Le 17 février dernier, le SPP Intégration sociale et le SPF Justice organisaient conjointement un webinaire pour présenter un ouvrage, dans le cadre d’une collection thématique sur la pauvreté. Lancée en 2019, celle-ci a déjà interrogé le lien entre pauvreté et handicap. Cette fois, ce sont les difficultés d’accès à la justice pour un public précarisé qui sont abordées et mises en question.
La question de l’accessibilité de la justice pour les personnes défavorisées n’est pas nouvelle. Déjà cette question n’est pas neutre pour l’ensemble de la population. Mais elle est encore bien plus prégnante quand on se préoccupe de populations précarisées.
Bien des obstacles se dressent entre ces deux mondes, liés à la situation socio-économique, aux conditions de vie, à la maîtrise de la langue ou à la facilité d’expression des personnes moins favorisées. Faire valoir ses droits en justice ou y défendre son point de vue nécessitent des outils dont les plus pauvres ne disposent pas forcément et, dès lors, «aux yeux des plus démunis, la justice n’est pas un rempart, elle est une menace», comme le dénonçait Damien Vandermeersch, avocat général à la Cour de cassation, lors d’un colloque organisé en décembre 2020 sur le thème «Le droit face aux pauvres» par la Cour constitutionnelle.
Des constats assez… constants
C’est aussi le constat que fait la ministre fédérale de la Lutte contre la pauvreté, Karine Lalieux, dans la préface de l’ouvrage, lorsqu’elle relève que «certains justiciables précarisés doivent affronter une série de démarches administratives pour avoir accès à une aide juridique ou à la médiation. Alors qu’une personne plus favorisée aura la faculté de laisser un avocat effectuer l’ensemble des démarches»[1]. De son côté, le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne insiste sur le fait que, «pour ces personnes (les personnes précaires), l’accès à la justice est un chemin semé d’embûches à cause du langage utilisé ou de frais trop élevés. Les intéressés ne parviennent pas toujours à s’adresser aux instances qui sont prévues pour eux et certaines expériences négatives du passé les empêchent de franchir le pas»[2].
Différents niveaux de responsabilité
Diverses causes à cette distance entre la justice et le public précarisé sont relevées, comme le manque de connaissances ou d’informations dans le chef du citoyen, même s’il est aussi ajouté qu’il ne s’agit pas de rejeter la responsabilité et la faute sur les justiciables, vu la prolifération des lois et règlements, le langage juridique hermétique utilisé ou encore le manque de transparence quant aux initiatives pour bénéficier d’une aide juridique.
Les organisations et les services publics sont également visés comme jouant un rôle important. Le sous-financement chronique de la justice n’aide certainement pas, en termes d’image, mais aussi de délais de traitement des affaires, d’éloignement physique des cours et tribunaux vu la réduction de certaines juridictions, comme les justices de paix, ou encore d’heures d’ouverture des greffes au public.
Enfin, au niveau de la législation, certaines réformes ont rendu l’accès à la justice plus difficile, comme l’application du taux de 21% aux honoraires des huissiers de justice et des avocats, l’augmentation des frais de mise au rôle ou encore l’accès à l’aide juridique de seconde ligne. L’ouvrage entrevoit également des pistes et des recommandations pour ces différents niveaux.
Des pistes d’amélioration
L’ouvrage envisage ensuite l’aide juridique de première et de seconde ligne (chapitres 2 et 3) et les alternatives au système actuel (chapitre 4), en abordant la question du refinancement de ce système, celle de l’assurance-protection juridique ou de la rémunération fixe des avocats, au travers de structures pilotes. Les modes alternatifs de résolution de conflits sont également décortiqués, à la lumière de la situation spécifique des personnes précarisées.
À épingler: le chapitre 7 sur les huissiers de justice et les ménages précarisés, pris en charge par l’Observatoire du crédit et de l’endettement et assez exhaustif sur les relations entre ces deux mondes et les difficultés récurrentes à l’égard de ce qu’on appelle le «business de la dette». On aura l’occasion de revenir prochainement sur cette question dans les Échos du crédit.
Les contributions riches en enseignements juridiques et pratiques sont à découvrir dans l’ouvrage actuellement exclusivement disponible en version PDF. Pour le télécharger: https://bit.ly/3tXREgr.
Nathalie Cobbaut
[1] Pauvreté et justice en Belgique, ouvrage collectif, SPP IS – SPF Justice, 2022, p. 11.
[2] Pauvreté et justice en Belgique, op. cit., p. 13.