La partie qui forme appel contre une décision rendue dans le cadre d’une procédure de règlement collectif de dettes doit mettre toutes les parties à la cause devant le juge d’appel dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision attaquée. Cette obligation n’est ni inconstitutionnelle ni contraire à la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Si un litige est indivisible, l’appelant doit, sous peine d’irrecevabilité de l’appel, mettre à la cause les parties qui n’auraient pas un intérêt opposé au sien non seulement avant la clôture des débats mais aussi dans les délais ordinaires de l’appel (article 1053 du Code judiciaire). En particulier, s’agissant d’une procédure de règlement collectif de dettes, si on considère celle-ci comme un litige indivisible, l’appelant doit mettre à la cause toutes les parties dans le mois qui suit la notification de la décision critiquée par le greffe du tribunal du travail (article 1675/16 du Code judiciaire).
Par contre, lorsque tel n’est pas le cas, l’appelant peut mettre ces parties à la cause jusqu’à la clôture des débats devant le juge d’appel (article 812 du Code judiciaire). Un traitement différent est donc réservé à l’appelant selon que la décision qu’il critique statue ou non sur un litige indivisible.
La cour du travail de Bruxelles avait posé une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle car elle se demandait si cette différence de traitement ne violait pas les articles 10 et 11 de la Constitution qui consacre l’égalité des Belges devant la loi et si elle ne portait pas atteinte de manière disproportionnée au droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La Cour prenait en considération le but de l’article 1053 du Code judiciaire et l’hypothèse où le fait de mettre une partie à la cause après l’écoulement du délai d’appel ne lui causait pas préjudice et où l’objectif poursuivi par l’obligation de mise à la cause de toutes les parties était atteint.
En effet, dans un litige indivisible, il importe d’éviter que le juge d’appel ne statue à l’égard de l’appelant et des parties contre lesquelles il a dirigé son appel dans un sens contradictoire à la décision prononcée par le premier juge, décision dont pourraient se prévaloir les parties non mises à la cause en degré d’appel ou qui pourrait leur être opposée. Il en résulterait que, concrètement, les deux décisions ne pourraient être exécutées de manière conjointe.
Pour la cour du travail, il ne serait éventuellement pas nécessaire d’imposer que toutes les parties soient mises à la cause avant l’échéance du délai d’appel pour empêcher que cette situation ne se produise, pour autant que la mise à la cause intervienne avant la clôture des débats. Par contre, le fait de devoir considérer un appel comme étant irrecevable au motif que, le litige étant indivisible, toutes les parties n’ont pas été mises à la cause avant l’écoulement du délai d’appel pourrait priver l’appelant de son « droit d’obtenir le réexamen contradictoire de la décision du premier juge ».
Il en était particulièrement ainsi du cas dont la cour du travail était saisie. En effet, le tribunal du travail (premier juge) avait imposé une remise totale de dettes pour la partie des dettes déclarées qui excédait la petite somme qui avait pu être affectée au remboursement des créanciers. Cette mesure avait été sollicitée par le médiateur de dettes mais n’avait pas formellement fait l’objet d’une demande des requérants comme le prévoit le Code judiciaire. L’appelant n’avait pas eu l’occasion de faire valoir ses arguments contre cette remise qu’il critiquait.
La Cour constitutionnelle répond négativement à la question préjudicielle et conclut à l’absence de discrimination inconstitutionnelle ou contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Elle justifie sa décision de la manière suivante :
– « La différence de traitement entre certaines catégories de personnes qui découle de l’application de règles procédurales différentes dans des circonstances différentes n’est pas discriminatoire en soi. Il ne serait question de discrimination que si la différence de traitement qui découle de l’application de ces règles de procédure entraînait une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées. »
– « Le droit d’accès au juge, qui constitue un aspect du droit à un procès équitable, peut être soumis à des conditions de recevabilité, notamment en ce qui concerne l’introduction d’une voie de recours. Ces conditions ne peuvent cependant aboutir à restreindre le droit de manière telle que celui-ci s’en trouve atteint dans sa substance même. Tel serait le cas si les restrictions imposées ne tendaient pas vers un but légitime et s’il n’existait pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. »
– « La compatibilité de ces limitations avec le droit d’accès à un tribunal dépend des particularités de la procédure en cause et s’apprécie au regard de l’ensemble du procès (CEDH, 24 février 2009, L’Érablière c. Belgique, § 36; 29 mars 2011, RTBF c. Belgique, § 69).
– « De surcroît, “les tribunaux doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter à la fois un excès de formalisme qui porterait atteinte à l’équité de la procédure, et une souplesse excessive qui aboutirait à supprimer les conditions de procédure établies par la loi” (CEDH, 26 juillet 2007, Walchi c. France, § 29; 25 mai 2004, Kadlec et autres c. République tchèque, § 26). “En effet, le droit d’accès à un tribunal se trouve atteint lorsque sa réglementation cesse de servir les buts de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice, et constitue une sorte de barrière qui empêche le justiciable de voir son litige tranché au fond par la juridiction compétente” (CEDH, 24 mai 2011, Sabri Gunes c. Turquie, § 58; 13 janvier 2011, Evaggelou c. Grèce, § 19). »
– « L’obligation de mettre à la cause, dans le délai d’appel, les parties non appelantes ou intimées dont l’intérêt n’est pas opposé à celui de l’appelant est justifiée par un souci de simplification des règles de procédure. » Il s’agit de la justification reprise dans les travaux préparatoires du Code judiciaire.
– « En veillant à édicter des règles de procédure simples et dont le respect peut être aisément vérifié par les juridictions, le législateur poursuit un objectif légitime. »
– En l’espèce, il n’était pas difficile pour l’appelant de respecter le délai d’appel pour mettre toutes les parties à la cause étant donné qu’ils connaissaient ces parties, qu’il était représenté par un avocat et que ce délai (un mois) n’était pas à ce point court qu’il lui aurait été exagérément difficile ou impossible de former ce recours.
– Par ailleurs, l’appelant ne peut tirer parti du fait que la notification des décisions en matière de règlement collectif de dettes ne doive pas reprendre les informations relatives aux délais et aux modalités de recours qu’elle doit reprendre lorsqu’il s’agit d’un litige mettant en cause des assurés sociaux ou concernant la déchéance de l’autorité parentale et le placement d’un enfant mineur en vue de son adoption.
En effet, dans le premier cas, la Cour constitutionnelle a déjà jugé que cette différence était justifiée par la nature du contentieux relatif au règlement collectif et n’entraînait pas une limitation disproportionnée des droits des parties impliquées dans cette procédure.
Dans le second cas, les procédures ne sont pas comparables, le règlement collectif étant « un contentieux de nature purement patrimoniale ».
La Cour constitutionnelle en déduit donc qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le but poursuivi, à savoir la simplification des règles de procédure, et le moyen utilisé pour l’atteindre, à savoir l’obligation de mettre toutes les parties à la cause dans le délai d’appel.
Télécharger le PDF Cour constitutionnelle, 16 janvier 2014, n°4/2014.