RCD
Attention, jurisprudence fraîche!
Voici une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles, en l’occurrence en degré d’appel. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dettes, et présentées au comité de rédaction de la revue pour sélection. En voici la recension.
CT Liège (division de Liège, 5e ch.), 4 avril 2017, RG n°2017/AL/19
Le requérant en règlement collectif de dettes était un associé actif d’une société en nom collectif. Celle-ci a été déclarée en faillite. Le requérant a alors entamé une activité commerciale en personne physique. Mais il est lui-même déclaré en faillite en tant qu’ancien associé de la société en nom collectif. Le passif mis à sa charge s’élève à 10.000 euros.
Un plan amiable est homologué dans le cadre de la procédure de règlement collectif. Cependant, cette dernière procédure fait l’objet d’une révocation en raison d’un manque de collaboration de la part du requérant et de l’apparition d’une dette nouvelle.
Le tribunal du travail prévoit que le solde du compte de la médiation sera d’abord affecté au paiement des frais et honoraires encore dus au médiateur de dettes puis sera réparti entre les créanciers ayant introduit une déclaration de créance, proportionnellement à leurs créances.
Les curateurs à la faillite du requérant interjettent appel de cette décision en revendiquant le versement du solde du compte de la médiation sur le compte de la curatelle.
La cour du travail confirme la révocation prononcée par le tribunal du travail en ajoutant qu’elle se justifie également par le fait que le requérant «a irrégulièrement entrepris une activité commerciale sans autorisation préalable du tribunal et sans le dire au médiateur» et que cette activité a généré «un nouveau passif fautif».
Elle réforme toutefois la décision du tribunal du travail concernant le sort du solde du compte de la médiation: cette décision viole «les règles de la faillite, lesquelles s’imposent puisque le débiteur en médiation a été déclaré personnellement en faillite. Il en résulte que les sommes payées par le médiateur de dettes en exécution du jugement […] doivent être remboursées. Ces remboursements seront opérés par des versements directs des créanciers bénéficiaires sur le compte de la faillite [du requérant]».
La décision en PDF: C.T. Liège (5ème ch., division de Liège), 08.05.2017(R.G. 2016.AL.727)
CT Liège (division de Liège, 5e ch.), 18 avril 2017, RG n°2017/BL/7
Une requérante en règlement collectif de dettes vit seule avec ses deux enfants âgés de 15 et 11 ans. Elle n’est propriétaire d’aucun immeuble. Les biens qui garnissent son logement n’ont pas de valeur significative et le véhicule qu’elle possède date de 1997.
Le tribunal du travail avait déclaré sa demande non admissible au motif qu’aucun disponible ne pouvait être dégagé, ses revenus – constitués d’allocations de chômage (1.150 euros) et d’allocations familiales (510,77 euros) – étant absorbés par ses charges. Il s’agissait, suivant le tribunal, «d’améliorer l’efficacité et la rapidité dans le traitement des dossiers».
La requérante interjette appel de cette décision en soulignant que le premier juge avait ajouté une condition d’admissibilité non prévue par l’article 1675/2 du Code judiciaire, qu’il présupposait à tort qu’un disponible ne pourrait pas être constitué en cours de procédure (alors que la requérante avait déjà travaillé durant plus de six ans dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée et qu’une reprise du travail n’était pas exclue) et que le but de la procédure de règlement collectif n’était pas respecté.
La cour du travail lui a emboîté le pas:
- «premièrement, pour aboutir à un accord sur un plan amiable, l’article 1675/11 du Code judiciaire accorde un délai d’un an»;
- «deuxièmement, l’impossibilité de proposer un remboursement ne fait pas obstacle à un accord. Le médiateur de dettes peut en effet proposer aux créanciers un “plan zéro”: “Monsieur le juge Bedoret définit le plan zéro comme suit: ‘Le plan amiable zéro désigne l’hypothèse particulière du plan amiable dépourvu de dividendes et de mesures d’accompagnement, sans durée ou d’une durée limitée à la période qui sépare l’admissibilité et l’homologation, et qui est justifié par des circonstances exceptionnelles; il équivaut à une version amiable de la remise totale des dettes avec un effet immédiat.’ Rien n’empêche les créanciers de reconnaître l’impossibilité de proposer un plan de remboursement sérieux. Cela peut, notamment, résulter de l’impossibilité totale de dégager le moindre disponible ou encore du fait que celui qui pourrait être dégagé serait à ce point minime, une fois les frais couverts, que cela n’aurait plus d’intérêt. Le dépôt d’un plan amiable zéro permet de gagner du temps et d’éviter la procédure plus coûteuse d’un plan judiciaire et allège considérablement le travail du tribunal” (J.-F. Ledoux, ‘La phase amiable’ in Le fil d’Ariane du règlement collectif de dettes, Anthémis, 2015, p. 196)»;
- «troisièmement, le juge peut accorder la remise totale de dettes»;
- «l’état de surendettement correspond à un déséquilibre durable et structurel entre les dettes et les rentrées du requérant; l’existence d’un tel déséquilibre est vérifiée en l’espèce; l’absence de disponible ne peut être relevée: la faisabilité d’un plan ne doit pas être appréciée au stade de l’admissibilité (en ce sens: CT Liège, div. Liège, 10e, 8 septembre 2015, 2015/BL/25 – 2015/BL/27 – 2015/BL/30); dès lors que les conditions légales d’admission à la procédure sont réunies, [la requérante] demande la protection de la loi parce que celle-ci lui garantit des conditions de vie conformes à la dignité humaine; c’est à bon droit que [la requérante] fait valoir que le maintien d’une vie conforme à la dignité humaine est un principe directeur (CT Liège, div. Liège, 10e ch., autrement composée, 26 août 2014, 2014/BL/20).»
La décision en PDF: C.T. Liège (5ème ch., division de Liège), 18.04.2017(R.G. 2017.BL.7)
TT Liège (division de Liège, 14e ch.), 6 juin 2017, RG n°14/85714/B
Dans cette décision rendue en première instance, l’immeuble de la requérante a été vendu dans le cadre de la procédure de règlement collectif de dettes. Son achat avait été financé par un crédit hypothécaire. Cet immeuble était en indivision entre la requérante et son ex-époux, lequel n’était pas requérant en règlement collectif. Le prêteur hypothécaire avait déclaré une créance en principal de 64.496,47 euros et de 80.478,89 euros avec les intérêts et les frais. Il avait donc revendiqué un montant total de 101.571,12 euros auprès du notaire instrumentant, que ce dernier lui avait versé.
Le médiateur de dettes reprochait au notaire de ne pas lui avoir soumis préalablement son décompte et d’avoir versé indûment au prêteur une somme de 12.022,62 euros, étant donné que la somme totale versée comprenait des intérêts et des frais supplémentaires qui ne pouvaient pas être comptabilisés à charge de la requérante, étant donné la procédure en règlement collectif de dettes. Cette somme de 12.022,62 euros est à retrancher de la moitié de la dette (101.571,12 euros/2 = 52.505,06 euros) payée par la requérante, l’autre moitié étant à charge de l’ex-époux.
Eu égard à cette situation problématique, le médiateur avait fait refixer la cause sur pied de l’article 1675/14, §2 du Code judiciaire.
Le tribunal du travail rappelle que:
- «la Cour de cassation a jugé que “les intérêts, même ceux qui sont garantis par une hypothèque, sont suspendus de plein droit par le seul effet du jugement d’admissibilité et ne peuvent reprendre leur cours, hors les cas limitativement énumérés à l’article 1675/7, §4 du Code judiciaire, que si le plan de règlement le prévoit” (Cass., 23 avril 2004, C030017F, juridat.be; dans le même sens […] Cass., 15/10/2004, C020442N, www.juridat.be)»;
- «[…] la cour d’appel de Mons a décidé que, “lorsque la vente d’un bien immeuble appartenant aux débiteurs intervient après le prononcé de la décision d’admissibilité et que le produit de cette vente est affecté au remboursement d’un prêt hypothécaire après l’adoption d’un plan de règlement judiciaire comportant une remise de dettes en intérêts, indemnités et frais, le produit de la vente n’a pu s’imputer que sur la partie de la créance hypothécaire qui ne faisait pas l’objet de la remise de dettes, soit le capital, indépendamment de l’imputation qui devrait être opérée conformément aux articles 1253 et suivants du Code civil” (Mons [2e], 18 octobre 2004, Annuaire juridique du crédit et du règlement collectif de dettes. Jurisprudence commentée, 2004, p. 283 et suivantes); cette jurisprudence est encore confirmée par l’arrêt prononcé le 9/5/2016 par la cour du travail de Liège, division Namur».
Le tribunal du travail met en évidence un point essentiel: «Il ne faut pas confondre l’effet des sûretés réelles et privilèges (qui est suspendu, sauf en cas de réalisation du patrimoine) avec l’assiette de ce privilège (tous les intérêts ont été suspendus depuis la décision d’admissibilité et la réalisation du patrimoine ne les réactive pas, sauf si le plan l’a stipulé expressément). Cette règle, parfois méconnue, est susceptible d’avoir des conséquences considérables sur le sort des crédits hypothécaires et sa violation pourrait entraîner la responsabilité du notaire chargé de la vente d’un tel bien, s’il paie le créancier hypothécaire au-delà de sa créance réduite, au préjudice des autres créanciers participant au plan de règlement collectif de dettes.»
Il ordonne au prêteur hypothécaire de rembourser la somme qu’il a indûment perçue.
La décision en PDF: T.T. Liège (14ème ch., division de Liège), 06.06.2017 (R.G. 14.85714.B)
TT Brabant wallon (division de Nivelles, 7e ch.), 15 juin 2017, RG n°16/92/B
L’État belge, créancier, soutenait que sa créance constituée par une amende à laquelle la requérante avait été condamnée par le tribunal de police du chef d’infractions de roulage ne faisait pas partie du passif appréhendé par la procédure de règlement collectif de dettes.
En effet, «l’amende étant une peine, elle n’est due que si le prévenu est condamné à son paiement; cette spécificité de l’amende pénale fait obstacle à ce que l’on raisonne par analogie avec la notion de “fait générateur” d’une dette fiscale puisque l’amende pénale n’existe pas à partir du moment où les infractions ont été commises, mais seulement à partir du moment où la condamnation est prononcée par un tribunal; le fait générateur est donc la décision judiciaire et non les faits qui sont à l’origine de la condamnation». Or, «en l’espèce, ce “fait générateur” […] est postérieur à l’ordonnance d’admissibilité, de sorte que l’amende pénale doit être considérée comme une dette nouvelle à payer par priorité».
En outre, «il ressort des travaux préparatoires de la loi du 5 juillet 1998 […] que doivent être déclarées “les dettes exigibles et donc échues ou à échoir mais qui sont suffisamment certaines” […]. L’amende pénale ne devient “certaine et exigible” qu’au jour où le jugement qui la prononce devient définitif; elle ne l’est pas, par contre, au jour où l’infraction pénale est commise». Or, «en l’espèce, aucune condamnation pénale n’existait à charge [de la requérante] le jour de l’admissibilité».
Le tribunal rejette la position du SPF Finances et justifie sa décision de la manière suivante.
La thèse du SPF Finances repose sur un postulat erroné: celui de son droit d’exiger le paiement prioritaire de sa créance, au seul motif qu’elle serait «nouvelle».
Or, tel n’est pas le cas: seules peuvent ou doivent faire l’objet d’un paiement prioritaire:
- les dettes «de la masse», soit celles contractées dans l’intérêt de la masse, telles que les honoraires et frais du médiateur (privilégiés), les frais de notaire…
- les dettes «fondamentales» du débiteur: celles dont le paiement est indispensable pour lui permettre de mener une vie conforme à la dignité humaine (par exemple, des dettes de loyer, de consommation d’énergie, de cotisations sociales… dans la mesure où elles n’ont pas été prévues/comprises – ou l’ont été insuffisamment – dans le pécule de médiation).
Quant aux autres dettes post-admissibilité, elles ne peuvent pas être payées par la réserve du compte de médiation et constituent éventuellement une aggravation fautive du passif pouvant déboucher sur la révocation.
L’amende pénale ne relève à l’évidence pas de l’une des deux premières catégories […]; il est tout aussi évident cependant que l’on ne peut la qualifier d’aggravation «fautive» du passif pendant la procédure: la «faute» a été commise par le débiteur avant l’admissibilité et non au cours de la procédure.
Par ailleurs, «en vertu de l’article 1675/7, §2 CJ, toutes les voies d’exécution qui tendent au paiement d’une somme d’argent sont suspendues. Il s’ensuit qu’une dette nouvelle, qui n’est ni une dette de la masse ni une dette dans la masse, n’a pas vocation à être payée par préférence et n’est nullement recouvrable au moyen d’une saisie-arrêt-exécution (cour trav. Liège, 13/9/2010, RG n°RCDL, 2011-AL-326 et 06/12/2011, RG n°RCDL 2011-AL-326, cités par J.-Cl. Burniaux, “Le créancier post-admissibilité” in Le créancier face au règlement collectif de dettes: la chute d’Icare?, sous la coordination de C. Bedoret, Éd. Anthemis, 2017, p. 354)».
«[…] Par conséquent, loin d’obtenir le paiement “par priorité”, s’il s’abstient d’introduire une déclaration de créance en bonne et due forme, le SPF Finances devra attendre la fin de la procédure pour entamer le cas échéant une procédure de récupération forcée de sa créance.»
Didier Noël,
coordinateur scientifique à l’Observatoire du crédit et de l’endettement