Les Échos du crédit: En tant que ministre bruxellois en charge de la médiation de dettes, que pouvez-vous dire de la situation du surendettement des Bruxellois, à l’heure d’aujourd’hui? On imagine qu’elle s’est aggravée depuis le Covid, avec la crise de l’énergie, l’inflation, les loyers qui augmentent?
Alain Maron: La dernière étude consistante réalisée sur la question du surendettement à Bruxelles date de mars 2021. Mais les données analysées dans ce rapport dataient d’avant la crise du Covid-19. Il y a donc plutôt lieu de penser que la situation ne s’est pas arrangée, et ce, notamment en raison de la crise de l’énergie.
À Bruxelles, le cadre protecteur de l’ordonnance gaz-électricité qui oblige les fournisseurs à proposer des contrats de trois ans, ce à quoi ils étaient farouchement opposés, a sans doute permis d’amortir le choc: on sait que de l’ordre de 70% des ménages bénéficiaient d’un contrat fixe, les mettant à l’abri des fortes hausses de ces mois derniers. Mais, avec la fin de ces contrats, les nouveaux tarifs pratiqués sont nettement plus élevés. Cela a tout de même permis de lisser sur trois ans les effets de cette crise énergétique. Par ailleurs, des mesures comme le tarif social élargi ont été prises par le fédéral: à Bruxelles, cela touche environ 30% des ménages. La réforme de l’ordonnance gaz-élec au printemps dernier offre aussi un accès facilité au statut de client protégé à la fourniture garantie, mais ce n’est pas encore complètement effectif. Les fournisseurs proposent aussi des plans de paiement.
Cela étant, des milliers, voire des dizaines de milliers de ménages, ont vu leurs factures d’énergie exploser, sans bénéficier d’aides particulières, car étant juste au-dessus du BIM (bénéficiaire d’intervention majorée) ou faisant partie de la classe moyenne, et sont en grande difficulté. Ils peuvent se tourner vers les CPAS: on a en effet dégagé des sommes substantielles pour des aides directes à la population et également pour engager du personnel, ce qui n’est pas évident vu le contexte actuel. Mais il est vrai qu’il y a des pratiques très différentes d’un CPAS à l’autre et les aides n’arrivent peut-être pas forcément à ce public. Il y a des circulaires, on informe, mais c’est un changement dans les pratiques de certains CPAS d’aider des personnes qui ne sont pas dans les conditions du revenu d’intégration sociale ou de l’aide sociale.
On attend aussi des mesures fortes du fédéral qui lui-même attend la position de l’Union européenne. À cette date (13/9, date de l’interview – NDLR), on est encore dans l’expectative.
ECE: On parle à nouveau de saturation des services de médiation de dettes (SMD). Comment faire face à cette hausse de demandes? Le Plan social santé intégré (PSSI) va-t-il changer la donne? Dans ce contexte, certains CPAS décident de se défaire de leur SMD. Est-ce normal? Une campagne de visibilisation des SMD est-elle une bonne chose, vu l’encombrement des services?
A.Maron: Les pouvoirs publics doivent avant tout offrir un bouclier de protection pour empêcher les ménages de sombrer dans le surendettement. On ne peut pas admettre que des pans entiers de la population sombrent dans les difficultés financières. Après, on imagine bien que les SMD ressentent le contrecoup de cette situation, tout comme c’est le cas dans les CPAS. Pendant la crise Covid, on a renforcé le soutien financier des SMD publics CPAS et privés, COCOM et COCOF, à hauteur d’un montant global de 2,7 millions d’euros. La mise en œuvre du PSSI et l’adoption de textes pour permettre l’harmonisation des cadres vont se traduire en un renforcement budgétaire, notamment pour les services COCOM. Mais il faudra attendre le temps de l’élaboration des textes. Quant aux changements liés à la mise en œuvre du PSSI, le fait de gérer le social et la santé de manière intégrée reposera sur une vision transversale et territorialisée, qui ne se fera qu’avec la participation et l’adhésion des acteurs concernés.
Il va aussi falloir objectiver la saturation: on se doute que les SMD sont plus sollicités, mais on devrait pouvoir chiffrer cela. À cet égard, on travaille à la généralisation d’un logiciel commun à l’ensemble des SMD bruxellois pour pouvoir générer une gestion administrative harmonisée et disposer de statistiques complètes, mais il n’y a pas encore d’accord sur le logiciel dans le secteur.
Concernant le fait qu’un CPAS mette son SMD entre parenthèses, c’est interpellant. Sans doute le surcroît de travail dans les services de première ligne et la difficulté de recruter ne sont-ils pas étrangers à cette situation. Mais il faut en tout cas que la subvention octroyée pour le service à rendre soit bien dédiée.
Quant au fait de mener des campagnes pour informer les citoyens de leurs droits et des services existants, c’est important qu’ils soient au courant de ce qui existe et qu’ils se rendent le plus tôt possible dans les services pour demander de l’aide. Un conseil préventif peut permettre d’éviter d’avoir à prendre en charge de gros dossiers très lourds.
Propos recueillis par Nathalie Cobbaut