Aide juridique et personnes en RCD : la gratuité n’est plus automatique

 

Aide juridique et personnes en RCD : la gratuité n’est plus automatique

Ces derniers mois, on a beaucoup parlé de l’aide juridique et de la réforme d’un système qui serait devenu impayable, selon le gouvernement. Or des réformes avaient déjà été introduites visant à limiter l’accès à l’aide juridique gratuite : c’est notamment le cas pour les personnes en règlement collectif de dettes qui, depuis 2011, auraient dû être amenées à prouver le montant de leurs revenus pour avoir droit à cette gratuité (sauf si elles se trouvent dans un des cas de figure pour lesquels la gratuité est attribuée d’office). Une information qui semble avoir été appréciée et appliquée jusqu’ici en sens divers par les bureaux d’aide juridique (BAJ).

Cela fait quelques mois que le monde de la médiation de dettes s’interroge à propos de la question de la gratuité de l’aide juridique pour les personnes en RCD. D’après les rumeurs et les informations recoupées auprès des uns et des autres, le sort de ces personnes ne seraient pas les mêmes selon les arrondissements judiciaires, selon les BAJ, ce qui semble pour le moins étrange.

Mais qu’en est-il de la réglementation à cet égard ? Depuis 2000, le système des avocats pro deo s’est transformé en l’aide juridique telle qu’on la connaît aujourd’hui (du tout du moins, jusqu’ici, avant une très probable réforme – voir page 9) et qui se décline en deux volets : une aide juridique dite de première ligne, soit un premier conseil à propos d’un problème juridique, donné gratuitement par un avocat, et une aide juridique de seconde ligne qui consiste en la désignation d’un avocat pour mener à bien une procédure ou donner un avis juridique approfondi. La gratuité totale ou partielle dépendra de certaines conditions de revenus (gratuité totale pour la personne isolée dont les revenus mensuels nets ne dépassent pas 878 euros, et 1 128 euros pour un cohabitant ; partielle pour l’isolé qui dispose de revenus entre 878 et 1 128 euros et entre 1 128 et 1 377 euros pour le cohabitant). Certains catégories bénéficient d’office de la gratuité, à condition de présenter certains documents : cela concerne les bénéficiaires du revenu d’intégration sociale, du revenu garanti aux personnes âgées, d’allocations de handicapés, de prestations familiales garanties, le locataire social dans certaines conditions ou encore le mineur d’âge.

Et les personnes surendettées ?

Le 7 juillet 2006, un arrêté modifiant l’arrêté royal du 18 décembre 2003 qui détermine les conditions de la gratuité totale ou partielle du bénéfice de l’aide juridique de deuxième et de l’assistance judiciaire introduisait un point 11° à l’article 1er de ce texte qui prévoit les cas de gratuité totale de l’aide juridique. Ce point 11° disposait qu’a droit au bénéfice de la gratuité totale pour l’aide juridique de deuxième ligne et l’assistance judiciaire, la personne en cours de procédure de règlement collectif de dettes, sur présentation de la déclaration d’admissibilité visée à l’article 1675/6 du Code judiciaire, de même que la personne surendettée, sur présentation d’une déclaration de sa part, en vue de l’introduction d’une procédure de règlement collectif de dettes.

Il s’agissait là d’une disposition qui éclairait la situation des personnes en RCD car, avant cela, l’arrêté royal de 2003 ne prévoyait pas ce cas de figure, mentionnant seulement le fait de tenir compte des charges résultant d’un endettement exceptionnel dans le calcul des revenus pour établir l’octroi de la gratuité totale ou partielle. Pendant cinq ans donc, de 2006 à 2011, les personnes envisageant d’introduire une requête en RCD ou étant déjà en procédure ont bénéficié d’une présomption irréfragable d’indigence leur donnant droit à l’aide juridique de deuxième ligne et à l’assistance judiciaire gratuites.

Revirement de situation

Le 31 août 2011, un nouvel arrêté royal est venu modifier cet état de droit : entrant en vigueur le 1er septembre 2011 (selon l’article 3 de l’AR), l’article 1, §2 prévoit désormais qu’aux côtés des personnes en détention, des prévenus visés par la comparution immédiate et des personnes malades mentales, les personnes en cours de procédure de RCD, sur présentation de l’avis d’admissibilité, et les personnes sollicitant l’introduction d’une telle procédure, sur présentation d’une simple déclaration, sont présumées, sauf preuve contraire, être des personnes ne bénéficiant pas des ressources suffisantes. Sauf preuve contraire…

Les termes « sauf preuve contraire » signifient que les BAJ sont censés examiner si les personnes en RCD ou souhaitant introduire une telle procédure sont dans les conditions financières pour obtenir l’aide juridique totalement ou partiellement gratuite. Or c’est loin d’avoir été le cas, les BAJ appliquant de manière disparate cette disposition. Bruxelles et Liège postulaient encore il y a peu la présomption d’indigence de manière automatique dans le chef des médiés, prétextant pour Liège le fait de ne pas avoir été mis au courant de cet arrêté royal par l’OBFG (ex-Ordre des avocats francophones et germanophone – avocats.be). D’autres BAJ se sont conformés plus tôt à cette disposition, mais ont étendu cette obligation de prouver le montant de ses revenus également pour l’introduction d’une requête en RCD. Ils ont également interprété librement la manière d’évaluer le montant des revenus à prendre en compte.

Une présomption d’indigence à renverser ?

Un règlement en date du 15 octobre 2012 et publié au Moniteur belge du 27 novembre 2012 rendait pourtant obligatoire le mémorandum de l’OBFG sur l’aide juridique, lequel stipulait le caractère réfragable de la présomption d’indigence. Mais il est vrai que ce texte n’est pas clair car il dit seulement que la présomption peut être renversée et il ne précise en rien la manière d’appréhender les revenus du justiciable demandant l’aide juridique gratuite. Les pièces que le justiciable doit présenter pour obtenir la gratuité sont les suivantes : un certificat de composition de ménage, tout document qui atteste des revenus du demandeur et de ceux avec lesquels il cohabite. En l’occurrence pour le médié, le mémorandum précise qu’il faut se baser sur l’attestation du médiateur de dettes précisant le montant mensuel remis au médié et le montant des frais fixes (loyers, soins de santé, etc.) payés par le médiateur.

Concrètement il semble que certains BAJ s’en tiennent au seul montant du pécule de médiation pour analyser les conditions d’accès ; d’autres vont plus loin dans leurs investigations pour évaluer ce que couvre ce montant, s’il faut par exemple retrancher certaines charges ou montants du pécule, comme les allocations familiales, ou au contraire y rajouter certains montants, comme le loyer, si celui-ci est payé directement par le médiateur de dettes.

Vers une clarification

À l’OBFG, contacté pour tirer au clair ces disparités d’application par rapport à cette réglementation, on reconnaît que les BAJ ont jusqu’à présent mis en œuvre de manière diverse ce qui s’avère être une obligation de vérifier le montant des revenus du justiciable, en l’occurrence le pécule de médiation, pour voir si la personne a droit à l’aide juridique gratuite ou partielle.

Comme le précise Jean-Marc Picard, avocat en charge de ce dossier auprès de l’OBFG, « certains pécules de médiation octroyés aux médiés sont largement au-dessus des montants pris en compte pour octroyer la gratuité aux autres justiciables. Pourquoi les médiés pourraient-ils bénéficier d’une gratuité d’office, sans qu’on tienne compte de leurs moyens financiers ? Il n’y a pas de raison qu’ils aient un traitement à part. Cela dit je reconnais que payer un avocat alors que l’on vit avec 1 500, 2 000 euros est mission impossible. » On attend donc une décision de clarification de l’OBFG qui devrait entrer en vigueur en septembre prochain, avalisant le caractère systématique de l’analyse des conditions de revenus des médiés en se basant sur le pécule de médiation et maintenant l’octroi de la gratuité pour les dépôts de requête en RCD. Maître Picard précise que la décision d’un BAJ sur l’octroi ou non de la gratuité est toujours susceptible d’un recours auprès du tribunal du travail. Libre au justiciable d’introduire un tel recours s’il n’est pas d’accord avec la décision du BAJ en matière d’octroi de l’aide juridique.

Nathalie Cobbaut

Une position qui ne fait pas l’unanimité

Dans un article paru dans le n° 484 du Bulletin social & juridique (octobre 2012), le juge du travail de Mons, Christophe Bedoret, contredit la position de l’OBFG. Ce dernier rend compte d’une décision du tribunal du travail de Nivelles qui analyse effectivement la situation d’un médié comme n’étant pas dans les conditions de l’aide juridique gratuite, le montant de son pécule de médiation étant supérieur au plafond prévu dans l’AR de 2003. Le tribunal du travail de Nivelles estime qu’une fois qu’un pécule de médiation de dettes a été fixé pour le médié et une somme déterminée pour le remboursement des créanciers, le justiciable ne se trouve plus dans une situation d’endettement exceptionnel. Il faut donc analyser les montants du pécule de médiation de manière conforme aux règles générales de revenus prévus dans le régime de l’aide juridique pour accorder ou non la gratuité. Christophe Bedoret ne partage pas ce raisonnement : selon lui, il faut analyser les différents postes du pécule de médiation de dettes et analyser si une somme a été prévue pour les frais et honoraires d’un avocat. Si ce n’est pas le cas, il ne peut être demandé au médié de prendre en charge ces frais sur son pécule de médiation, « sous peine de mettre en péril le financement des charges qui relèvent de sa dignité humaine (loyer, alimentation, éducation, etc). » Donc, pour ce juge, le seul montant du pécule de médiation ne suffit certainement pas à trancher la question de la gratuité de l’aide juridique pour les personnes en RCD.

Un suivi de procédure RCD : trois points !

Pour Fabian Greffe, avocat au Barreau de Liège, médiateur judiciaire, également désigné comme avocat dans le cadre de l’aide juridique de deuxième ligne, « accepter un suivi de procédure en matière de RCD équivaut à trois points dans la nomenclature, soit 75 euros. C’est par exemple le tarif pour une demande de remplacement du médiateur judiciaire, ce qui nécessite de rédiger des conclusions, de se rendre à l’audience et de plaider. Un montant qui ne couvre pas le quart des frais engagés ».

L’aide juridique en sursis ?

Les menaces sur l’aide juridique, cela fait des mois que cela traîne et entraîne bien des réactions dans le chef des avocats, des syndicats et des associations de terrain, notamment réunis au sein de la plateforme bilingue « Justice pour tous » qui a envoyé une lettre ouverte au Premier ministre en ce début juin, pour dénoncer une réforme juridique qui va se faire, selon la plateforme, sur le dos des plus précarisés (http://www.liguedh.be/espace-presse/123-communiques-de-presse-2012/1743-a-laide-juridique-lettre-ouverte-a-elio-di-rupo). Pourtant la ministre de la Justice , Annemie Turtelboom, et le gouvernement Di Rupo ne désarment pas : après avoir réduit le budget octroyé au système de l’aide juridique de 83 millions l’an dernier à 78,4 millions cette année, alors même que le nombre de personnes en situation de pauvreté va croissant, une réforme plus fondamentale en préparation prévoit une série de mesures que d’aucuns voient comme un détricotage pur et simple du système pro deo. La ministre parle quant à elle d’une réforme nécessaire d’un système trop onéreux et qui engendre trop d’abus.

Le 3 mai dernier, le Conseil des ministres a d’ailleurs approuvé un avant-projet de loi relatif à la réforme de l’aide juridique, avec pour argumentaire l’augmentation constante de la demande d’aide juridique et des montants alloués par l’État à cette fin (ce que la diminution de budget entre 2012 et 2013 dément pourtant).

Les mesures prévues à ce stade sont les suivantes :

L’avant-projet de loi prévoit l’introduction d’un ticket modérateur, soit un montant de 10 euros demandé à tout justiciable pour la désignation d’un avocat et de 20 à 30 euros par procédure judiciaire entamée. Il s’agirait de responsabiliser l’utilisateur du système et de combattre la surconsommation.

Les présomptions d’indigence qui restaient encore d’actualité pour certaines catégories de publics (comme les allocataires sociaux, les personnes âgées bénéficiaires de la Grapa ou les mineurs) ne devraient plus être automatiques et la charge de la preuve d’indigence est renversée : c’est celui qui fait appel à l’aide juridique qui doit prouver son insolvabilité.

En ce qui concerne le droit des étrangers, l’avant-projet de loi prévoit un système d’ « abonnement », avec une liste limitée d’avocats pouvant seuls intervenir dans ces dossiers.

Les avocats stagiaires pourraient être tenus de traiter cinq dossiers de manière gratuite.

Les cabinets d’avocats traitant gratuitement un nombre déterminé de dossiers pourraient se voir décerner un label en contrepartie.

Des sanctions sont prévues pour les avocats qui abuseraient du système de l’aide juridique.

Lorsqu’un avocat permet à son client d’obtenir une indemnisation qui ne relève pas de ses moyens de subsistance, il lui serait possible de récupérer tout ou partie de ses honoraires sur cette somme.

Les réactions fusent de toutes parts à l’égard du projet : une pétition a été lancée par la plateforme « Justice pour tous » : http://www.petitions24.net/halte_au_demantelement_du_droit_a_laide_juridique, une manifestation a eu lieu le 13 juin dernier. L’OBFG annonce des grèves des BAJ pour la rentrée. Les bâtonniers de Belgique ont décidé pour leur part d’intenter une action judiciaire contre la ministre de la Justice afin d’obtenir ce qui a été promis aux avocats et pour la mise en place d’un système d’indexation en matière d’aide juridique. Pourtant la ministre a annoncé que le vote du projet de loi devrait intervenir au Parlement, d’ici la fin juin. Cela ressemble bien à un passage en force.