par le SPF Économie qui existe déjà à l’égard des sociétés de recouvrement, en soumettant tous les acteurs. Selon le Centre d’appui, il suffirait de supprimer l’article 2 §2 de la loi sur le recouvrement amiable afin que les articles 4, 8 à 13 et 16 de la loi s’appliquent à toutes les personnes engagées dans le cadre d’un recouvrement amiable. Une solution qui semble ne pas agréer du tout aux huissiers (voir interview page suivante). À défaut, le Centre d’appui proposait de mettre en place une instance de médiation externe à la profession d’huissier et indépendante qui réglerait les litiges entre consommateurs et huissiers de justice. Il proposait aussi de renforcer les règles du droit disciplinaire prévues à l’article 531 du Code judiciaire afin de permettre aux chambres d’arrondissements des huissiers de justice de sanctionner efficacement les pratiques abusives de ses membres.
Sans doute le lobbying du Centre d’appui auprès des médias, des parlementaires et de la ministre de la Justice a-t-il porté ses fruits car, depuis la publication de cette enquête, une proposition de loi signée par Christine Defraigne, Jacques Brotchi et Gérard Deprez (MR) a été déposée au Sénat en mars dernier reprenant, parmi d’autres mesures, cette solution de soumettre les huissiers, les avocats ou tout autre mandataire de justice au contrôle du SPF Économie pour ce qui est du recouvrement amiable1. Les huissiers de justice ont-ils été consultés à cet égard par la ministre de la Justice Turtelboom ? Toujours est-il que c’est un avant-projet de loi qui est maintenant en deuxième lecture sur la table du Conseil des ministres et qui met en place, selon le communiqué de presse de la ministre, un système disciplinaire moderne. Le projet de loi prévoit une nouvelle procédure disciplinaire qui ne relève plus de la compétence des chambres d’arrondissement de la Chambre nationale des huissiers de justcie, mais bien de la cour d’appel. La Commission disciplinaire ainsi créée sera plus obejctive, incluant d’autres professions que les huissiers (magistrat, membre externe ayant une expérience professionnelle pertinente, tel un universitaire) et des huissiers travaillant dans un autre arrondissement de celui du huissier qui doit comparaître. Une procédure disciplinaire ext fixée, tout comme le renvoi du dossier devant le tribunal de première instance en cas de faute lourde et une possibilité de recours devant la Cour d’appel. Les sanctions sont également modalisées pour être effectives prévoyant des amendes assez lourdes et une possibilité de suspension préventive pendant la procédure.
Afin de lutter contre les clauses pénales abusives, le Centre d’appui recommandait également de chiffrer les montants qui peuvent être réclamés au consommateur en cas de défaut de paiement, tout comme c’est le cas pour la matière des crédits à la consommation. Une solution qui aurait l’avantage de clore les risques de dérapage à cet égard.
N.Co.
Un marché juteux
Le marché belge du recouvrement amiable de créances représente plus de 5 millions de créances par an restées impayées par le consommateur à l’échéance. De plus en plus souvent, des sociétés publiques ou privées, comme les sociétés de télécoms, les assurances, les sociétés de distribution d’eau et d’énergie, les hôpitaux, les banques, les entreprises de vente par correspondance, etc, font appel à des bureaux de recouvrement, mais aussi à des huissiers ou des avocats pour assurer le recouvrement de ces créances en dehors de toute procédure judiciaire. Selon l’association des bureaux de recouvrement (www.abrbvi.be), la part de recouvrement assurée par les huissiers de justice serait passée de 15-20% à plus de 50% depuis 2006, générant des marges brutes susbstantielles (de plusieurs millions d’euros) dans les comptes annuels de certaines études de huissiers, qui se seraient constituées en véritables entreprises, employant un personnel nombreux (parfois plus de 100 personnes).
À signaler
La fiche technique n°11 du Centre de référence en médiation de dettes de Namur, Medenam, sur le recouvrement amiable et judiciaire et les décomptes des huissiers de justice. Cette fiche passe en revue la réglementation et les conditions d’exercice du recouvrement amiable et judiciaire. Par ailleurs elle traite aussi de la vérification des décomptes réclamés aux consommateurs par les créanciers ou leurs mandataires, que ce soit au stade amiable ou judiciaire. Exemple à l’appui. A télécharger sur le site de Medenam : http://www.medenam.be/index.php?option=com_docman&Itemid=60
1 | Document législatif n° 5-2003/1 |