Table des matières
En matière d’appel contre les décisions fixant la rémunération des médiateurs de dettes, il existait bien des décisions contradictoires. La Cour constitutionnelle a tranché et, dans certains cas, la parole du juge est non seulement d’argent, mais aussi d’or !
L’article 1675/19 du Code judiciaire qui traite des frais et honoraires du médiateur de dettes a été modifié à plusieurs reprises depuis son introduction dans notre arsenal juridique par la loi du 5 juillet 1998 relative au règlement collectif de dettes. Néanmoins, les procédures permettant au médiateur d’obtenir le paiement de ces frais et honoraires par le débiteur requérant ou le Fonds de traitement du rurendettement n’ont pas changé. En effet, une double procédure existe :
- soit les frais et honoraires sont fixés par le juge dans la décision qui homologue le plan de règlement amiable ou qui arrête le plan de règlement judiciaire ;
- soit les frais et honoraires ou une provision à valoir sur ceux-ci sont sollicités par le médiateur et fixés par le juge dans une décision spécifique.
Dans le premier cas, la décision pourra fait l’objet d’un appel et être remise en cause, y compris la partie de cette décision relative aux frais et honoraires du médiateur. Cet appel pourra être introduit par le débiteur requérant et les créanciers (ou l’un de ceux-ci) ainsi que par le médiateur s’il est présent dans le cadre de la procédure d’appel et peut être considéré comme une partie contre laquelle l’appel est dirigé (« partie intimée »). Par contre, dans le second cas, l’article 1675/19 du Code judiciaire exclut que la décision déterminant les frais et honoraires du médiateur ou une provision à valoir sur ceux-ci fasse l’objet d’un appel et puisse être remise en cause, sauf à être mise à néant par la Cour de cassation. Cette situation ne pouvait manquer d’amener des médiateurs insatisfaits de la rémunération qui leur était allouée à s’interroger quant à la conformité par rapport à la Constitution de la différence de traitement existant entre les deux procédures et à inviter le juge d’appel à interroger la Cour constitutionnelle à ce propos, avant de conclure à la non-recevabilité d’un appel visant la décision relative aux frais et honoraires.
Question préjudicielle
Ainsi, le 27 février 2007, la cour d’appel de Liège a invité la Cour constitutionnelle à examiner la constitutionnalité de la différence de traitement qui était faite entre un médiateur de dettes d’une part, lequel ne pouvait interjeter appel d’une décision spécifique fixant ses frais et honoraires (le second cas dont question ci-dessus), et, d’autre part, le curateur d’une faillite ou d’autres mandataires de justice qui disposaient de cette faculté. Dans cette affaire, le juge des saisies (dont la décision était attaquée devant la cour d’appel) avait estimé qu’aucune discrimination n’existait entre les médiateurs dont les frais et honoraires étaient déterminés dans la décision homologuant ou arrêtant un plan de règlement et ceux dont les frais et honoraires faisaient l’objet d’une décision spécifique, étant donné que, selon lui, l’appel n’était pas possible dans l’un et l’autre cas. Par ailleurs, la discrimination existant entre les médiateurs de dettes et les autres mandataires de justice se justifiait par le caractère exceptionnel de la procédure de RCD et la nécessité de ne pas ralentir cette procédure, par un « procès dans le procès » qui ne concernerait que la rémunération du médiateur. La cour d’appel a été plus prudente et a posé à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle relatée ci-dessus que lui suggérait le médiateur, lui-même soutenu par l’Ordre des barreaux francophones et germanophone (OBFG) et l’Ordre des barreaux flamands (OVB).
La Cour constitutionnelle a répondu à cette question préjudicielle par son arrêt du 14 février 2008 (n° 14/2008). Elle y suit sa méthodologie habituelle en vérifiant en premier lieu si la différence de traitement alléguée repose sur un critère objectif, dans l’affirmative et en second lieu, si elle est raisonnablement justifiée par rapport à l’objectif poursuivi par le législateur et, dans l’affirmative et en troisième lieu, si cette différence de traitement ne produit pas des effets disproportionnés notamment par rapport aux droits des personnes concernées.
Argumentations
La Cour constate que le médiateur de dettes et le curateur poursuivent des buts et exécutent des missions de nature différente, ce qui peut justifier objectivement que la décision rendue à propos des frais et honoraires du médiateur ne puisse pas être discutée (sauf s’il y a eu violation de formes prévues à peine de nullité ou de formes substantielles qui pourrait donner lieu à cassation). Le médiateur ne gère pas l’ensemble du patrimoine du débiteur requérant et il agit en vue de permettre le règlement des dettes de ce dernier et le maintien en sa faveur d’une vie conforme à la dignité humaine. Le curateur gère la faillite du débiteur commerçant et il agit dans l’intérêt des créanciers comme dans celui du failli.
La Cour constate également que la rémunération du médiateur et celle du curateur ne sont pas déterminées de la même manière ni sur les mêmes bases : les honoraires du médiateur correspondent à des forfaits par type de prestation qui ne dépendent pas des difficultés rencontrées dans l’exécution de sa mission, ni de l’importance de l’endettement ou des actifs du débiteur requérant, et ne sont donc pas susceptibles d’être majorés en fonction de ces critères par le juge, qui ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation à cet égard. En revanche, les honoraires du curateur correspondent à un pourcentage des actifs récupérés et vendus, peuvent varier en fonction notamment de l’importance et de la complexité de sa mission, de la rapidité avec laquelle il l’accomplit et du nombre des créances et peuvent être majorés si des prestations extraordinaires sont accomplies par le curateur. Il existe donc une justification raisonnable à ce que les médiateurs ne puissent pas inviter un juge d’appel à revoir la manière dont leur rémunération a été déterminée.
La Cour constate enfin que cette différence de traitement ne lèse pas les droits des médiateurs de manière disproportionnée. En effet, en matière civile, tout justiciable ne peut se plaindre de ne pas pouvoir former appel de toute décision rendue dans l’affaire à laquelle il est partie car il n’existe pas de principe général garantissant un double degré de juridiction. De plus, les motifs qui pourraient donner lieu à un appel sont réduits car, de toute façon, le juge ne peut ni majorer ni minorer les forfaits alloués au médiateur par type de frais, de prestation ou d’ensemble de prestation.
Il n’existe donc pour la Cour, du point de vue de la possibilité ou non d’interjeter appel contre la décision fixant la rémunération, aucune discrimination inconstitutionnelle entre les médiateurs de dettes et les autres mandataires de justice et, en particulier, les curateurs.
Tout n’était pas dit
Cet arrêt ne mettait cependant pas fin à toute discussion. Effectivement, la situation du médiateur de dettes et celle des autres auxiliaires de justice y avaient été comparées. D’autres comparaisons demeuraient toutefois possibles, toujours à propos de l’exclusion d’un appel contre la décision déterminant la rémunération du médiateur. Car, si celle-ci faisait l’objet d’une décision spécifique rendue sur requête du médiateur et si, dans ce cas, le médiateur ne pouvait former appel, il n’en était pas nécessairement de même lorsque la rémunération était fixée dans la décision homologuant ou arrêtant le plan de règlement. Dans cette hypothèse, l’article 1675/19 du Code judiciaire n’excluait pas formellement l’appel, y compris contre la partie de la décision statuant sur les frais et honoraires du médiateur, que cet appel émane du débiteur requérant, des créanciers ou de l’un de ceux-ci, voire du médiateur lui-même s’il pouvait être considéré comme étant une partie ou comme une partie intimée, c’est-à-dire une partie contre laquelle l’appel était dirigé.
La jurisprudence était controversée quant à la place du médiateur de dettes dans le cadre de la procédure d’appel. Doit-il y être mis à la cause ? La Cour de cassation a répondu par l’affirmative dans un arrêt du 4 septembre 20032 suivant lequel le médiateur doit à tout le moins être présent dans la procédure d’appel car il exerce pratiquement tous les pouvoirs d’administration du patrimoine du débiteur. Mais peut-il pour autant être qualifié de partie intimée ? La question est plus délicate3 même en considérant que, concernant les frais et honoraires du médiateur, il existe toujours une opposition – même théorique – entre ce dernier d’une part et, d’autre part, le débiteur requérant et ses créanciers puisque la rémunération du médiateur est en principe à charge du débiteur requérant et est payée par préférence aux créances.
Ainsi, si, à l’estime du médiateur, ses frais et honoraires n’ont pas été correctement fixés dans la décision homologuant ou arrêtant le plan de règlement, mais si ce médiateur n’introduit pas lui-même un appel (principal) contre cette décision, un appel incident de sa part sera accepté par certaines juridictions d’appel ou dans certains cas – parce qu’une contestation formalisée par écrit l’a opposé à une autre partie en première instance et qu’il peut donc être qualifié de partie intimée – et ne le sera pas par d’autres juridictions ou dans d’autres cas.
Par ailleurs, suivant certaines juridictions d’appel et certains auteurs, l’impossibilité de former appel contre la manière dont la rémunération du médiateur a été fixée concerne non seulement la décision ayant cette rémunération pour objet unique (décision spécifique), mais également la décision statuant sur cette rémunération tout en homologuant ou en arrêtant le plan de règlement (décision mixte). D’autres juridictions d’appel estiment par contre que l’absence de recours ne peut viser que la décision portant uniquement sur la détermination de la rémunération du médiateur (décision spécifique).
Des décisions à géométrie variable
Des discriminations entre les médiateurs de dettes placés dans l’une ou l’autre situation et/ou entre les médiateurs d’une part et le débiteur requérant et ses créanciers d’autre part peuvent donc résulter du fait que :
- dans l’hypothèse d’une décision mixte, le médiateur peut contester la fixation de sa rémunération, alors qu’il ne peut le faire dans l’hypothèse d’une décision ayant uniquement la détermination de cette rémunération pour objet ;
- pour certaines juridictions d’appel, le médiateur ne peut jamais contester la fixation de sa rémunération, que celle-ci soit l’objet d’une décision spécifique ou soit intervenue dans le cadre d’une décision mixte, alors que, dans ce dernier cas, elle peut l’être par le débiteur requérant et ses créanciers et que, pour d’autres juridictions d’appel et toujours dans ce dernier cas, le recours est aussi ouvert au médiateur ;
- pour certaines juridictions d’appel et/ou dans certains cas, le médiateur peut être qualifié de partie intimée et former un appel incident contre la décision fixant sa rémunération alors que ce type de recours lui est fermé pour d’autres juridictions d’appel et/ou dans d’autres cas.
Le 9 novembre 2009, la cour d’appel de Liège a interpelé la Cour constitutionnelle sur la conformité de ces discriminations par rapport aux articles 10 et 11 de la Constitution (principes d’égalité et de non discrimination entre les Belges).
Nouvelle question préjudicielle et nouvelle réponse
Dans son arrêt du 8 juillet 2010 (n° 85/2010), la Cour constitutionnelle examine la première des différences de traitement relevées ci-dessus (premier tiret) en suivant sa méthodologie habituelle et, ce faisant, se prononce sur les autres différences de traitement (second et troisième tirets).
Elle constate tout d’abord que cette différence de traitement repose sur un critère objectif, à savoir le moment auquel est rendue la décision que le médiateur conteste. En effet, la décision qui a pour objet spécifique la fixation de la rémunération du médiateur peut intervenir à tout moment dans le courant de la procédure de règlement collectif et notamment après qu’un plan de règlement a été adopté. La décision qui fixe la rémunération du médiateur en même temps qu’elle homologue ou arrête le plan n’intervient forcément qu’à un moment donné de la procédure et ne peut concerner les frais et honoraires postérieurs à l’adoption du plan.
Elle ne peut découvrir dans les travaux préparatoires à l’adoption de la loi du 5 juillet 1998 l’intention du législateur qui sous-tendait la différence de traitement. Mais elle estime néanmoins que celle-ci est justifiée par les raisons suivantes.
En ce qui concerne l’impossibilité d’un appel lorsque la fixation de la rémunération est le seul objet de la décision attaquée, le juge ne dispose de toute façon que d’un pouvoir d’appréciation réduit. Car la rémunération en question se compose de forfaits prévus pour les prestations ou l’ensemble des prestations qui ont été accomplies et que ces forfaits ne peuvent être augmentés ou diminués en fonction de l’ampleur ou de la complexité de l’affaire ou de l’existence de prestations particulières. En outre, il n’existe pas en matière civile de principe général garantissant un double degré de juridiction à tous les justiciables. Ces deux considérations sont également celles qui ont amené la Cour constitutionnelle dans l’arrêt précité du 14 février 2008 à conclure que la différence de traitement existant entre le médiateur de dettes et d’autres auxiliaires de justice et, en particulier, le curateur d’une faillite n’entraînait pas une limitation disproportionnée des droits du médiateur.
En ce qui concerne la possibilité d’un appel lorsque la rémunération est fixée dans la décision adoptant le plan de règlement, la juridiction d’appel peut en effet remettre en cause tous les aspects de la décision attaquée (il s’agit de l’effet dévolutif de l’appel). De plus, il existe une interdépendance entre la rémunération du médiateur payée par le débiteur requérant (elle est payée prioritairement par rapport aux créances) et les montants qui sont alloués aux créanciers dans le cadre du plan (et ceux qui feraient l’objet d’une remise de dettes). Si ces montants sont remis en cause, la rémunération du médiateur pourra en être affectée (à la hausse ou à la baisse). Exclure que, dans ce cas, la fixation de cette rémunération ne puisse faire l’objet d’un appel est dès lors de facto impossible.
Enfin, on suppose que, pour la Cour, la différence de traitement n’occasionne pas une limitation disproportionnée des droits du médiateur. Elle rappelle en effet que le juge d’appel peut se saisir de tous les aspects de la décision attaquée (effet dévolutif de l’appel), y compris la rémunération du médiateur même si le ou les appelant(s) ne l’ont pas remise en cause.
Du point de vue de la faculté de former appel contre la décision fixant leur rémunération, le texte légal n’introduit donc pas, pour la Cour, de discrimination inconstitutionnelle entre les médiateurs de dettes ou entre différentes situations dans lesquelles ils se trouveraient.
Dans le même arrêt, la Cour pourfend la thèse de certaines juridictions d’appel et de certains auteurs suivant lesquels le médiateur ne pourrait jamais contester la fixation de cette rémunération, même lorsqu’elle est intervenue dans la décision adoptant le plan de règlement. Effectivement, la Cour constitutionnelle déduit de l’arrêt précité du 4 septembre 2003 de la Cour de cassation que le médiateur, devant toujours être présent dans la procédure d’appel, est une partie qui, comme le débiteur requérant ou un créancier, est en droit de contester la fixation de sa rémunération devant la juridiction d’appel. En décider autrement reviendrait à établir une discrimination entre le médiateur et les autres parties que l’on devine contraire au principe d’égalité pour la Cour constitutionnelle.
Interpréter le texte légal comme excluant que le médiateur puisse former appel contre la décision fixant sa rémunération en même temps qu’elle homologue ou arrête le plan de règlement serait donc pour la Cour contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.
Didier Noël, coordinateur scientifique, Observatoire du crédit et de l’endettement