RCD Attention, jurisprudence fraîche!

Dans cette rubrique, vous trouverez une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dettes. En voici la recension.

Trib. trav. Liège, div. Huy (6e ch.), 14 juin 2024 (RG19/125/B)

Projet de plan de règlement amiable – Créance – Contestation des requérants – Contredit – Créancier – Possibilité d’apurer la dette – Autorisation – Homologation

Les requérants, tous deux pensionnés, ont été admis en règlement collectif de dettes par une ordonnance d’admissibilité du 28 juin 2019. Le montant du passif en principal s’élève à 24.523,44 euros.

En date du 22 septembre 2022, la médiatrice de dettes a transmis aux parties un projet de plan de règlement amiable, lequel n’a pas reçu l’accord de tous les créanciers. Il s’avère, en effet, que les requérants contestent une créance due à un créancier pour un montant de 2.705 euros. Dans son projet de plan, la médiatrice invitait les requérants à lancer une procédure judiciaire à l’encontre de cette créance litigieuse et prévoyait, pendant ce temps, de verser à la Caisse des dépôts et consignations les montants devant revenir à ce créancier pendant l’exécution du plan. Le créancier concerné marqua son refus au projet de plan ainsi libellé.

Face à cette situation, la médiatrice de dettes dépose un procès-verbal de carence auprès du tribunal du travail en sollicitant soit l’homologation du plan et le renvoi de la contestation devant le juge de paix compétent, soit une prise de position claire des requérants concernant le maintien ou non de la contestation, vu qu’aucune procédure judiciaire n’a été initiée par les parties.

Le tribunal est d’avis que la contestation des requérants, pouvant être considérée comme un contredit, ne présente pas un caractère abusif. Il est noté, en outre, que le créancier concerné n’est pas présent à l’audience, démontrant aux yeux du tribunal une attitude peu constructive.

Dès lors, force est de constater pour le tribunal qu’il est sans pouvoir pour trancher le litige entre les parties et qu’il ne dispose pas d’autre possibilité que de renvoyer le contentieux devant le juge compétent, sauf à encourager fortement les parties à envisager une solution de conciliation.

Or il apparaît à l’audience que les requérants, même s’ils persistent à contester cette créance, ne veulent pas s’engager dans une longue et pénible procédure judiciaire. En outre, il est constaté que le solde actuel du compte de médiation permet d’apurer l’entièreté du passif en principal, en ce compris le montant de la créance contestée.

Par conséquent, le tribunal décide:

– d’écarter la contestation des requérants, ceux-ci abandonnant tout recours en justice;

– d’autoriser la médiatrice à payer au créancier concerné le montant de la créance contestée, plutôt que de le verser à la Caisse des dépôts et consignations, permettant d’écarter ainsi l’opposition de ce dernier au projet de plan;

– de considérer que tous les créanciers et les requérants ont désormais marqué leur accord sur le plan de règlement amiable proposé par la médiatrice.

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Cour constitutionnelle, 11 avril 2024 (n°42-2024)

Projet de plan de règlement amiable – Contredit – Organisme bancaire – Convention de gage sur des espèces et des instruments financiers – Art. 8 et 9 loi du 15 décembre 2004 – Possibilité de réaliser le gage indépendamment du règlement collectif de dettes – Autres créanciers Différence de traitement – Suspension des voies d’exécution – Concours des créanciers – Violation des articles 10 et 11 de la Constitution – Oui – Justification

Au cours d’une procédure en règlement collectif de dettes ayant fait l’objet d’une décision d’admissibilité en date du 5 mai 2021, un des créanciers, organisme bancaire, forme un contredit au projet de plan de règlement amiable soumis par le médiateur de dettes.

À la suite du procès-verbal de carence déposé par ce dernier, le tribunal du travail est amené à examiner le caractère abusif ou non de ce contredit. Parmi les éléments évoqués par le créancier, le tribunal relève que ce dernier bénéficie d’un gage sur des espèces (compte à vue) et sur des instruments financiers (compte-titres) appartenant au débiteur admis en règlement collectif de dettes et qu’il a pour objectif de réaliser les biens faisant l’objet de cette convention de gage à son seul profit ou bien de se les approprier.

Le tribunal constate que les articles 8 et 9 de la loi du 15 décembre 2004[1] autorisent en effet le créancier impayé qui bénéficie d’un gage sur des espèces ou des titres à réaliser les biens qui font l’objet de ce gage, sans mise en demeure ni décision judiciaire préalable et surtout indépendamment de l’ouverture d’une procédure en règlement collectif de dettes.

Or, le tribunal relève que les autres catégories de créanciers, notamment dans le cadre des conventions de «netting»[2], sont amenées, quant à elles, à subir les effets de la procédure en règlement collectif de dettes et, de ce fait, sont soumises à la règle du concours et de l’égalité des créanciers, mais aussi à la suspension de l’effet des sûretés réelles et de privilèges[3] conformément à l’article 1675/7, §1er et 3 du Code judiciaire.

Face à ce constat, le tribunal se demande alors si ces articles 8 et 9 de la loi du 15 décembre 2004, lus en combinaison avec les articles 1675/7 et 1675/9 du Code judiciaire, n’accordent pas un avantage disproportionné aux créanciers gagistes et s’ils ne créent pas une discrimination[4] au détriment des autres créanciers qui, eux, subissent l’ensemble des effets du règlement collectif de dettes. Le tribunal prend la décision de saisir la Cour constitutionnelle sur cette question.

Dans un premier temps, la Cour rappelle que «le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée». La Cour est d’avis que la différence de traitement repose, en effet, sur un critère de distinction objectif, à savoir la possibilité pour le créancier de se prévaloir d’une convention de gage portant sur des espèces ou sur des titres, réglementée par la loi du 15 décembre 2004.

Reste à savoir pour la Cour si l’avantage que confèrent les dispositions de cette loi au créancier qui peut se prévaloir d’un tel gage par rapport aux autres créanciers est raisonnablement justifié.

Sur ce point, celle-ci est d’avis que les dispositions en cause ainsi que les travaux préparatoires de la loi ne permettent pas de justifier raisonnablement cette différence de traitement, notamment sur la base des motifs suivants:

– le fait que les effets du règlement collectif de dettes s’appliquent dans le cas de la réalisation d’un bien sur lequel un créancier peut se prévaloir d’un simple gage de droit commun, laquelle devra obligatoirement s’inscrire dans le cadre de cette procédure moyennant l’autorisation du juge;

– le fait qu’un régime dérogatoire au regard du droit commun ne peut pas trouver à se justifier du simple et unique constat qu’un gage, peu importe la qualité des parties, ait été constitué sur des instruments financiers ou des espèces sur la base de la loi du 15 décembre 2004;

– le fait que l’absence de toute décision de justice préalable prévue par les dispositions en cause, autrement dit de tout contrôle judiciaire, constitue une mesure de nature à mettre à mal l’objectif du règlement collectif de dettes.

Par conséquent, la Cour conclut que les articles 8 et 9 de la loi du 15 décembre 2004, exposés et mentionnés ci-dessus, violent les articles 10 et 11 de la Constitution dès lors qu’ils s’appliquent lorsque le débiteur ayant constitué le gage portant sur des instruments financiers ou sur des espèces est une personne physique qui a été admise à une procédure en règlement collectif de dettes.

La Cour termine, toutefois, en précisant très justement que ce constat d’inconstitutionnalité n’empêchera pas le créancier qui bénéficie de ce type de gage d’exercer, en cas de réalisation des espèces ou des titres qui interviendrait dans le cadre du règlement collectif de dettes, son droit d’être payé prioritairement sur le produit de cette réalisation.

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Trib. trav. Liège, div. Liège, 7 mars 2024 (RG2023/00367/B)

Admissibilité – Saisie-arrêt antérieure à l’admissibilité – Projet de répartition des fonds saisis – Frais et honoraires de l’huissier de justice – Créance privilégiée – Art. 17 et 19 loi hypothécaire – Paiement prioritaire – Compensation – Non – Art. 1675/7 CJ – Suspension des voies d’exécution – Concours des créanciers – Versement sur le compte de médiation

La requérante a été placée sous administration provisoire par une ordonnance du juge de paix du 21 avril 2023. Le 2 juin 2023, elle est admise à la procédure en règlement collectif de dettes à la suite du dépôt d’une requête par son administrateur de biens.

En date du 17 août 2023, la médiatrice de dettes désignée reçoit, par courrier, un projet de répartition de fonds saisis, transmis par un huissier de justice mandaté par un créancier repris dans la requête en règlement collectif de dettes.

L’huissier fait savoir qu’antérieurement à l’admissibilité, des fonds appartenant à la requérante ont été saisis à concurrence d’une somme de 1.156,32 euros. Par ailleurs, il mentionne que le montant de ses frais et honoraires, dont le paiement est privilégié en vertu des articles 17 et 19, 1° de la loi hypothécaire, s’élève à 1.277,94 euros. Dans le projet de répartition, l’huissier indique qu’il entend conserver les fonds saisis pour couvrir le paiement de ses frais, étant donné leur caractère privilégié et, vu que le montant de ceux-ci dépasse celui perçu lors de la saisie, qu’aucun fonds ne sera versé sur le compte de la médiation. L’huissier termine en concluant que, de ce fait, seuls les fonds perçus postérieurement à l’admissibilité seront versés au profit du règlement collectif de dettes.

S’ensuit un échange de courrier au cours duquel la médiatrice rappelle à l’huissier que les fonds saisis avant l’admissibilité et qui n’ont pas encore été redistribués aux créanciers font partie de la masse et donc du patrimoine de la requérante et doivent, par conséquent, être versés sur le compte de la médiation. L’huissier maintenant sa position, la médiatrice sollicite une fixation de la cause devant le tribunal afin de trancher le différend qui les oppose.

Devant le tribunal, la médiatrice de dettes et l’administrateur de biens sollicitent l’application de l’article 1675/7, §1er et 2 du Code judiciaire établissant le principe de la suspension des voies d’exécution et requièrent d’inviter l’huissier de justice à verser l’entièreté des fonds saisis sur le compte de la médiation. Le tribunal rappelle que, conformément à l’article 1675/7, §2 du Code judiciaire, toutes les voies d’exécution tendant au paiement d’une somme d’argent sont suspendues à partir de la décision d’admissibilité. Il précise que cet effet vaut également pour les saisies pratiquées antérieurement qui conservent juste leur caractère conservatoire à savoir l’indisponibilité de biens.

En outre, il est mentionné qu’en application du paragraphe 1er de l’article 1675/7 du Code judiciaire et de l’enseignement de la Cour de cassation en matière de faillite, la décision d’admissibilité fait naître une situation de concours entre tous les créanciers qui implique le respect d’un principe d’égalité entre ces derniers et l’indisponibilité du patrimoine de la requérante.

Sur la base des principes évoqués ci-dessus, il est souligné qu’en l’espèce, les fonds litigieux sont le produit d’une saisie-arrêt exécution pratiquée antérieurement au règlement collectif de dettes et toujours en cours au moment de l’admissibilité. De ce fait, ceux-ci ont bien été obtenus dans le cadre d’une voie d’exécution au sens de l’article 1675/7, §2 du Code judiciaire, laquelle est donc bien suspendue depuis l’admissibilité.

Il est ensuite précisé que les fonds saisis n’ayant pas été répartis entre les créanciers avant le premier jour suivant la réception au Fichier des avis de saisie (FCA) de l’ordonnance d’admissibilité, le projet de répartition de ces fonds transmis par l’huissier de justice est devenu caduc dès l’admission de la requérante au règlement collectif de dettes. Par conséquent, le montant saisi fait intégralement partie du patrimoine de cette dernière et, de ce fait, de la masse jusqu’à la fin de la procédure.

Enfin, concernant les frais et honoraires de la saisie, bien que privilégiés en vertu de la loi hypothécaire, ils constituent une créance envers la requérante qui, en raison de la procédure en règlement collectif de dettes, est soumise à la loi du concours des créanciers. Il en découle que l’huissier n’est pas en droit de procéder à une compensation de ces frais et honoraires avec les montants saisis sous peine de violer non seulement le principe d’égalité des créanciers, mais aussi celui de l’indisponibilité du patrimoine de la requérante, à dater de l’admissibilité.

Par conséquent, il est jugé que les fonds saisis et en possession de l’huissier doivent être versés intégralement sur le compte de la médiation.

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Sabine Thibaut, juriste à l’Observatoire du crédit et de l’endettement

[1] Relative aux sûretés financières et portant des dispositions fiscales diverses en matière de conventions constitutives de sûreté réelle et de prêts portant sur des instruments financiers.

[2] Convention en vertu de laquelle les parties conviennent que leurs créances réciproques seront automatiquement compensées de manière à déterminer un montant à payer par une partie à une autre. C. const., 27 novembre 2008, n°167/2008.

[3] Sauf réalisation du patrimoine en cours de procédure.

[4] Au sens des articles 10 et 11 de la Constitution.