Introduction
Initialement dédiée aux défauts de paiement (volet négatif), la Centrale des crédits aux particuliers (CCP) enregistre depuis juin 2003 tous les crédits à la consommation et les prêts hypothécaires (volet positif). Les prêteurs obligés de la consulter pour chaque nouveau crédit accordé intègrent désormais ces données dans la gestion du risque. Mais la Centrale atteint-elle son objectif et est-elle perfectible ? Entretien sur ces questions en compagnie de Camille Dümm, responsable des centrales des crédits auprès de la Banque nationale de Belgique et de Peter Neefs, gestionnaire de la CCP.
Cela fait neuf ans que le volet positif de la CCP a été mis sur pied, ne se limitant plus à enregistrer les seuls crédits défaillants, mais l’ensemble des crédits à la consommation (hormis les crédits de moins de 200 euros et les facilités de découvert remboursables dans le mois) et les crédits hypothécaires. Pour chaque contrat, le prêteur est prié de transmettre un ensemble de données prévues par la loi (identité de l’emprunteur, du prêteur, de la personne sûreté personnelle, le type de crédit et, selon le type de crédit, le montant total à rembourser, les modalités de remboursement et la durée du contrat). Pour Peter Neefs, « l’objectif de l’élargissement de la Centrale était d’éviter que les personnes à la limite de leur capacité de remboursement ne prennent le crédit de trop et l’on peut dire qu’après l’entrée en vigueur du volet positif, le nombre de crédits défailllants a diminué de manière constante jusqu’en 2008. On peut valablement penser que la Centrale a joué un rôle dans cette diminution des défauts car au moment de sa mise en œuvre, les défauts étaient en augmentation et ont commencé à baisser dès l’instauration du volet positif. Mais ce n’est sans doute pas la seule cause. La bonne tenue de l’économie a eu un impact positif. Depuis le début de la crise fin 2008, le nombre de défauts de paiement augmente à nouveau, de manière modérée, mais cela veut bien dire que ce n’est pas la Centrale qui va résoudre tous les problèmes. Elle peut aider à éviter des défauts de paiement, mais l’économie jour un rôle très important dans ces évolutions ».
Camille Dümm précise qu’avec la forte augmentation du nombre de crédits enregistrés (+ 3 000 000 au cours de l’année 2011) en raison de l’enregistrement des facilités de caisse sur les comptes bancaires, « le nombre de défauts est par voie de conséquence lui aussi en hausse et la lecture des chiffres est rendue plus difficile car on est en présence d’une rupture de série. Ce qui peut être un élément indicatif pour une lecture correcte des données, c’est le pourcentage de contrats défaillants qui était de 7% en 2003 et qui se situe à 4,1% en 2011. La diminution enregistrée en 2011 est difficile à appréhender parce que le nombre de crédits enregistrés a explosé. Mais en 2010, ce pourcentage était de 5,4% ».
Des bureaux privés, ailleurs en Europe
Il existe des bureaux de crédit dans la plupart des pays européens (parfois même plusieurs pour un même pays, comme en Italie), ce qui confirme l’intérêt des informations récoltées. Mais comme le signale Camille Dümm, « dans la plupart des pays européens, les bureaux de crédit sont des bureaux privés, à la différence de la Centrale des crédits aux particuliers belge qui est gérée par une banque centrale. À la différence de notre situation, les préoccupations premières des bureaux privés sont clairement liées à des finalités lucratives et leur objectif est avant tout de collecter le plus grand nombre d’informations possible pour pouvoir les vendre aux institutions financières. Il s’agit dans certains cas de multinationales présentes dans plusieurs pays et spécialisées dans la vente d’informations beaucoup plus larges que les seules données crédits. On peut par exemple citer Experian ou Equifax. Seule notre Centrale est organisée par une autorité publique, avec l’exception de la Centrale française gérée par la Banque de France. Seulement, chez nos voisins français, il s’agit d’un fichier exclusivement négatif ne reprenant que les défauts de paiement : l’élargissement reste un sujet très controversé. Des experts sont déjà venus à deux reprises nous visiter pour en savoir plus sur le fonctionnement de la Centrale belge, mais les hésitations restent grandes côté français pour transformer leur fichier en centrale positive ».
Cela étant, rajoute Peter Neefs, « l’intérêt de ces bureaux privés est identique au nôtre : permettre d’évaluer le risque lié au crédit. La différence, c’est que dans ce cas, les prêteurs achètent ces données. En revanche, ce qui est similaire partout en Europe et au-delà, c’est le fait qu’on n’est pas du tout informé de la manière dont les prêteurs utilisent ces données: ils élaborent des modèles de scoring, mais tant à l’étranger qu’en Belgique, les prêteurs restent très discrets sur la manière dont ils travaillent les éléments récoltés. Ce qui est clair, c’est qu’ils ont une pertinence dans l’élaboration de la politique de risque des prêteurs ». On voit d’ailleurs que les prêteurs belges, à l’origine opposés à la Centrale positive, en reconnaissant à présent l’utilité.
Les souhaits des uns et des autres
Si la Centrale positive belge renseigne sur les produits crédits, l’existence de sûretés personnelles ou encore les règlements collectifs en cours (voir encadré), d’autres bureaux de crédit en Europe collationnent des informations sur des données telles que les défauts en matière de télécommunications, de loyers impayés ou encore de dettes d’énergie. Il y a quelques temps, un élargissement de notre Centrale à ce type de données a été au centre des débats. Comme l’explique Camille Dümm, « le ministre chargé de la Protection des consommateurs, Paul Magnette, sous le précédent gouvernement, avait demandé une étude sur les corrélations entre retards de paiement en matière de téléphonie mobile et ceux en matière de crédit. Cette étude, rendue publique en mars 2011 et qui est en ligne sur notre site1, révélait effectivement une telle corrélation, mais ce n’est pas à la Centrale de décider des données qui doivent être intégrées dans la base de données. Une telle décision relève du débat politique et nous n’avons pas à nous prononcer sur de telles questions ».
Si les prêteurs, et notamment l’Union professionnelle du crédit, s’étaient déclarés intéressés, d’autres associations, notamment de consommateurs, actives sur le terrain de l’aide aux personnes surendettées s’étaient inquiétées d’un tel élargissement à propos de données portant sur des biens de première nécessité et constitutifs de droits fondamentaux. En revanche, ces mêmes associations souhaiteraient pouvoir disposer d’informations sur l’utilisation des encours en matière d’ouvertures de crédit (ce que renseignent ailleurs en Europe de nombreux bureaux de crédit), sur les intermédiaires de crédit « impliqués » dans la délivrance de ces OC ou encore sur les regroupements de crédits. Selon Peter Neefs, « beaucoup de choses sont possibles sur le plan technique. Il suffit parfois de rajouter certains champs dans la banque de données, mais une fois encore, c’est aux acteurs responsables de se mettre d’accord sur ces questions. Le comité d’accompagnement de la Centrale est en tout cas une plate-forme importante pour la bonne gestion de la Centrale à laquelle les prêteurs, les organisations de consommateurs, la Commission de la vie privée, la Banque nationale et le ministre participent et donnent leur avis».
Si l’élargissement des données de la CCP semble pour l’heure avoir été mise sous le boisseau, l’outil s’est quant à lui affiné, avec la possibilité de disposer depuis janvier 2007 de données mensuelles, mais aussi de chiffres par région et par province (depuis novembre 2011). Des chiffres clefs, à partir des tendances mensuelles, sont désormais édités et très bientôt, des données annuelles par canton postal, disponibles depuis la fin du mois de mai. Comme l’explique Camille Dümm, « ces améliorations ont été implémentées à la suite à des demandes individuelles provenant de collectivités locales, de départements d’études de différentes autorités fédérales ou régionales, de parlementaires ou encore de chercheurs universitaires, car, au-delà de la gestion du risque, la Centrale est également un outil qui permet d’analyser le phénomène du surendettement et d’évaluer les politiques menées sur le terrain ».
Propos recueillis par Nathalie Cobbaut
Les renseignements du RCD trop disparates
L’intérêt d’en savoir plus sur les RCD est évident. Là encore pour les prêteurs et de manière plus large. Les données RCD collationnées dans la Centrale ont notamment permis de montrer que les dossiers RCD ne sont pas uniquement liés au crédit puisque dans un tiers des dossiers RCD, il n’y a aucun crédit défaillant. Cela étant, les gestionnaires de la CCP se posent des questions sur les données transmises par les greffes des tribunaux en charge de ces dossiers. Pour Peter Neefs, « il y a de grandes différences dans les manières de travailler des greffes : certains communiquent beaucoup d’informations, d’autres pratiquement rien. Le fait est aussi qu’il y a des RCD pour lesquels nous n’avons aucune information après l’avis d’admissibilité : y a-t-il eu un plan amiable, judiciaire ? Là encore, nous gérons les données qu’on nous envoie : ce serait au ministre de la Justice de demander que l’on analyse pourquoi il existe de telles disparités et comment les objectiver ».
1 | http://www.nbb.be/pub/06_00_00_00_00/06_10_00_00_00/04_02_06_00_00.htm?l=fr |