Le cinéma peut être comique ou dramatique, d’action, historique, d’aventure, de science-fiction, fantastique ou d’horreur. Le cinéma est multigenre et les films s’affichent sur grands et petits écrans, traverse les frontières et les continents, se partage, divise ou rassemble, divertit, explore, appelle, témoigne, cristallise nos émotions, nos peurs ou nos sentiments… Il est souvent le témoin culturel de nos sociétés et parfois il peut être porteur de sens et de réflexion. Parmi les sujets innombrables dont le cinéma se fait l’écho, la thématique du surendettement est également présente. Au travers de quelques films, petit panorama sur la manière dont le septième art l’aborde.
Une vie meilleure, drame réalisé en 2011 par Cédric Kahn avec Guillaume Canet, Leïla Bekhti et Slimane Khettabi.
Le pitch Yann (Guillaume Canet) est un jeune cuisinier qui rêve d’ouvrir un restaurant. En recherche d’un emploi mieux rémunéré que celui qu’il occupe dans une cantine, il rencontre par hasard Nadia (Leïla Bekhti) qui élève seule son fils, Slimane. De cette rencontre amoureuse va naître le désir de se lancer dans l’aventure et de matérialiser le rêve de Yann, ouvrir son propre restaurant. C’est à l’occasion d’une balade dominicale en forêt que Yann matérialise son rêve en découvrant un grand local désaffecté qu’il voit déjà comme le restaurant incontournable où tous les clients se presseront à la porte. Le couple se tourne vers la banque pour obtenir un prêt afin de financer les travaux. Seulement voilà, les travaux vont se révéler plus coûteux que prévu initialement et Yann et Nadia doivent emprunter plus. Devant le refus de leur banque de s’engager davantage, le couple de jeunes entrepreneurs va se lancer dans la spirale infernale des crédits revolving et des prêteurs sans scrupules.
Dans une interview donnée dans les Inrocks du 8 janvier 2012, Cédric Kahn explique qu’à travers ce film, il a «voulu tirer le portrait d’une société qui ne propose pour modèle que la réussite individuelle et les conséquences de la crise économique qui a frappé la France et l’Europe en général». Ce film raconte comment l’esprit d’entreprise de ce jeune couple, son enthousiasme et sa croyance en un bel avenir vont se heurter aux réalités de notre modèle économique. Le film s’inscrit ici dans la veine du cinéma social mais sans apitoiement ni victimisation. La beauté de ce film réside principalement dans la force et le courage avec lesquels ce jeune couple va se battre pour faire face à la situation et retrouver sa dignité et sa liberté.
Cédric Kahn insiste sur l’ambiguïté morale de son film: «Au premier degré, ce sont des pauvres victimes du système mais ils enfreignent la loi pour s’en sortir. Ce que vit le personnage est comparable à la désobéissance civile. Je ne fonctionne pas en jugeant mes personnages, j’essaie plutôt de me mettre à leur place et de me demander ce que je ferais dans leur situation. Ils sont tellement dans l’action qu’ils sont eux-mêmes un peu auteurs de leur surendettement. Je voulais éviter le côté méchants banquiers contre gentils smicards. J’essaie de montrer un système qui génère des tentations, et l’interaction de toutes ces tentations qui finissent par créer le problème. C’est un film sans gentils et méchants au sens caricatural.»
«Le thème central d’Une vie meilleure n’est pas le surendettement, affirme Cédric Kahn, c’est la destinée. Comment on fait ses choix de vie, qu’est-ce que l’on accepte ou pas de sa condition? Est-ce que l’on sacrifie sa famille à son ambition? Est-ce que l’on reste dans la légalité? Et puis il y a la quête de liberté. Je crois profondément que l’on fait des films comme on est. Le regard du film sur les personnages, c’est le regard que j’ai dans la vie sur ces gens. Et dans la vie, je ne suis pas du genre compassionnel. Je n’ai pas un regard de pitié pour les pauvres ni un regard d’envie sur les riches.»
Louise Wimmer, film dramatique français écrit et réalisé par Cyril Mennegun, sorti en salle en janvier 2012 avec comme actrice principale Corinne Masiero. Ce film a été multiprimé et multirécompensé.
Le pitch Après un divorce douloureux, Louise Wimmer (Corinne Masiero) a presque 50 ans et se retrouve dans l’obligation de vivre dans sa voiture, écrasée par les dettes et les menaces de saisie, elle se bat au quotidien, travaille comme femme de ménage et a pour seul but de retrouver un appartement dans le cadre d’un logement social, symbole d’un nouveau départ.
Tout le film suit cette femme accompagnée en fond sonore de Nina Simone et de son prodigieux Sinner Man, dans l’habitacle confiné de sa voiture, seul espace de vie privée, symbole à la fois de sa volonté de liberté et de l’emprisonnement de sa situation. Par ce film, Cyril Mennegun signe son premier long métrage sous forme d’un drame qui s’inscrit lui aussi dans la veine du cinéma social. Film brillant et poignant, témoin d’une destinée fragilisée, à la limite de la rupture, il a cette incroyable force et noblesse de nous montrer une femme à la fois forte et fragile, qui vacille mais ne tombe jamais, qui refuse les mains tendues par volonté de rester digne, par pudeur de ne pas avouer, de ne pas se montrer. Rien de misérabiliste! Ici aussi, on retrouve la dignité du combat et la force de cette lutte au quotidien. Cette trajectoire de femme qui part à la dérive et qui lutte se fait l’écho des histoires de Rosetta des frères Dardenne ou de Wanda incarnée par Barbara Loden. Cyril Mennegun fait un film juste sur la «France d’en bas» qui a été touchée de plein fouet par la crise économique, montrant la force et la présence de la solidarité et de la bienveillance des petites gens entre eux pour faire face aux épreuves de la vie.
Également dans le cadre d’une interview donnée aux Inrocks, Cyril Mennegun nous explique que «le propos du film n’est pas de casser le moral mais de remplir d’énergie. Des gens me disent: “Ça donne envie de se bagarrer.” C’est génial… Le film ne leur dit pas: “La vie est moche et on va tous se mettre une balle.”» «C’est un film engagé sans l’être. Il l’est par lui-même, par son sujet, par son mode de fabrication, mais sans donner de leçons, sans porter de message. (…) Je voulais créer une héroïne de cinéma, mais pas sur un terreau glamour.» Pour le réalisateur, «le cinéma ne change pas le monde mais il peut déplacer le regard». Et il ne se pose pas la question de savoir si le cinéma peut changer le monde, plutôt celle de savoir si ça vaut le coup de faire du cinéma en imaginant que ça puisse changer les choses.
Toutes nos envies, drame français de Philippe Lioret avec Vincent Lindon, Marie Gillain et Amandine Dewasmes. Le film s’inspire librement du roman D’autres vies que la mienne d’Emmanuel Carrère.
Le Pitch Le film se déroule à Lyon où Claire (Marie Gillain) est une jeune juge d’instance confrontée aux personnes en situation de surendettement. À l’occasion d’un procès, elle va se trouver face à face avec une maman d’un ami de classe de ses enfants et sera particulièrement touchée par sa situation. À partir de cet instant, Claire vatout tenter pour aider cette jeune femme. À l’occasion du combat qu’elle entend mener contre une jurisprudence en faveur des institutions de crédit, elle va rencontrer Stéphane (Vincent Lindon), son aîné, juge chevronné mais désabusé. De cette rencontre va naître un vrai combat juridique contre les sociétés de crédit. Cependant, Claire apprend qu’elle est atteinte d’une tumeur au cerveau inopérable et qu’il lui reste peu de temps à vivre.
Le surendettement, les pratiques douteuses en matière de crédit à la consommation, le recours aux publicités abusives qui vantent le crédit «gratuit» forment la toile de fond de ce film et le prétexte aux rencontres qui vont se nouer. Le réalisateur a eu l’idée du titre de son film après avoir reçu un prospectus d’une société de crédit invitant le consommateur à «céder à toutes ses envies». Au prélude au combat que vont mener les deux protagonistes principaux, Stéphane, juge désabusé aura cette phrase riche de sens «le crédit, c’est la consommation, la consommation, c’est le système et le système, on touche pas» marquant l’importance économique que revêt le crédit à la consommation dans notre société. Le film (et avant cela, le livre d’Emmanuel Carrère, lire p.16) rend hommage au combat mené par Etienne Rigal, un magistrat de l’Isère surnommé «le juge rouge» par les organismes de crédit, en raison de son acharnement à défendre les personnes en situation de surendettement avec l’aide de sa jeune collègue Juliette. Ensemble, ils vont jusqu’à saisir la Cour de justice des Communautés européennes par le biais d’une question préjudicielle en vue d’insuffler un nouveau courant jurisprudentiel dans les affaires du crédit à la consommation et de surendettement. Ils se basent sur la théorie de la concurrence déloyale entre les entreprises de crédit et donc de l’entrave portée au fonctionnement correct du marché suite au non-respect par certains des mentions obligatoires dans les contrats de crédit à la consommation pour justifier qu’un juge puisse relever d’office de telles irrégularités dans les contrats dans l’intérêt du marché. Ils obtiennent gain de cause. De cette victoire naîtra la possibilité pour le juge d’instance de soulever d’office toute irrégularité dans les contrats de crédit à la consommation, et de faire valoir d’office les droits de la personne surendettée sans qu’elle ne doive, elle-même, en faire la démarche. Phlippe Lioret «a voulu par ce film toucher le public sur la problématique du surendettement, créer une prise de conscience mais sans jamais poser un geste politique»; il rappelle «qu’il s’agit d’un film, rien de plus».
Fargo, film américano-britannique réalisé par Joel Coen, sorti en 1996. C’est le sixième film des frères Coen qui a lui aussi été salué par de nombreux prix.
Le pitch L’histoire se situe pendant l’hiver 1987. Jerry Lundegaard (William H. Macy) est directeur commercial dans une concession automobile de Minneapolis. Ce dernier est écrasé par les dettes à la suite de combines de toutes sortes et de toutes natures qui l’enfoncent inexorablement dans un surendettement qu’il tait à sa famille. Seulement voilà, la réalité le rattrape et l’exigence de solder ses dettes ne lui laisse plus aucun répit. Pour sortir de cette spirale, ce dernier ne trouve rien de mieux que de faire kidnapper son épouse afin d’obtenir le prix de la rançon versée par son richissime et méprisant beau-père afin d’avoir les moyens d’effacer ses innombrables ardoises. Il échafaude le plan du kidnapping avec deux escrocs notoires sans foi ni loi. Croyant en la force de son destin et dans l’ingéniosité de son plan crapuleux, Jerry va se retrouver dans une situation qui sera à l’opposé de ce qu’il avait prévu.
Fargo et les frères Cohen manient ici avec délice et virtuosité le thème du surendettement en l’abordant sous les traits d’un homme malhonnête, cupide, dépassé par les événements et prêt à tout. Nous ne sommes plus dans la veine du cinéma social mais bien davantage dans un film noir, dramatique où les héros n’en sont pas et où la décadence du principal protagoniste n’est qu’un accélérateur de la spirale dans laquelle il s’enferme. Fargo est teinté d’humour noir, voir macabre mais complétement décalé afin d’opérer un subtil mélange de moments d’horreur, de bêtise, d’amateurisme, de décadence de Jerry et de sa fine troupe de kidnappeurs avec des phases de bonheur, de douceur et de douce banalité incarnés par le couple formé par le shérif de Brainherd (Frances McDormand) et son mari. La toile de fond du surendettement est l’occasion pour les frères Cohen de montrer un aspect décadent des conséquences de cette spirale dans laquelle le personnage s’enlise sans jamais vraiment pouvoir en sortir. Les frères réalisateurs ont voulu jouer sur un prétendu caractère réel de ce drame en faisant croire aux spectateurs que le film se basait sur des événements véridiques, mais en réalité il n’en est rien. Pour les amateurs du genre!
Stéphanie Etienne
La liste est longue
Autres films traitant du sujet du surendettement:
Roses à crédit, téléfilm français réalisé par Amos Gitaï. adaptation du roman d’Elsa Triolet montrant comment la jeune Marjoline va progressivement se couvrir de dettes en concluant crédit sur crédit pour meubler son appartement, s’engouffrant dans un désir obsessionnel de consommation.
99 homes, film américain de Ramin Bahrani qui traite de la problématique des saisies de maisons suite à l’incapacité des emprunteurs à faire face aux remboursement excessifs des crédits consécutivement à l’augmentation vertigineuse des taux d’intérêts pendant la crise des subprimes aux États-Unis. Film sans concession qui montre comment un père expulsé va devoir pactiser avec le diable et expulser à son tour pour garder sa maison.
Raining stones, comédie dramatique de Ken Loach qui dépeint la précarité de la société anglaise à l’époque des années Thatcher. Il montre la violence de cette société capitaliste et libérale qui conduit les plus pauvres dans la spirale de l’endettement. Bob accumule plein de petits boulots pour faire face à sa situation précaire mais il tient par-dessus tout à acheter une robe de communion neuve pour sa fille pour ne pas perdre la face devant le voisinage. Dans ce combat pour la dignité, il va s’endetter et se confronter à des hommes sans scrupules qui rachètent les dettes pour obtenir remboursement avec intérêts et usage de la violence.