Voici une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles, pour cette fois en degré d’appel. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dettes, et présentées au comité de rédaction de la revue pour sélection. En voici la recension.
C.T. Liège (division de Liège – 10e ch.), 28 juillet 2015, RG n°2015/BL/21
Le requérant en RCD est un agent pénitentiaire qui exploitait une friterie dans le cadre d’une activité complémentaire. Celle-ci a engendré un endettement vis-à-vis d’institutions financières, d’une caisse d’assurances sociales, du fisc et de fournisseurs de marchandises et d’énergie. Le requérant avait cédé gratuitement à son épouse le fonds de commerce qu’il avait acquis 20.000 euros, sans reprise du passif qui demeurait totalement à charge de ce requérant. Celui-ci avait introduit sa demande de règlement collectif plus de six mois après la cessation de son activité commerciale.
Le tribunal du travail avait déclaré la requête non admissible compte tenu d’un manque de transparence patrimoniale – résultant d’incohérences dans les informations comptables communiquées par le requérant – et du fait que la cession gratuite du fonds de commerce privait les créanciers d’un capital qui aurait permis de rembourser les créanciers au moins partiellement.
Le requérant avait interjeté appel de cette décision, expliquant qu’une réorganisation judiciaire du commerce en question permettrait de le rentabiliser et de procurer un revenu à son épouse de telle sorte que celle-ci pourrait assumer une partie des charges du ménage et que les créanciers pourraient être remboursés de manière plus importante.
La cour du travail confirme la décision du tribunal du travail. Elle aussi relève une absence de transparence patrimoniale: les revenus tirés du commerce et les charges du ménage ne sont pas connus ou ne sont pas détaillés; le requérant n’a rien perçu de la cession du fonds de commerce alors que celui-ci était évalué à 13.500 euros.
Mais surtout, la cour constate que, «né dans le giron du droit commercial, l’endettement (du requérant) doit être raisonné en relation avec l’activité commerciale poursuivie par son épouse». Elle observe que, «si on s’écarte des modes de résolution du droit commercial, on favoriserait un mécanisme juridique de règlement aléatoire des dettes, tout en autorisant la poursuite d’une activité commerciale par l’entremise de l’épouse, cessionnaire du fonds sans l’avoir payé. Il faut comprendre que cela ne se peut en aucun cas au risque d’incohérences:
- si l’activité commerciale est rentable, elle le serait parce que les dettes antérieures seraient «réglées» ou «absorbées» par une procédure non commerciale. Il y aurait donc un mécanisme exogène d’élimination des dettes du commerce;
- si la poursuite de l’activité n’est pas rentable, le mécanisme de règlement des dettes permettrait momentanément la poursuite d’un commerce devant être réorganisé ou devant cesser à peine d’amplifier l’endettement.»
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C.T. Liège (division de Liège – 10e ch.), 28 juillet 2015, RG n°2015/AL/238
L’article 82 de la loi du 14 janvier 2013, en vigueur depuis le 1er septembre 2013, a complété l’article 1675/15 en y introduisant un paragraphe 2/1 nouveau libellé comme suit: «En cas de révocation conformément au §1er ou dans le cas où il est mis fin au règlement collectif de dettes conformément au §1er/1, le juge décide concomitamment du partage et de la destination des sommes disponibles sur le compte de la médiation.» Le troisième paragraphe de l’article 1675/15 a aussi été modifié comme suit: «En cas de révocation ou dans le cas où il est mis fin au règlement collectif de dettes et sans préjudice du §2/1, les créanciers recouvrent le droit d’exercer individuellement leur action sur les biens du débiteur pour la récupération de la partie non acquittée de leurs créances.»
«Puisque le législateur a précisé que la décision du juge sur le partage et la destination des sommes disponibles doit intervenir concomitamment à la décision de révocation, cette phase se situe donc à l’ultime moment où le règlement collectif de dettes produit encore ses effets[1]. La neutralisation des causes de préférence trouve sa justification dans cette simultanéité.
La règle est nuancée par la compétence donnée au juge de décider des modalités de la répartition, notamment pour décider du paiement d’une dette prioritaire avant la répartition au marc l’euro[2]. La réforme légale doit donc être logiquement comprise comme neutralisant les causes de préférence lors de la répartition du solde du compte de la médiation, tout en donnant compétence au juge de décider le paiement de dettes prioritaires, ou toute autre décision étendant le bénéfice de la répartition à d’autres créanciers que ceux participant au plan. Le juge peut donc décider de limiter la répartition aux seuls créanciers qui ont valablement introduit une déclaration de créance. Il décide en ne tenant pas compte des causes de préférence, en appliquant rigoureusement les articles 1675/7, par. 1er, al. 1er et par. 4 et 1675/15, par. 2/1 et par. 3 (tel que modifié par la loi du 14 janvier 2013) du Code judiciaire.
Le tribunal du travail de Bruxelles a jugé le 5 février 2015[3] qu’à l’occasion d’une cause de révocation, il était justifié de décider une répartition au marc l’euro, sans avoir égard aux causes de préférence.
Le tribunal du travail de Liège a jugé en la cause dont appel que le solde du compte de la médiation était à distribuer entre les créanciers ayant valablement déclaré leurs créances dans le cadre de la procédure.»
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C.T. Liège (division de Namur – 14e ch.), 24 août 2015, RG n°2015/AN/119
Une remise totale de dettes se justifie au regard de l’article 1675/13bis du Code judiciaire lorsque le bénéfice du RCD est sollicité par deux requérants, l’un étant demandeur d’emploi et percevant des allocations de chômage, et l’autre, sa mère, bénéficiant d’un revenu d’intégration sociale, si une reprise d’activité professionnelle dans le chef de ce dernier est très aléatoire et que les dettes du ménage formé par ces deux requérants sont gérées ensemble.
Par ailleurs, il n’y a pas lieu d’assortir cette mesure d’une guidance budgétaire lorsque les requérants ont parfaitement collaboré à la bonne fin de la procédure.
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C.T. Liège (division de Namur – 14e ch.), 24 août 2015, RG n°2015/BN/13
Il n’y a pas lieu de déclarer admissible la demande de RCD introduite par une personne dont le surendettement trouve sa cause réelle dans les effets d’une très grande assuétude à l’alcool, entraînant des soins de nature psychiatrique nombreux et coûteux et une incapacité à gérer son budget, et pour laquelle une précédente procédure de règlement collectif n’a pas amené un rétablissement durable de sa situation dans la mesure où elle s’est terminée moins de deux ans avant la nouvelle demande, a débouché sur la vente de l’immeuble dont elle était nue-propriétaire mais ne s’est manifestement pas accompagnée d’une meilleure maîtrise des revenus.
En effet, en pareil cas, «la cause du surendettement n’est pas structurelle. Tout au contraire, le règlement collectif risque d’entretenir une forme d’irresponsabilité, ce qui n’est pas péjoratif en cela qu’il ne s’agit pas de contester les effets d’une maladie, mais ce qui n’est pas admissible vis-à-vis des créanciers dont les droits doivent être respectés. Il est même à craindre que la première procédure de règlement collectif de dettes n’ait pas été adéquate puisqu’il a fallu réaliser le droit réel possédé par [la requérante] dans un immeuble. La compréhension exacte de la situation [de la requérante] requiert qu’elle bénéficie d’une administration de ses biens». «Un administrateur provisoire pourrait le cas cas échéant saisir le tribunal du travail d’une nouvelle demande d’admissibilité au règlement collectif de dettes.»
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C.T. Liège (division de Namur – 14e ch.), 28 septembre 2015, RG n°2014/AN/18
En ce qui concerne la vente de biens – et, en particulier, d’un immeuble – appartenant au requérant dans le cadre de la procédure de règlement collectif de dettes, onze principes peuvent être rappelés:
- L’article 1675/14bis du Code judiciaire renvoie «aux règles des exécutions forcées, en ce compris les articles 1580bis et 1580ter du Code judiciaire».
- «Le caractère purgeant de la vente est consacré pour toutes les ventes d’immeubles effectuées à ce stade, donc aussi bien au stade de l’élaboration qu’au stade de l’exécution du plan, quelle qu’en soit la nature (combinaison des articles 1675/14bis, 1326 et 1580bis ou ter du Code judiciaire)».
- «Les rôles respectifs du notaire (et d’un huissier de justice pour la réalisation de meubles) et du médiateur de dettes lors de la répartition sont clarifiés, sous la réserve de modalités particulières qui seraient fixées par le juge»: le notaire verse, après règlement des créanciers hypothécaires et des créanciers privilégiés spéciaux, le prix et ses accessoires au médiateur de dettes; ce versement est libératoire.
- «Le versement par l’adjudicataire au notaire est libératoire conformément à l’article 1641 (al. 2) du Code judiciaire.»
- «Il en résulte que le notaire instrumentant doit remettre au conservateur des hypothèques le certificat prévu à l’article 1653 du Code judiciaire, en même temps que l’acte de vente constatant le versement par l’acquéreur en ses mains des sommes dues en principal et en accessoires, sans attendre le règlement des créanciers inscrits et le versement éventuel du solde au médiateur de dettes. S’agissant d’un bien immeuble, les radiations doivent avoir lieu rapidement et les conservateurs des hypothèques doivent être tout aussi rapidement payés.»
- «En conséquence, la radiation des inscriptions et transcriptions peut intervenir à bref délai, soit dès ce versement libératoire conformément à l’article 1653, sans préjudice à l’article 1647 du Code judiciaire.»
- L’ordre (réglé par les articles 1639 à 1654 du Code judiciaire) se définit comme étant «la répartition entre toutes les parties intéressées du prix du bien immobilier dont la vente emporte de plein droit délégation aux créanciers inscrits et la purge, c’est-à-dire la radiation des inscriptions et transcriptions grevant le bien».
- «En matière de règlement collectif de dettes, l’ordre est réglé ainsi qu’il est stipulé dans le paragraphe 3 de l’article 1675/14bis du Code judiciaire, soit pour l’essentiel comme en matière de faillite.»
- «Quant aux frais inhérents à cette procédure attribuant à l’officier ministériel la distribution des parts revenant aux créanciers hypothécaires et privilégiés spéciaux et, ensuite, au médiateur de dettes, ils font l’objet d’un privilège général sur meubles et immeubles.»
- «La vérification des montants et de la ventilation relèvent de la compétence du tribunal du travail par le biais du médiateur.»
- «Dans le cadre de la décision d’admissibilité, le juge peut d’office accorder en tout ou en partie l’assistance judiciaire (article 1675/6, par. 3 du Code judiciaire).»
La procédure d’ordre proprement dite est donc mise en œuvre par le notaire, «depuis l’élaboration du cahier des charges jusqu’à la clôture des opérations de l’ordre, sous le contrôle et la surveillance du juge compétent (article 1396 du Code judiciaire)». Ses différentes étapes sont les suivantes:
- Le notaire commis délivre à l’adjudicataire un certificat indiquant les sommes dont il est tenu en vertu du cahier des charges, à savoir:
- le prix;
- les intérêts;
- les frais, droits et honoraires;
- les autres accessoires (article 1640 du Code judiciaire).
- L’adjudicataire doit verser entre les mains du notaire commis le montant des frais, droits et honoraires dont il est question à l’article 1640, 3°. Nonobstant toutes clauses contraires ou oppositions, il peut verser (au notaire chargé de la procédure d’ordre ou à la Caisse des dépôts et consignations) les sommes dont il est question à l’article 1640, 1°, 2° et 4°. Le versement ne peut plus être effectué par l’adjudicataire après la signification qui lui est faite soit du procès-verbal de distribution ou d’ordre, clôturé conformément à l’article 1646, soit de la décision irrévocable statuant sur les contestations qui ont trait à ce procès-verbal. Ces versements libèrent l’adjudicataire (article 1641 du Code judiciaire).
- Le notaire commis dresse, dans le mois, le procès-verbal de distribution du produit de la vente ou, s’il y a lieu, d’ordre de privilèges et d’hypothèques.
Ce délai prend cours:
1° à l’expiration du délai de quinze jours prévu à l’article 1622 si, dans ce délai, l’adjudication n’est pas attaquée;
2° à l’expiration du délai d’un mois après le prononcé du jugement qui a statué sur la demande en nullité;
3° en cas d’appel du jugement, à dater de la dénonciation de l’arrêt au notaire par la partie la plus diligente (article 1643 du Code judiciaire).
- À l’expiration du délai prévu à l’article 1644, lorsque aucun contredit n’a été formé, le notaire le constate au procès-verbal, clôture celui-ci et délivre aux créanciers les bordereaux de collocation en forme exécutoire (article 1645 du Code judiciaire).
Le notaire ne respecte donc pas l’ordonnancement de la procédure d’ordre s’il établit le décompte des sommes qu’il a consignées après une distribution partielle aux créanciers hypothécaires du produit de la vente de l’immeuble appartenant au requérant plus de sept années après la vente, en déduisant pour la première fois à ce moment-là des frais de mainlevée des différentes transcriptions et des frais liquidatifs majorés de la TVA. Ces frais doivent être laissés à sa charge.
Télécharger le PDF C.T. Liège (14e ch. – Division de Namur) 28 septembre 2015 (R.G. 2014.AN.18)
Les Échos du crédit
Vous pouvez retrouver l’intégralité des décisions reprises ci-dessus sur le site des Échos du crédit www.echosducredit.be, onglet Flash sur la jurisprudence.
[1] En ce sens : C. Bedoret, «RCD et… la répartition du compte de la médiation en cas de révocation», Bulletin juridique et social, n°536, février 2015, 2, p. 3.
[2] En ce sens : M. Westrade, J.-C. Burniaux et C. Bedoret, «Inédits de règlement collectif de dettes», II, JLMB, 2015/16, p. 752-753.
[3] Trib. trav. francophone Bruxelles, 19e ch. B, 5 février 2015, rôle n° 10/344/B, JLMB, 2015/15, p. 545.