Julie, prénom d’emprunt[1], est contactée par un créancier pour un prêt qu’elle ne rembourserait pas correctement. Ce contrat de prêt est lié à l’achat d’une voiture. Or, Julie nous contacte, car elle dit ne pas avoir signé ce prêt ni acheté de voiture. Le prêteur réclame le paiement d’un contrat de crédit à la consommation (prêt à tempérament) qui aurait été conclu avec Julie, le 2 février 2018, pour un montant de 30.780 € en vue de l’achat d’une voiture Hyundai I40. Relancée à plusieurs reprises, ce que conteste Julie, elle n’aurait pas réagi et le créancier souhaite désormais mettre en place une cession de rémunération. Dos au mur, elle se tourne vers le CPAS de sa commune. Elle se demande si une aide extérieure est possible alors qu’elle dispose d’un budget limité.
Contactée par un créancier pour l’achat d’une voiture, pour lequel elle n’aurait pas payé les traites d’un crédit lié à cet achat, Julie tombe des nues: elle n’aurait jamais contracté un tel prêt ni acheté de voiture. Elle ne dispose même pas d’un permis de conduire. Elle a décidé de prendre les choses en main parce qu’elle ne veut pas vivre avec une telle épée de Damoclès au-dessus de la tête. Elle contacte le CPAS de sa commune qui l’oriente vers son service de médiation de dettes. À noter qu’elle peut bénéficier de cette aide gratuitement, quels que soient ses revenus.
La médiatrice profite du rendez-vous mensuel avec son juriste conventionné pour analyser la situation. Il est décidé de solliciter, dans un premier temps, auprès du créancier, le contrat de crédit signé. En parallèle, le dossier sera instruit au sein du service puisque Julie conteste avoir signé le contrat.
Julie se demande si le prêteur n’aurait pas dû vérifier l’identité de la personne à qui le crédit a été octroyé. |
Selon l’article VII.76, 1er tiret du Code de droit économique (ci-après «CDE»): «Le prêteur ne peut conclure de contrat de crédit ou de contrat de sûreté qu’après vérification des données d’identification sur la base et selon le cas:
– de la carte d’identité visée à l’article 6 de la loi du 19 juillet 1991 relative aux registres de la population et aux cartes d’identité et modifiant la loi du 8 août 1983 organisant un Registre national des personnes physiques.»
Julie est donc en droit de s’interroger sur le respect de cette obligation.
Le Conseil de la consommation, intégré depuis 2018 au sein du Conseil de l’Économie (Commission consultative Spéciale Consommation), précise qu’il s’agit d’une obligation de résultat dont la preuve du respect doit être apportée par le professionnel (le prêteur ou l’intermédiaire).
Obligation de moyen ou de résultat?
Pour rappel, il existe deux types d’obligations: de résultat et de moyen. L’article 5.72 du Code civil précise la portée des obligations contractuelles: «L’obligation de moyens est celle en vertu de laquelle le débiteur [de l’obligation] est tenu de fournir tous les soins d’une personne prudente et raisonnable pour atteindre un certain résultat. La preuve de la faute du débiteur incombe au créancier», tandis que «l’obligation de résultat est celle en vertu de laquelle le débiteur [en l’occurrence ici le prêteur] est tenu d’atteindre un certain résultat. Si le résultat n’est pas atteint, la faute du débiteur [de l’obligation] est présumée, sauf à démontrer la force majeure.»
On comprend donc qu’une obligation de résultat est plus lourde à supporter pour le prêteur puisque seule la force majeure permettrait de justifier que le résultat prévu n’a pas été obtenu.
Les travaux préparatoires concernant l’article VII.76 du CDE précisent également qu’il est inadmissible que le prêteur octroie un crédit sans jamais avoir procédé à une vérification de l’identité des contractants (Exposé des motifs, doc. parl., Ch. repr., 2001-2002, 1730/001, p. 20). La jurisprudence va également dans ce sens. À titre d’exemple, la cour d’appel d’Anvers a jugé qu’un contrôle sommaire de l’identité n’est pas suffisant. Dans le cas qui lui était soumis, la carte d’identité avait été présentée par un tiers (Anvers, 17 septembre 2009, R.W., 2011-2012, p. 185). De même, le juge de paix du 1er canton de Bruxelles a sanctionné un prêteur en lui imposant d’indemniser un consommateur des conséquences d’un crédit, alors que ce dernier avait communiqué une fausse identité et une fausse fiche de rémunération (J. P. Bruxelles, 13 octobre 1994, cité par D. Blommaert et F. Nichels, «Kroniek van het consumentenkrediet», T.B.H., 1995, p. 944).
L’article 201 du CDE s’applique en cas de manquement aux obligations prévues à l’article VII.76: «Sans préjudice des autres sanctions de droit commun, le juge peut relever le consommateur de tout ou partie des intérêts de retard et réduire ses obligations jusqu’au prix au comptant du bien ou du service, ou au montant emprunté lorsque:
1° le prêteur n’a pas respecté les obligations visées aux articles VII.69, VII.70, VII.72, VII.74, VII.75 et VII.77;
2° l’intermédiaire de crédit n’a pas respecté les obligations visées aux articles VII.69, § 1er, alinéa 1er, VII.70, VII.71, VII.74, VII.75, VII.112 et VII.113, § 1er;
3° les formalités prévues à l’article VII.76 concernant la conclusion du contrat de crédit n’ont pas été respectées.
Dans ces cas, le consommateur conserve le bénéfice de l’échelonnement des paiements.»
Le juge pourrait donc limiter le remboursement de Julie au seul capital prêté.
Récemment, la Cour de justice de l’Union européenne a remis un tour de vis aux sanctions applicables lorsque le prêteur ne respecte pas les obligations précontractuelles qui lui incombent (CJUE, 11 janvier 2024, JLMB, 2024/21, p. 924). Dans l’affaire qui lui était soumise, le prêteur n’avait pas correctement analysé la solvabilité du consommateur. Toutefois, l’exécution du contrat s’était déroulée sans encombre jusqu’à son terme. La Cour a tout de même décidé, sur la base de l’objectif poursuivi d’une protection élevée des intérêts du consommateur, que le manquement initial du prêteur ne peut pas être couvert par l’absence de problème lors de l’exécution du contrat. En effet, d’autres problèmes peuvent être apparus dans la situation du consommateur (ex.: retard dans le versement du loyer ou d’une autre facture pour maintenir sa mensualité de remboursement du crédit). Selon la Cour, le consommateur est en droit de réclamer la réparation de son préjudice, mais également en droit de réclamer l’application de la sanction prévue aux articles VII.195 et VII.201 du CDE en droit belge.
Cela n’est pas suffisant pour Julie puisqu’elle estime qu’elle n’a pas conclu de prêt et n’a donc pas bénéficié du capital. Elle ne voit pas pourquoi elle devrait le rembourser.
L’article VII.201 du CDE prévoit que les sanctions du droit commun peuvent également s’appliquer.
En l’espèce, Julie peut s’appuyer sur les articles 5.27 et 5.28 du Code civil qui prévoient que le consentement (libre et éclairé) est un élément constitutif du contrat et par conséquent une condition de validité de celui-ci.
À défaut de consentement dans le chef de Julie, le contrat n’est pas valide et est frappé de nullité relative (article 5.31 du Code civil). Cette cause de nullité relative peut être confirmée expressément ou tacitement pour autant que Julie ait connaissance de la cause de nullité et décide d’y renoncer (article 5.61 du Code civil).
Quels arguments Julie pourrait-elle soulever?
Julie nous précise que sa carte d’identité a été déclarée perdue, huit mois avant la conclusion du contrat. Une plainte a donc été déposée auprès du commissariat de police pour usurpation d’identité. De plus, elle n’a pas le permis de conduire et le contrat était prévu pour acheter une voiture. Or, aucune voiture n’est reprise à la DIV à son nom.
Après analyse du contrat signé transmis par le prêteur, la signature figurant sur le document ne correspond pas à celle reprise sur les documents officiels de Julie et notamment sa carte d’identité.
Enfin, l’adresse de Julie inscrite dans le contrat de crédit ne correspond pas à une adresse à laquelle elle a habité.
La source de revenus reprise est également erronée puisque Julie n’est pas employée, mais a un revenu d’intégration sociale depuis plus de 10 ans.
Concrètement, que faire?
Un courrier de contestation est rédigé à l’attention du prêteur pour relayer les arguments de Julie, en toute impartialité du médiateur. Le médiateur reste disposé, bien évidemment, à recevoir les arguments contraires du prêteur.
Le problème est double puisque l’éventuel usurpateur d’identité qui a conclu le contrat de crédit n’a pas honoré les mensualités. Julie se retrouve donc fichée dans le volet négatif de la Centrale des crédits aux particuliers de la Banque nationale. Elle demande donc que cette situation soit réglée également.
Cependant, malgré les arguments transmis, le créancier maintient sa position et refuse de libérer Julie. Le service de médiation de dettes prend alors contact avec le service contentieux du créancier. Après plusieurs échanges, la réponse reste inchangée, sans toutefois que des arguments solides soient apportés par le prêteur.
Julie pense être dans une impasse. Le médiateur lui propose alors une autre solution.
Trois possibilités s’offrent à Julie:
- renoncer à sa contestation et accepter la demande du prêteur;
- introduire une action en justice;
- déposer une plainte auprès de l’Ombudsfin.
C’est cette dernière solution qui lui est proposée par le service de médiation de dettes. Cette procédure est gratuite et ne fait pas obstacle à l’introduction d’une action en justice par après (notamment si aucune solution n’est trouvée par l’Ombudsfin).
Il est utile de rappeler que ce type de plainte doit respecter certaines conditions.
Premièrement, l’institution financière ou l’intermédiaire de crédit en cause doit être membre d’Ombudsfin. À cet égard, une liste est disponible sur le site https://www.ombudsfin.be/fr/affiliees/institutions-affiliees.
De plus, Julie doit d’abord soumettre sa contestation au service des plaintes compétent de l’institution financière ou de l’intermédiaire en question. L’adresse du destinataire ne doit pas donc être utilisée à la légère puisque, en règle générale, une adresse spécifique pour le contentieux existe auprès de chaque institution. Ces adresses sont également disponibles sur le site de l’Ombudsfin.
Via son médiateur de dettes amiable, elle formule donc une plainte afin d’être totalement déchargée de toute dette relative au contrat de crédit litigieux et d’être radiée du fichage dans le volet négatif de la Centrale des crédits aux particuliers de la Banque nationale.
Qu’en est-il du déroulement de la plainte auprès des services de l’Ombudsfin?
La position du prêteur est la suivante: il estime que la plainte de Julie est tardive puisqu’elle n’a pas réagi par le passé aux relances. Bien que tous les documents justificatifs aient été transmis au créancier lors de la contestation, ce dernier a sollicité de l’Ombudsfin que lui soient transmis la preuve de la déclaration de perte de la carte d’identité et un historique des cartes d’identité qui ont été émises au nom de Julie.
L’avis de l’Ombudsfin et la solution ont été les suivants: à peine plus de 30 jours plus tard, l’Ombudsfin a rendu son avis, et ce après avoir recueilli la position du prêteur.
Il analyse, dans le chef du prêteur, le respect de son obligation d’identification découlant de l’article VII.76 du CDE. Il constate premièrement que la copie de la carte d’identité de Julie recueillie par le prêteur et fournie à l’Ombudsfin est la carte déclarée perdue (le numéro de carte d’identité permet cette vérification) et qu’il ne s’agit donc pas de la nouvelle carte d’identité reçue par Julie, quelques semaines après sa déclaration de perte. C’est cette seconde carte qui aurait dû normalement servir pour contracter le prêt.
Il précise également que l’article VII.78, §1er du CDE prévoit que «le contrat de crédit est conclu par la signature manuscrite ou la signature électronique de toutes les parties contractantes et est établi sur un support durable reprenant l’ensemble des conditions contractuelles et mentions visées par le présent article».
Après analyse, la signature reprise sur le contrat ne correspond pas à celle de la carte d’identité copiée par le prêteur ni même à celle de la nouvelle et actuelle carte d’identité.
L’Ombudsfin écarte également l’argument du prêteur sur l’absence de réaction de Julie avant l’ouverture d’un dossier au sein d’un service de médiation de dettes. En effet, les différents rappels ont été adressés à l’adresse mentionnée dans le contrat, mais qui ne correspond pas à la réalité. Il est donc logique que Julie n’y ait pas donné suite. L’Ombudsfin a donc négocié avec le créancier sur la base de ces éléments et il l’a invité à abandonner ses demandes de paiement dirigées contre Julie. Le créancier a suivi l’avis de l’Ombudsfin et a adressé les mainlevées nécessaires. De plus, il a confirmé procéder à la suppression du fichage, à la Banque nationale, avec effet immédiat.
En conclusion
Il n’est pas inutile de rappeler que le Code de droit économique protège le consommateur et fait peser des obligations parfois lourdes sur le prêteur. Les protections existent, il reste encore à les faire appliquer. Dans le cas présent, la solution est entièrement favorable à Julie, mais non sans effort.
À noter qu’il serait possible pour Julie de mettre en cause la responsabilité du prêteur pour obtenir une indemnisation si elle a subi un dommage.
Pablo Salazar, juriste au GILS
[1] La situation présentée est basée sur un dossier réellement traité par un service de médiation de dettes.